En marge du Conseil des ministres de ce 24 mars, Nikol Pashinyan a tenu ce matin à s'adresser à la nation arménienne à une heure ou la montée des tensions, qu'elles soient internationales ou régionales, l'une entraînant l'autre, placent l'Arménie, directement et indirectement, dans une position délicate pour ne pas dire préoccupante quant à sa sécurité, aussi bien territoriale qu'économique ou démographique, voire existentielle.
Par Olivier Merlet
Le premier ministre s'est exprimé sur plusieurs sujets, réagissant tout d'abord au communiqué, hier, du ministère des Affaires étrangères d'Azerbaïdjan, suite à la saisine des instances internationales par les autorités Arméniennes et Karabakhtsis au sujet de la coupure de l'approvisionnement en gaz de la République auto-proclamée. Ce communiqué, en substance, reprochait à l'Arménie son « approche persistante et non constructive […] [révèlatrices] de ses véritables intentions », lui recommandant de « contribuer à la paix et à la sécurité régionales par le retrait du reste de ses forces armées dans la région ».
Pour le premier ministre, les intentions de Bakou de provoquer dans la région une nouvelle crise humanitaire sont claires. Usant d'un même ton plutôt surprenant par rapport aux volontés d'ouverture pacifiste dont il se réclame par ailleurs, il n'a pas manqué au passage de vivement fustiger son opposition et ses prédécesseurs, avant de réitérer les différentes dispositions auxquelles il était favorable : retrait miroir, assorti de retraits locaux de certains points chauds - Yerask notamment - le long d'une frontière dont il réclame d'accélérer la démarcation, et à l'ouverture de communication régionales, dont il se demande si elles demeurent toujours d'actualité.
Abordant enfin les questions intérieures, notamment économiques, liées aux conséquences de la guerre en Ukraine et sociales, il a affiché sa confiance dans les performances économiques nationales, encouragées même par le récent afflux de ressortissants étrangers sur le territoire. Quant au volet social, après avoir justifié, par le nombre, l'augmentation du traitement des employés de l'état au détriment des salaires en général et des pensions, Nikol Pashinyan a fait part à ses compatriotes de sa plus vibrante compassion : « vos douleurs sont dans nos cœurs, tous vos besoins sont dans nos esprits, tous vos rêves sont dans nos âmes ».
Nous reproduisons ci-après l'intégralité du discours du premier ministre.
Une flexibilité sans précédent est nécessaire pour parvenir à la concrétisation de la solution souhaitée pour nous qu carrefour le plus important de l'histoire de la Troisième République.
Nikol Pashinyan
"Chers participants à la réunion du Cabinet, chers compatriotes.
Depuis trois jours maintenant, les citoyens de la République d'Artsakh sont privés d'approvisionnement en gaz naturel. Cela s'est produit à la suite de l'intervention de l'Azerbaïdjan.
Comme vous le savez, le 7 mars dernier, le gazoduc qui alimente l'Artsakh a explosé dans une zone sous contrôle azerbaïdjanais. Sous divers prétextes, l'Azerbaïdjan n'a pas permis la réparation du gazoduc et a fini par le réparer elle-même. À la suite de cette réparation, selon nos informations, une vanne a été installée sur le gazoduc.
Et donc, le 18 mars, après avoir rétabli l'approvisionnement en gaz de l'Artsakh pendant quatre jours après onze jours d'interruption, le 21 mars, l'Azerbaïdjan a tout simplement fermé la vanne du gazoduc sans qu'il y ait eu d'explosion, prouvant ainsi qu'il était également l'auteur de l'explosion du 7 mars.
Il convient particulièrement de noter que les deux suspensions de l'approvisionnement en gaz ont lieu dans des conditions météorologiques exceptionnelles.
Le 7 mars, une quantité de neige sans précédent est tombée en Artsakh au cours des trente dernières années et la température de l'air a chuté à un niveau sans précédent. Le 21 mars, le record de chute de température et de chute de neige a été dépassé et la chute de neige a atteint par endroits un mètre et demi, dans la capitale Stepanakert un mètre, la température de l'air est tombée à -8 degrés. Et dans ces conditions, l'Artsakh a été délibérément privé de l'approvisionnement en gaz naturel qui est vital pour le chauffage des appartements, des jardins d'enfants, des écoles et des hôpitaux.
Il suffit de comprendre qu'en raison des actions de l'Azerbaïdjan, l'Artsakh est au bord de la catastrophe humanitaire. Je ne doute pas que, bien sûr, le peuple héroïque de l'Artsakh surmontera lui aussi cette épreuve. Mais dans cet esprit, je dois dire que l'Azerbaïdjan, par ses actions, rend également service au peuple de l'Artsakh, car cet épisode du gazoduc est une expression très précise et concise de la question de l'Artsakh pour la communauté internationale. Grâce à cet épisode, la communauté internationale peut comprendre l'essence de la question du Karabakh sans avoir à feuilleter des centaines de pages et à étudier les nuances de l'histoire.
Cet épisode montre sans équivoque la politique de l'Azerbaïdjan à l'égard des Arméniens de l'Artsakh, à savoir rendre impossible pour eux de vivre dans leur propre patrie. Depuis près d'un an et demi maintenant, l'Azerbaïdjan se vante d'une victoire glorieuse dans la guerre des 44 jours de 2020, mais tout montre le fait qu'après tant de souffrances et de privations en Artsakh, aujourd'hui, en ce moment même, vivent environ 117.000 Arméniens. L'Azerbaïdjan considère que c'est sa plus grande défaite et elle s'est fixée la tâche de tout faire pour achever la politique de nettoyage ethnique en Artsakh.
En ce sens, la déclaration publiée hier par le ministère azerbaïdjanais des affaires étrangères, selon laquelle la question de l'approvisionnement en gaz de l'Artsakh est une affaire intérieure de l'Azerbaïdjan, est très symbolique.
Si nous traduisons cette déclaration en langage diplomatique, elle signifie "communauté internationale, ne regardez pas par ici et laissez-nous achever la politique de nettoyage ethnique et génocidaire à votre insu ou sous le couvert d'"opérations antiterroristes". Cela ne peut se produire. Le service diplomatique arménien, les autres fonctionnaires, les forces politiques, les médias, les organisations non gouvernementales, les individus, à travers les réseaux sociaux, doivent présenter en détail les événements des 15 derniers jours en Artsakh à la communauté internationale et à toutes les instances.
Chers compatriotes,
Bien sûr, beaucoup réagissent à cette situation en rappelant et en critiquant notre politique d'ouverture d'une ère de développement pacifique pour notre pays et la région. Mais je tiens à affirmer sans équivoque qu'il n'y a pas d'alternative à la politique que nous avons adoptée. Au contraire, avec ces actions, ces diverses provocations, l'Azerbaïdjan tente de nous détourner de l'agenda de la paix, de délégitimer cet agenda, de donner vie à sa politique visant à provoquer de nouvelles escalades dans la région, de nouvelles guerres. Mais nous ne devons pas céder à de telles provocations. J'ai dit que nous avions besoin de nerfs solides pour mettre en œuvre l'agenda de paix, nous ne devons en aucun cas dévier de notre stratégie déclarée. Une stratégie est une stratégie en ce sens qu'elle doit nous guider dans toutes les situations.
Vous savez, bien sûr, qu'après la première explosion du gazoduc, une proposition en cinq points pour la normalisation des relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan a été remise à la République d'Arménie le 10 mars. Le 14 mars, nous avons répondu très rapidement à ces propositions par écrit, et nous nous sommes adressés aux coprésidents du groupe de Minsk de l'OSCE, en demandant de l'aide pour organiser des pourparlers de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Et le 21 mars 2022, le ministre des Affaires étrangères de l'Arménie a exprimé l'évaluation générale de l'Arménie sur les propositions soumises par l'Azerbaïdjan, et cette évaluation est la suivante. " Il n'y a rien d'inacceptable pour nous dans les propositions soumises par l'Azerbaïdjan le 10 mars. Ce qui l'est moins, c'est que ces propositions n'abordent pas toutes les questions figurant dans l'agenda de paix global entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Avec notre réponse aux coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE, nous avons complété l'agenda, et nous sommes donc prêts à entamer des pourparlers de paix sur cette base."
Le soir de la publication de cette position, l'Azerbaïdjan ferme le gazoduc qui alimente l'Artsakh. Notez que l'Arménie déclare que les propositions de l'Azerbaïdjan sont acceptables pour l'Arménie, mais l'Azerbaïdjan ferme le gazoduc, c'est la plus grande preuve que la politique de l'Azerbaïdjan est de nous détourner de l'agenda de la paix.
À propos, l'opposition radicale arménienne n'est pas non plus satisfaite de notre déclaration, nous critiquant pour avoir accepté le principe de l'intégrité territoriale comme principe de normalisation des relations. Cette critique est plus qu'étrange, car Robert Kocharyan, qui est rentré à Erevan du sommet de l'OSCE à Istanbul le 19 novembre 1999 et qui a voté pour la Charte de sécurité européenne qui défend le principe d'intégrité territoriale, a littéralement déclaré à l'aéroport de Zvartnots à Erevan en réponse à la question d'un journaliste, je cite : "Si nous parlons de l'intégrité territoriale en général, alors nous ne devrions pas dire que nous sommes contre. Nous avons aussi un territoire, et nous pensons aussi que ce territoire doit respecter un tel principe", fin de citation.
Après cela, Serge Sargsyan a également négocié pendant de nombreuses années sur le règlement du conflit du Haut-Karabakh, acceptant le principe de l'intégrité territoriale comme l'un des principes de base du règlement. Ainsi, aucune spéculation n'est de mise ici.
Nous pensons que la question du Haut-Karabakh n'était pas une question de territoire, et ce n'est pas le cas maintenant, c'est une question de droits et nous protégerons systématiquement tous les droits des Arméniens de l'Artsakh, sans négliger les droits des autres peuples, car, comme Serge Sargsyan l'a déclaré à juste titre dans l'une de ses récentes interviews, nous ne sommes pas des fascistes.
Chers participants, chers compatriotes,
La situation dans le monde et dans la région est tendue, et nous nous considérons responsables de la réduction de cette tension et de la recherche de solutions fondamentales. À cet égard, oui, nous pensons que les pourparlers de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan devraient commencer dès que possible.
Dans le même temps, il convient de noter la nécessité d'accélérer la démarcation et la délimitation des frontières, ainsi que les mesures visant à accroître la sécurité et la stabilité des frontières. Vous savez, bien sûr, que nous avons proposé un retrait simultané des troupes de la frontière, en référence à la frontière établie de jure entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan à l'époque soviétique.
Mais je veux que vous sachiez qu'en plus du retrait complet, nous avons fait des propositions de retraits locaux, et là encore nous attendons la réponse de l'Azerbaïdjan. En particulier, dans la section de Yeraskh, nous avons proposé qu'ils retirent quelques positions de notre territoire, et que nous retirions quelques positions de leur territoire, résolvant ainsi la question de l'un des points les plus chauds de ces dix-huit derniers mois. Comme je l'ai dit, nous attendons la réponse de l'Azerbaïdjan.
À propos, après un certain nombre d'événements récents, nous n'avons pas compris si l'Azerbaïdjan souhaite ou non l'ouverture de communications régionales. S'il le souhaite, nos propositions restent en vigueur, et nous sommes prêts à commencer leur mise en œuvre à tout moment, littéralement à tout moment. J'ai parlé du projet de carrefour arménien à plusieurs reprises, maintenant je ne vois pas la nécessité d'entrer dans les détails.
Chers compatriotes,
Je veux maintenant me tourner vers vous. Nous savons que la situation sociale en Arménie s'aggrave. Mais nous devons savoir que le monde entier est dans la même situation, le monde est dans une phase de niveau élevé d'inflation sans précédent, vous pouvez trouver les raisons de cela en regardant les nouvelles à tout moment. Et l'Arménie est toujours dans une meilleure position dans ce sens, par rapport à beaucoup, beaucoup de pays. Et ce qui est la politique du gouvernement à cet égard, a été vu en 2019, lorsque les prix des denrées alimentaires augmentaient dans le monde entier, et que l'Arménie était l'un des rares pays au monde où le contraire se produisait - la déflation alimentaire. Parce que nous avons éliminé les monopoles artificiels, aujourd'hui l'Arménie est un pays libre en termes d'importations et d'exportations, et suite aux mesures prises, les prix d'un certain nombre de biens importants en Arménie n'augmentent pas, en fait, n'augmenteront pas, dans certains cas nous avons des réductions de prix. J'espère que nous aurons des réductions de prix pour d'autres produits dans un avenir proche.
Bien sûr, nous comprenons que nous devons mettre en œuvre une politique qui atténue les problèmes sociaux, nous le faisons autant que possible, autant que le budget du pays le permet, qui est formé par les impôts que nous payons tous. Et l'efficacité avec laquelle nous collectons les impôts est illustrée par les données de 2021, l'année la plus critique pour nous, lorsque les recettes fiscales du budget de l'État ont dépassé les prévisions d'environ 147 milliards d'AMD. Et si nous ne comptons que les recettes supplémentaires reçues sans modifications législatives - environ 110 milliards AMD. En général, après 2018, les recettes fiscales de notre budget ont augmenté d'environ 35 %, comme je l'avais promis pendant la Révolution populaire non violente et de velours.
Bien sûr, il y a des spéculations, parfois des critiques, selon lesquelles nous augmentons les salaires des agents de la force publique, et nous n'augmentons pas assez ou pas encore les retraites. Oui, mais il y a deux choses à garder à l'esprit. Premièrement, c'est une chose d'augmenter les salaires de 500 personnes, de 5 000 personnes, voire de 20 000 personnes, c'en est une autre d'augmenter les pensions de 550 000 personnes, ou les salaires de 600 000 personnes. Ce sont des dépenses budgétaires absolument différentes, de plus, ces dépenses ne sont pas ponctuelles, elles doivent être mises en œuvre pour toujours. Et, bien sûr, nous faisons de notre mieux pour tenir nos promesses préélectorales et, les promesses préélectorales n'ont même pas d'importance, pour prendre les décisions vitales nécessaires le plus rapidement possible.
D'autre part, nous augmentons les salaires des forces de l'ordre, du système judiciaire, tout d'abord pour le bien des citoyens ordinaires, parce que les forces de l'ordre s'occupent du sort et des droits des personnes, en outre, l'état de l'économie du pays dépend de la qualité du travail de ces systèmes. En tout cas, chers compatriotes, vous devez savoir sans équivoque que comme avant, aujourd'hui plus que jamais, toutes vos douleurs sont dans nos cœurs, tous vos besoins sont dans nos esprits, tous vos rêves sont dans nos âmes.
En ce qui concerne l'économie, je veux aussi parler de nouvelles optimistes. Nous devons affirmer que nous avons de bonnes raisons de maintenir l'activité économique. Selon les données des 20 premiers jours de mars, par exemple, le nombre de transactions enregistrées par la caisse enregistreuse en Arménie, par rapport aux 20 premiers jours de mars de l'année dernière, a augmenté d'environ 510 mille transactions, et le chiffre d'affaires monétaire a augmenté de 60 milliards d'AMD, soit plus de 120 millions de dollars. Bien sûr, ce n'est pas un indicateur fondamental, mais c'est un certain signal positif, qui est lié au fait qu'en 2022 nous avons un grand afflux de personnes en République d'Arménie, ce qui créera des effets économiques assez bons.
Il est important que nous ayons un record absolu de 646 077 emplois enregistrés en février, un record absolu pour le mois de février, soit 10,3% de plus qu'en 2021, et 12,7% de plus qu'en 2019. Il en va de même pour le salaire moyen : le salaire moyen des employés enregistrés en février 2022 est de 223 235 AMD, soit 9% de plus qu'en 2021, par rapport à février 2019 - 25,3%. Je tiens à vous rappeler que 2019 a été notre meilleure année, et les comparaisons se font avec cette année-là.
Mais je dois aussi dire que, malheureusement, la situation socio-économique n'est pas le plus grand défi auquel notre pays est confronté.
Chers collègues, chers compatriotes,
Vous voyez ce qui se passe dans le monde. Ce qui se passe dans le monde a commencé par ce qui nous est arrivé, et ce qui se passe aujourd'hui a et aura un impact direct sur nous.
Nous nous trouvons au carrefour le plus important de l'histoire de la Troisième République, un point où le statut d'État arménien est apparu plus d'une fois. Et pour pouvoir atteindre le point culminant souhaité à partir de ce même point historique, nous avons besoin d'une flexibilité sans précédent, d'un état totalement non émotionnel. Nous avons besoin de nouvelles formules de pensée. Et nous devons emmener notre navire, notre bateau dans cet océan géopolitique houleux vers un havre de paix. Et je suis sûr que nous y parviendrons, c'est notre mission historique.
Merci. "