Plateau "tournage" à l'Atelier d’art dramatique

Arts et culture
11.04.2023

Deux artistes français d’origine arménienne, Lévon Minasian, réalisateur, metteur en scène, scénariste et écrivain et Tamara Stepanyan, réalisatrice de cinéma, étaient invités à animer l’atelier cinéma de l’Atelier d’art dramatique.

Par Lusine Abgaryan, illustrations Nonna Hovhannisyan

 

Lévon Minasian, connu en Arménie pour la réalisation des films Piano (2011) ou encore Bravo Virtuoso (2016), mène aussi une activité de formation professionnelle dans le domaine du cinéma à l’École supérieure de Réalisation audiovisuelle en France. Tamara Stepanyan, elle, est auteure de plusieurs films primés aux festivals internationaux de Locarno, de Busan, d’Amiens, ou de l'Étoile de la SCAM en France. Elle travaille actuellement sur trois projets de films documentaires et un autre de fiction.

De retour dans leur pays natal, Lévon et Tamara ont rencontré les jeunes artistes de l'Atelier d’art dramatique à Erevan et à Gyumri afin de leur donner le goût du travail à la caméra et ses notions essentielles. Le Courrier d’Erevan a recueilli leurs témoignages et revient sur leurs impressions de travail.

 

Qu’ avez particulièrement travaillé avec les stagiaires durant votre atelier ?

Lévon Minasian : Généralement, les exercices de l’Atelier portent sur le travail de l’acteur sur scène. Sachant qu’un acteur sera aussi amené à travailler au cinéma et à la télévision, j’ai pensé qu’il serait intéressant et surtout utile d’initier les jeunes professionnels au jeu devant la caméra, en situation, comme sur un vrai tournage. La plupart des stagiaires n’en avaient aucune expérience et les exercices se sont révélés aussi amusants que pédagogiques. Ils ont pu voir et comprendre les différences majeures entre le travail de l’acteur sur scène et devant la caméra.

Tamara Stepanyan : Avant tout, je voudrais dire que c’était pour moi une première expérience de travailler avec des acteurs et des actrices arméniennes et un plaisir. J’ai découvert des talents mais ils m’ont beaucoup donné aussi. Durant mon atelier, nous avons principalement travaillé sur ce qu’est être acteur au cinéma, mais pas seulement. J’ai choisi quelques scènes de films français assez connus, de Pialat, de Rohmer et je les ai travaillées avec eux. L’idée était de composer des petits groupes où les acteurs doivent jouer devant la caméra pendant qu'un autre groupe se charge de la réalisation : il y avait une équipe-plateau complète : chefs-opérateurs, réalisateurs, ingénieurs de son, assistants, et cætera. Je voulais donner aussi l’idée de ce qui se passe derrière la caméra : un acteur doit aussi comprendre comment travaille le réalisateur ou la réalisatrice. L’exercice consistait don à être des deux côtés de la caméra: devant et derrière. Nous avons tourné plusieurs versions et à la fin, nous avons monté ensemble. Les stagiaires m’ont dit que pour eux aussi, ce travail pour le cinéma, derrière la caméra, c'était une première expérience.

 

Que souhaitiez-vous leur transmettre ?

L.M : Des compétences professionnelles, tout d’abord, en leur expliquant les particularités du jeu devant le dispositif complexe d'une caméra de cinéma moderne avec projecteurs, micros et câbles, pour ensuite leur faire découvrir la particularité du jeu au cinéma, profondément différent de celui du théâtre. Ce n’est pas la même perception que celle donnée par la présence de spectateurs

Je voulais aussi leur apprendre à se comporter sur un plateau de tournage, ce qui n’est pas le moins important, à mon avis. J’ai souvent et longuement parlé de valeurs telles que le respect d’autrui, la ponctualité, l’humanité, la simplicité, la tolérance, l’esprit de groupe et d’autres attitudes ou des comportements qui rendent un tournage productif, facile et agréable.

T.S : Pour moi, la transmission est quelque chose de très important tant au cinéma que dans la vie. Que transmet-on aux autres ? À des élèves, à des enfants… Je possède une bonne expérience du cinéma, du théâtre et de l’écriture. J’ai envie de la transmettre et j’espère que j'y suis arrivée,  cet amour pour le cinéma notamment, parce que ces stagiaires ont beaucoup de curiosité et de passion pour le théâtre, mais peut-être pas assez pour le cinéma. Je crois que j’ai aussi réussi à susciter de l'intérêt et de la curiosité pour le cinéma français en leur parlant de Pialat, de Rohmer ou de Desplechin. Ils ne les connaissaient pas. Je pense avoir fait quelques ouvertures, donné quelques clés, maintenant, c’est à eux d’ouvrir les portes, d’être curieux, de regarder, de chercher et de décrocher des rôles dans des films.

Le travail que j'ai effectué était très complémentaire de celui de Lévon avec, justement le but de préparer les stagiaires à jouer dans des films. Mais pas seulement. J’ai parlé du cinéma français, des méthodes de travail que nous utilisons en France. Je crois que les réalisateurs travaillent de manières différentes en Arménie. Je pense que le but de cet atelier était aussi de donner un peu de lumière, de visibilité aussi sur une autre manière de travailler. Et je pense qu'avec Lévon nous y sommes parvenus.

 

Comment avez-vous perçu le travail avec les jeunes artistes et quel était leur propre perception du cinéma ?

L.M. : Tourner un film dans l’enthousiasme général est toujours une chose amusante et agréable. Les jeunes acteurs se sont donnés au maximum dans les exercices. Ils ont compris les difficultés, les particularités et les pièges que peut rencontrer l’acteur sur un plateau de tournage, mais aussi le plaisir qu’il peut éprouver après une prise ou une séquence réussie. La preuve ultime en a été la projection sur grand écran des exercices filmés. Les comédiens ont pu voir l'accomplissement de leur travail. Certains se sont vus à l’écran pour la première fois. L'euphorie était à son comble !

T.S. : Je vous avoue que j’ai été étonnée par leur disponibilité, par leur curiosité et leur passion. Ils étaient avant que j’arrive , ils répétaient leurs textes, ils avaient vraiment envie d’être là… Cela m’a fait très plaisir. La vie d’un artiste, c’est quoi ? On accumule des bagages, des valises, des choses qu’on a vécues, des choses qu’on va vivre, qu’on a envie de vivre. On transporte tout cela avec nous, d'un pays à l'autre, à travers des pièces de théâtre, des films... Je pense que cela leur a fait très plaisir de voir le résultat de leur travail sur le grand écran, pour eux c’était impressionnant, ils étaient fascinés et ont commencé à analyser chaque scène et chaque fois, d'un groupe à l'autre, leur interprétation étaient si différente….

Ils ont aussi appris que l’acteur n’est pas une marionnette qui fait ce que le réalisateur lui demande. Ils ont leur mot à dire, à rendre leur interprétation. C’est le travail du cinéaste, un travail collectif. On n’est pas là pour donner des ordres, mais pour travailler ensemble.

 

Avec quoi êtes-vous repartis ?

L.M. : J’ai quitté l’Atelier et les stagiaires avec une certaine tristesse : notre temps était limité et j’avais encore tellement à leur transmettre. Mais avec joie et espoir également car je voyais leur enthousiasme et leur curiosité grandir de jour en jour. Je repars avec le sentiment d’avoir apporté ma toute petite contribution à l’avenir professionnel de quelques jeunes comédiens et le cœur plein de joie de la mission accomplie.

T.S. : Dans ma petite valise j’emporte beaucoup de joie, de passion, mais aussi la tristesse de quitter ces jeunes auxquels je me suis vraiment attachée. Lorsqu’on travaille avec des acteurs dans le théâtre et le cinéma, Je pense qu’il y a beaucoup d’amour et de partage. Effectivement, nous nous sentions très liés, d'autant plus, comme je disais, que le cinéma et le théâtre réclament un effort collectif. On a fait un bon travail et le résultat est très intéressant. Je me sens encore plus riche qu’avant et j’espère qu’eux aussi. J’espère que j’ai réussi à transmettre ce que je savais et ce que j’ai vécu et je crois qu’on a rempli pas mal de valises. Ce travail m’a beaucoup donné aussi. Je les remercie donc d’avoir été si ouverts avec moi et de m’avoir donné, transmis, leur amour pour le jeu d’acteur, leur passion et leur jeunesse.