"Engage Armenia" – Pour repenser et revitaliser le lien avec l'Arménie

Diasporas
02.02.2024

Le forum "Engage Armenia 2024" qui se tiendra dans huit villes en Europe du 6 au 13 mars prochain, ouvrira à tous les Arméniens un espace de dialogue conçu pour repenser, revitaliser et mettre en pratique leur engagement avec l'Arménie. Vartan Marashlyan, co-fondateur et directeur de Repat Armenia, en évoque la genèse et le but.

Propos recueillis par Olivier Merlet

 

Les représentants de onze organisations arméniennes ont formé une équipe unie et soudée par une même motivation : réengager la diaspora dans l'avenir de sa patrie. En mars prochain, ils se rendront dans huit grandes villes d'Europe, huit pôles "arméniens" en diaspora, pour lui fournir tous les moyens de le faire.

Londres, Amsterdam, Bruxelles, Paris, Alfortville, Genève, Lyon, Marseille… et sûrement d'autres villes encore à l'avenir. Du 6 au 13 mars 2024, ces onze Arméniens, d'âge et d'horizons divers mais tous issus de la diaspora (à une exception près) raconteront leur parcours et partageront leurs expériences dans un dialogue franc, individuel et personnalisé avec des Arméniens de l'étranger dont certains doutent aujourd'hui du bien-fondé de leur attachement au "Yerkir", au pays. Le chemin est là -les chemins ! -, ils en viennent pour dire et montrer qu'il est sûr, aménagé, et qu'il ne reste qu'à s'y engager pour que ça marche ! Pour l'Arménie et surtout pour eux.

 

Vartan Marashlyan : « La succession d'événements depuis 2020 a été si difficile et traumatisante pour tous les Arméniens du monde que beaucoup pensent qu'il n'y a plus d'avenir en Arménie et préfèrent prendre leurs distances avec le pays voire même avec leurs origines. Malgré ces temps d'incertitudes et de défis, rappelons-nous que l'Arménie existe depuis de nombreux siècles, depuis des milliers d'années. La nation arménienne a toujours survécu. Elle a pu le faire parce qu'un groupe d'Arméniens passionnés du monde entier, en Arménie-même et dans la diaspora, a pris des mesures concrètes pour prévenir et surmonter les épreuves qu'elle traverse encore aujourd'hui.

Le moment est venu, de nouveau. Alors qu'une certaine partie de la nation reste sans voix ou même nie les défis à relever, une partie de notre mission auprès de la diaspora consiste à essayer de trouver un nombre conséquent de personnes et d'organisations prêtes à combiner leurs efforts afin de tirer la nation et le pays de cette situation très difficile.

Il est très important de redémarrer, maintenant, à neuf, et c'est pourquoi nous avons appelé notre campagne "repenser et revitaliser votre engagement avec l'Arménie". Parce que les chocs et les traumatismes peuvent aussi être stimulants, pousser à agir ensemble, de manière professionnelle, parce que les défis sont aussi des moments d'opportunités.

 

Vous vous adressez aux Arméniens de la diaspora à un moment où beaucoup de gens en Europe et dans le monde, des "non-Arméniens", ont été très sensibilisés à la situation en Arménie. Ils seraient sûrement prêts à aider, eux aussi, d'autant plus qu'ils n'entretiennent ni déception ni amertume à son égard.  Pourquoi ne pas avoir souhaité élargir votre cible aux talents de toutes origines ?

Vous soulevez un point très important auquel j'adhère totalement. Notre mandat, toutefois, et la direction actuelle des affaires en Arménie consistent avant tout à mettre de l'ordre dans notre maison.

Nous avons donc décidé d'organiser cette tournée européenne à l'intention des Arméniens, tout d'abord. Si des non-Arméniens viennent aussi, tant mieux, nous en serons très heureux, mais notre objectif est que nous, Arméniens, qui attendons ce sursaut, fassions en sorte qu'il se produise. Originaires d'Artsakh, d'Arménie, de Javakhk ou de la diaspora, nous sommes tous Arméniens. La nation, au sens politique, c'est lorsque vous vous sentez responsables les uns des autres, que vous comprenez les raisons pour lesquelles vous devez tous rester unis. Pas seulement à cause de l'origine, pas à cause du passé, mais surtout pour le présent et l'avenir.

Comment réaliser son identité si l'on n'a pas de lien avec sa patrie ? Pourquoi l'Arménie doit-elle en faire partie intégrante ? Pourquoi l'Arménie est-elle si importante pour les Arméniens du monde entier ? Ce type de questions sera le fond de toutes nos présentations et des prises de parole de nos intervenants.

 

Quel sera le déroulé de chacune de vos interventions ?

Ces rendez-vous sont basés sur un format de franc dialogue. Le programme est intensif, les forums se tiendront le soir et en semaine, elles se composeront de deux parties. Présentations et tables rondes pour la première, ensuite, sans doute le plus important, il s'agira d'une mise en réseau active avec chaque participant. Nous resterons sur place jusqu'à la dernière personne, aussi longtemps que nécessaire, pour nous entretenir individuellement avec chacune d'entre elles.

Les présentations elles-mêmes comporteront deux grands volets. Le premier fera part de notre expérience de vie personnelle, du travail en Arménie, du volontariat et du soutien aux initiatives de terrain. La deuxième partie consistera en une brève présentation de celles en mises en œuvre par nos intervenants, avec une attention particulière accordée à ce que nous pouvons exactement proposer aux participants à la conférence. Nous accueillerons également des organisations locales afin qu'elles puissent présenter leurs programmes liés à l'Arménie et nous essaierons de donner la parole au public le plus tôt possible.

Chaque présentation sera suivie d'un appel à l'action. La présentation de "Birthright" Armenia, par exemple, indiquera comment se porter volontaire pour un stage en Arménie et l'expérience que l'on peut en retirer. En ce qui concerne la plateforme "Re-Armenia", nous expliquerons comment devenir mentor au sein d'une initiative majeure en Arménie. Pour "Teach for Armenia", nous verrons comment venir enseigner pendant deux ans dans les écoles des provinces d'Arménie et changer les regards par rapport à l'éducation.

Il y aura une très grande variété de sujets. Un orateur parlera de l'entrepreneuriat social, un autre expliquera la manière dont un bon programme de communication peut soutenir efficacement les initiatives de la diaspora, beaucoup de choses. Quels sont les secteurs les plus développés en Arménie ? Comment soutenir le développement touristique, par exemple ? Comment l'investissement dans l'hôtellerie peut-il rendre l'Arménie plus attrayante ? Et surtout, comment et qu'est-ce que tout cela peut apporter au développement de votre propre carrière ?

Nous parlerons principalement en anglais, mais aussi en français, en France, parce qu'il est important de comprendre la langue. Nous essaierons de rendre la présentation dans chaque ville aussi conviviale que possible pour le public. Il ne s'agira pas de présentation formelle des organisations, mais d'un partage d'expériences personnelles, à la fois personnelles et professionnelles. Pourquoi ai-je déménagé en Arménie ? Pourquoi j'ai décidé de faire ce que je fais ? Et en quoi cela vous concerne, vous, qui êtes venu me rencontrer.

Nous avons généralement beaucoup de clichés en tête sur ce qu'est l'Arménie. Mais en fait, la réalité de ce que le pays peut offrir est bien plus vaste et très peu de gens la connaissent.

 

Précisément, entre les expériences personnelles réussies dont les intervenants feront part et la réalité, ici sur le terrain, les choses peuvent être perçues différemment. Il peut y avoir un réel décalage entre le souhait des personnes que vous allez rencontrer et la possibilité ou les conditions réelles de sa réalisation...

Exactement, c'est pourquoi la conversation sera franche et ouverte, en parlant des défis à relever et des solutions que l'on peut y apporter. Nous n'avons pas l'intention de bercer les gens d'illusions ou d'images erronées. Nous nous concentrerons sur la manière de gérer, de minimiser ou de surmonter ces défis. Nous ne serons peut-être pas en mesure de répondre à toutes les attentes sur le champ, bien que nous arrivions avec des ressources très fortes qui sont celles de notre réseau, de nos contacts et de nos incitants.

Si une question particulière ne peut être résolue au cours de la réunion, nous y donnerons tout le suivi et les réponses nécessaires dès notre retour afin de pouvoir passer à l'étape suivante. Aucune question ne restera sans réponse. Le suivi des participants s'étalera ensuite sur le temps, avec des points réguliers, à un mois, trois mois, six mois pour voir ce qui se passe.

 

Qui sont les membres de votre équipe et comment l'avez-vous formée ?

Nous sommes onze individuels, tous issus de milieux très différents. Nous nous voulons un groupe d'inspirateurs, de faiseurs d'impact, d'anciens membres de la diaspora venus d'Arménie partager leur expérience, toutes différentes, donner des idées, apporter notre soutien et présenter toute la variété de moyens qui existe pour le faire à ceux qui voudraient s'engager avec l'Arménie, pas nécessairement en partant y vivre, mais en s'engageant.

Sur les onze personnes, dix viennent de France, du Canada des États-Unis, de Russie, d'Inde et du Liban. Onze personnes, sept pays, avec l'Arménie. Je pense qu'il est très important pour les participants qui assisteront à ces forums de voir à quel point les gens peuvent être unis s'ils partagent la même vision. Et si encore une fois nous sommes tous très différents, nous visiterons chaque ville comme une véritable équipe, unie, sans division sur le rôle de chacun et s'épaulant les uns les autres de différentes manières.

Les communautés que nous rencontrerons, elles-mêmes dispersées parfois, avec leurs propres problèmes, seront très étonnées, je pense, de voir une équipe arménienne de professionnels, de personnes brillantes, venir et parler sans rien demander à la diaspora, pas d'argent, rien. Nous venons au contraire pour aider les gens et les organisations, sur une base individuelle, à repenser et à revitaliser leur lien avec la patrie.

 

Comment s'est effectué le choix des villes que vous allez visiter ?

Dans tous les pays qu'allons couvrir, le choix des villes s'est effectué selon l'importance de la communauté qu'elles abritent. Nous souhaitons aussi renouveler et élargir cette opération, non seulement sur un plan géographique, mais aussi sur le plan thématique, à toutes les façons de s'engager vers et avec la patrie. Nous comprenons qu'il y a un besoin pour ce type de dialogue essaierons de le rendre régulier, que ce soit à en ligne ou en organisant de nouveaux déplacements. La régularité est essentielle pour mettre en place et entretenir cette nouvelle culture visant à rendre l'Arménie partie prenante de l'identité de chaque Arménien. On ne peut pas juste lancer l'idée et ne revenir que cinq ou dix ans après.

Nous devons trouver le bon format pour que ces gens de la diaspora déconnectés de la patrie comprennent combien il est important, non seulement pour l'Arménie, mais aussi pour eux-mêmes, d'être en ligne directe avec la patrie.

 

Quelles sont vos attentes en termes de participants, quel public espérez-vous toucher ?

Nous espérons réunir une centaine de participants à chaque rendez-vous, s'il y en a davantage, tant mieux. L'inscription se fait en ligne, dans toutes les langues, de façon à ce que nous sachions précisément à l'avance qui sera présent et les thèmes souhaités voir abordés afin de pouvoir adapter sur mesure chacune de nos interventions.

Elles sont ouvertes à tous, sans limitation d'âge. La plupart d'entre eux sont généralement de jeunes professionnels, entre 25 à 40 ans, mais des personnes plus âgées se sont aussi manifestées, ils sont en retraite et aimeraient se rapprocher de l'Arménie. Ils envisagent de renouer des liens ou même de s'y installer. Nous avons également des Arméniens qui ont quitté leur pays, qui sont maintenant intégrés dans leur nouvelle société, mais qui se posent la question de savoir ce que l'Arménie représente pour eux et ce qu'ils pourraient lui apporter. Il y a encore d'autres personnes qui n'ont jamais visité l'Arménie auparavant et cherchent à retrouver des repères sur leur origine et leur identité arméniennes.

C'est un grand mélange de personnes et un mélange très intéressant de tous les groupes de la diaspora.

 

Comment la résumeriez-vous, cette identité arménienne que vous souhaitez promouvoir ?

C'est une question très difficile et qui demande encore réflexion. Comme je l'ai dit, nous sommes très anciens en tant que nation, au regard de l'histoire, mais en termes politiques, nous avons encore beaucoup de choses à comprendre. Je pense tout d'abord qu'être arménien, c'est respecter ses racines et son passé, mais c'est aussi s'attacher à garantir le présent et l'avenir, en tant qu'État et en tant que nation. Ces deux choses sont profondément liées.

Il n'y a pas d'avenir pour l'Arménie sans sa nation mondiale. Nous devons maintenir Cette diaspora, dont la création remonte bien avant la tragédie du génocide puisqu'elle a commencé à s'établir dès le XVIe siècle, nous devons la préserver pour qu'elle soit encore plus solide. Je parlerais d'un système solaire : on ne peut pas l'imaginer sans l'attraction d'un soleil fort et brillant pour maintenir toutes ses planètes dans son orbite, elles disparaitraient quelque part dans le cosmos. Ce soleil, c'est bien sûr l'Arménie, peu importe ses frontières, et la rendre plus forte, c'est en assurer la pérennité et celle de tout son écosystème. C'est le message central que nous voudrions faire passer, de trouver les gens qui y adhèrent pour de passer à l'étape suivante.

 

Sur quels critères jugerez-vous du succès de votre opération ?

Le succès se mesurera à plusieurs niveaux. Tout d'abord, le concept lui-même : quelle en sera la portée et le résultat des discussions, deuxièmement, le nombre de personnes qui y participeront et troisièmement, la qualité et la quantité du suivi après les événements. Il sera effectué non seulement par les orateurs présents lors de la tournée, mais aussi par d'autres organisations qui n'ont pas pu participer et à qui nous transmettrons toutes les données recueillies afin d'établir un lien personnalisé, lié à la situation et au contexte de chaque participant. Ils auront ainsi la possibilité d'établir des échanges personnels, de recevoir des contacts et de trouver des idées avec les différents intervenants de notre réseau.

En ce qui concerne "Repat Armenia", le but général de notre organisation est de promouvoir le rapatriement professionnel en Arménie, mais dans le même temps, l'engagement de la diaspora est également inscrit à notre agenda. Nous le faisons à un niveau professionnel et nous comptons étendre géographiquement nos actions afin d'augmenter le nombre de personnes sensibilisées.

Le problème que nous avons rencontré dans le passé est de ne pas avoir atteint une masse critique apte à apporter des changements efficaces dans les esprits et la culture. Avec cette première tournée, nous allons créer un précédent sur lequel fonder cette nouvelle culture aujourd'hui dans le monde arménien. Notre tâche consiste à unir les gens, pas autour d'une idée - cela ne marche pas –, mais les unir de manière prospective vers des objectifs et des réalisations spécifiques pour lesquels nous proposerons différents outils, différentes personnes, mécanismes, initiatives, idées et objectifs qui motiveront les gens à développer leurs propres idées et initiatives, pas nécessairement les nôtres. Nous voulons leur donner ce coup de pouce émotionnel et professionnel.

 

Les inscriptions au forum "Engage Armenia 2024" s'effectuent sous ce lien : https://engage-armenia-fr.repatarmenia.org/