Un peu plus d'un an après sa nomination, l'ambassadrice de France, Anne Louyot dresse pour le Courrier d'Erevan l'instantané des relations économiques, politiques et culturelles entre la France et l'Arménie.
Madame l’ambassadrice, le rôle et la place de la France dans la société arménienne, déjà très importants, grandissent d’une manière spectaculaire suite aux derniers développements géopolitiques. Comment commenteriez-vous cette réalité ?
L’amitié franco-arménienne ne date pas d’hier. Elle repose sur une longue histoire et une coopération riche et diversifiée. En matière éducative et culturelle, elle s’appuie notamment sur le Service culturel de l’Ambassade, le Lycée français Anatole France et l’Université française en Arménie (UFAR), et les établissements qui enseignent le français et entretiennent des partenariats avec des institutions françaises. La mise en place prochaine de l’Institut français permettra d’enrichir encore notre présence culturelle et linguistique. En matière économique, une impulsion forte a été donnée avec la signature d’une feuille de route par les Ministres Mirzoyan et Lemoyne l’année dernière, et l’organisation du Forum Ambitions France Arménie le 9 mars dernier. Nous continuons à travailler dans cette direction. Enfin, de nombreuses coopérations décentralisées existent entre la France et l’Arménie, et une nouvelle vient d’être annoncée – entre la région Auvergne Rhône Alpes et le Syunik, ce qui est une très bonne chose compte tenu de la vulnérabilité de cette région arménienne.
La France, comme vous le savez, en sa qualité de coprésidente du Groupe de Minsk de l’OSCE, a œuvré pendant des années au règlement du conflit du Haut-Karabagh. Après les difficultés que ce format a rencontrées, notamment après l’invasion de l’Ukraine, la France a continué de soutenir le processus de paix, à titre bilatéral et en contribuant aux efforts déployés par l’Union européenne.
C’est à ce titre que le Président Macron a souhaité réunir MM Pashinyan et Aliyev à Prague le 7 octobre dernier, en marge du Sommet de la Communauté Politique européenne, conjointement avec le Président Charles Michel. Les résultats de cette rencontre quadrilatérale sont très importants pour la suite du processus de paix : référence à la déclaration d’Alma Ata de 1991, qui disposait notamment que les frontières administratives de l’ex-URSS devenaient des frontières internationales; envoi d’une mission civile de l’UE dans les régions frontalières touchées par les récentes attaques des 13 et 14 septembre. Le Président Macron avait d’ailleurs immédiatement réagi à ces attaques, en appelant au respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie. Enfin, la conseillère diplomatique du Président Macron en charge de la région et l’envoyé spécial pour le Sud Caucase, Brice Roquefeuil, s’étaient rendus à Bakou et Erevan pour poursuivre les échanges avec les deux gouvernements sur le processus de paix et les droits et garanties de sécurité pour les habitants du Haut Karabagh.
Ces résultats encourageants découlent donc d’un engagement de longue haleine de la France aux côtés de l’Arménie et en faveur du rétablissement de la paix et de la stabilité dans le Sud Caucase. Beaucoup reste à faire, nous restons donc concentrés sur notre objectif, je dirais même notre obsession : le retour de la paix en Europe et dans son voisinage.
Le président Emmanuel Macron a demandé et obtenu l'envoi d'une délégation d'observateurs de l'Union Européenne afin « d'aller sur le terrain constater les infractions pour permettre ensuite à la communauté internationale de se prononcer ». Quarante d'entre eux, venus de Géorgie, sont désormais déployés sur le terrain. Quels sont les premiers retours que vous en avez ?
Cette mission civile, annoncée à l’issue du sommet quadrilatéral de Prague, a été déployée en un temps record en Arménie, à partir du 20 octobre, pour une durée de deux mois. Le Président Macron a effectivement joué un rôle majeur dans cette décision, avec le Président Michel, et avec l’accord, naturellement, des États membres de l’UE. Le mandat de cette mission de 40 personnes, prélevée sur la mission de l’UE en Géorgie, est d’observer la situation à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en vue de vérifier le respect du cessez le feu et contribuer aux travaux de la commission chargée de la délimitation de la frontière.
Laissons les observateurs faire leur travail, ils rendront leurs conclusions à l’issue de leur mission. Ces conclusions, nous l’espérons, permettrons d’alimenter le processus de paix et de soutenir l’action mise en œuvre par le gouvernement de M. Pashinyan, qui a fait le choix courageux d’engager son pays dans la voie de la négociation.
Vous avez fait partie de la délégation qui a visité Jermuk quelques jours après l’agression azerbaïdjanaise. Qu’avez-vous vu ? D’une manière plus générale, pouvez-vous vous déplacer librement sur tout le territoire souverain de la République d'Arménie, à savoir dans les zones de ce territoire occupées par les forces armées azerbaidjanaises depuis le 14 septembre de cette année et auparavant depuis le 12 mai 2021 ?
Je me suis en effet rendue dans les régions touchées par les attaques des 13 et 14 septembre, à Jermuk, Sotk et Kut dans le cadre de visites organisées pour la communauté diplomatique par les Ministères des Affaires étrangères et de la Défense, et dans le Syunik avec la défenseure des droits, Mme Kristine Grigoryan, qui a fait un travail remarquable d’identification et vérification des atteintes portées aux personnes et aux biens. J’y ai rencontré les autorités locales et les habitants. Nous avons tous constaté les dégâts occasionnés par les attaques sur des habitations et des infrastructures civiles. Il appartiendra aux missions de l’UE et de l’OSCE d’établir avec précision l’ampleur des dégâts et des incursions sur le territoire arménien.
L'Arménie semble en train de tourner le dos à la Russie et à l'OTSC sur lesquelles visiblement elle ne peut plus compter, pour regarder du côté de l'Ouest, Etats-Unis et France en tête. A-t-elle raison de le faire ?
L’Arménie est membre de l’OTSC et a adressé à ce titre une demande d’assistance à l’organisation. Il ne m’appartient pas de commenter les suites réservées à cette demande. Elle a également adressé une demande à l’UE et à l’OSCE, qui ont dépêché des missions sur place, avec l’appui de la France. Comme je l’ai indiqué, ces missions seront très utiles pour permettre d’établir les faits et contribuer ainsi au processus de paix et de délimitation de la frontière.
Les Etats-Unis sont également très impliqués, et je me réjouis notamment de la rencontre qui vient d’avoir lieu à Washington entre les ministres Mirzoyan et Bayramov, sous l’égide du Secrétaire d’État Blinken.
La sécurité de l’Arménie dépend d’un équilibre entre l’ensemble de ses partenaires, nous le comprenons et sommes déterminés à poursuivre notre soutien au processus de paix en prenant en considération les contraintes géostratégiques qui pèsent sur la région.
« Nous ne lâcherons pas les Arméniennes et les Arméniens, nous ne les lâcherons jamais » … Ce sont les mots du Président Macron. En cas de reprise du conflit, la France ira-t-elle jusqu'à armer les Arméniens comme elle le fait pour les Ukrainiens ? Jusqu'où ira-t-elle pour les protéger? Qu'est-elle prête à faire ? Avez-vous été consultée à ce sujet ?
La France a condamné les violations de l’intégrité territoriale de l’Arménie, comme elle l’a fait pour l’Ukraine. Notre objectif est de tout faire pour éviter la reprise du conflit, alors que toute la région pâtit déjà des conséquences de la guerre en Ukraine. C’est la raison de notre appui résolu aux négociations en cours, en coordination étroite avec l’Union européenne et les Etats-Unis. Une mission du Ministère des Armées s’est récemment rendue à Erevan pour renforcer notre coopération en matière de défense, en l’adaptant au mieux aux besoins et au contexte. Vous le voyez, nous ne lâchons pas les Arméniennes et les Arméniens…
Malgré l’ordre du jour politique intense, le développement économique de l’Arménie reste une priorité. Quelles est l’agenda économique franco-arménien ? Par exemple, la compagnie Véolia représentée en Arménie par sa filiale Véolia djur, semble réaliser des projets ambitieux ?
L’Ambassade soutient les projets portés par les entreprises françaises déjà présentes en Arménie, comme Veolia qui ne ménage pas ses efforts pour améliorer la qualité de son service au public arménien, mais aussi Amundi ACBA, Pernod Ricard ou Carrefour, entre autres. En lien avec les différents acteurs publics et privés de notre relation économique, nous travaillons à la mise en œuvre de la feuille de route agréée en décembre dernier, en étroite concertation avec le gouvernement arménien et en adéquation avec le programme d’action de l’Union européenne en Arménie. Nous espérons que ces efforts porteront leurs fruits, notamment dans les secteurs identifiés comme prioritaires par le gouvernement arménien, comme les infrastructures routières, les énergies renouvelables, l’agriculture ou le tourisme. Nous sommes prêts à accompagner les autorités arméniennes pour mieux valoriser les opportunités du marché arménien et les atouts de leur territoire. Une mission de l'AFD (Agence Française du Développement), dirigée par M Bélier, se rend la semaine prochaine en Arménie pour renforcer son action dans le pays. L'Agence disposera désormais d'un bureau à Erevan.
Dans moins d'un mois, l'Arménie passera le flambeau de la Présidence du sommet de la Francophonie, quel bilan dressez-vous de ces quatre années ?
Le XVIIe Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Erevan en 2018 a eu un grand retentissement et a renforcé l’intérêt des jeunes Arméniens pour le français et la Francophonie. On le constate notamment par l’augmentation de la demande de français dans l’enseignement public, et par l’accroissement des effectifs de l’UFAR et du Lycée français Anatole France.
L’OIF soutient des projets en Arménie, notamment en faveur du programme de français renforcé ainsi que pour les formations à destination des fonctionnaires arméniens.
Nous avons convenu avec le ministère de la Culture, de l’Éducation, des Sciences et des Sports de travailler ensemble à consolider la francophonie en Arménie, en établissant une feuille de route ambitieuse. Nous avons déjà fait plusieurs propositions dans ce sens, pour améliorer la qualité et l’attractivité de l’enseignement et consolider la place du français dans le système éducatif.
L’appartenance à l’OIF, c’est aussi partager les valeurs de la Francophonie. L’Ambassade de France y contribue notamment en organisant des conférences et débats d’idées (invitations des intellectuels Michel Wieviorka, Gisèle Sapiro et Jean Radvanyi), et en participant aux projets conjoints portés avec d’autres membres ou observateurs de l’OIF.
La paix vient aussi de la libre circulation et confrontation des idées, et la valorisation des différences, qui sont les fondements de la Francophonie !