L' Institut national des Langues et civilisations orientales, l’INALCO dispense le programme le plus complet de l’arménologie, de la licence au doctorat. L'ex-"Langues-O" a développé un master international d'études arméniennes en ligne, l'IMAS, diplôme français à validité européenne.
Par Lusine Abgaryan
Ce master, destiné notamment à ceux qui connaissent l’arménien et souhaitent approfondir ou développer leur pensée en arménien occidental, est l’un des rares programmes permettant de se réunir autour de cette langue menacée de disparition, la protéger et la transmettre.
Ani Tanélian et Gayané Tcharkhoutian deux étudiantes de ce master effectuent actuellement un stage en Arménie à la recherche de leur juste place entre les cultures arménienne et française. Le master en arménologie est l’une des pistes de réflexion pour elles dans cette quête…
Gayané est actuellement en mission à l’Université américaine parallèlement à son stage d’enseignement du français à l’Université Brusov. Elle a appris l’arménien à l’INALCO, mais aussi par ses voyages. Sur ce chemin difficile qu’elle parcourt tous les jours, elle ne perd pas son rêve de donner un jour des cours d’arménien occidental ou d’animer des ateliers dans cette langue. La lutte qu’elle mène pour la maîtriser, Gayané souhaite la transformer en une pédagogie d’enseignement.
Ani, son amie, est venue vers les études arméniennes à travers celles de la langue russe qu’elle suivait à l’INALCO. Son but était de venir enseigner le français en Arménie, mais en commençant sa licence d’arménien et en poursuivant ce master, elle s’est plutôt tournée vers des projets de préservation du patrimoine arménien dont des textes et des manuscrits. Depuis la petite enfance, Ani entend dans sa famille à la fois l’arménien occidental et oriental. À l’usage, l’arménien oriental se révèle plus pratique que l’occidental qui n'est pas pratiqué en Arménie. Ce master fut donc l'occasion de continuer à parler l’arménien occidental, un espace qu'elle considère comme un véritable lieu de préservation et de transmission de l’arménien occidental, aujourd’hui menacé de disparition.
Que représente pour vous aujourd’hui l’arménien occidental ?
Gayané : La conscience de tout un héritage auquel je n’aurai pu accéder sans en parler la langue et que j'aimerais continuer à préserver en rendant sa langue encore plus vivante. Mais la forme est encore floue et je pense qu’il y a encore beaucoup de manières différentes d’y arriver. À mon avis, il faut fournir les outils mais aussi rendre vivant l’intérêt d’apprendre cette langue.
Ani : C’est une langue de famille. J’ai fait l’école arménienne, de la maternelle jusqu’au collège. Même si j’étais dans une école arménienne, le français était assez dominant, sauf à la maternelle où notre professeur nous transmettait la langue et la culture arménienne.Quand j'ai commencé ce master alors que la guerre éclatait en Arménie, j’ai eu une large réflexion sur ce que l’arménien occidental représentait en moi. Je le maîtrisais, mais refusais de le parler : si l'on me posait une question en arménien, je répondais en français. En fait, je pratiquais très peu cette langue. Paradoxalement, l'arménien oriental plus présent en moi car j’ai de la famille en Arménie et je pense que grâce à lui que j’ai voulu préserver l’arménien occidental.
Justement, comment vous est venu l’idée de faire un master en arménien occidental ?
Gayané : Après la licence, je me suis dit que je voulais continuer car il y avait encore beaucoup de choses à apprendre. On nous avait annoncé qu’il y avait ce master qui venait d’être créé, tout en nous prévenant que le programme était entièrement en arménien. C'était risqué car je l’ai appris très tard mais c'est ce défi qui m’a attiré.
Ani : On disait que la langue arménienne occidentale avait souvent été sacralisée. Je n’en avais pas vraiment conscience. Mais c’est cette réflexion et la rencontre avec les autres étudiants, la découverte d’une pluralité du fait arménien, d’être et de parler arménien au sein même de la France et bien-sûr dans les quatre coins du monde qui m'a poussé à poursuivre ce master d’arménien. Il me semble que nos arménités sont souvent restreintes à une communauté et notre dispersion ne permet pas toujours de côtoyer "l’autre".
Le Master, à part ce lieu où l’on peut parler et entendre parler l’arménien occidental, c’est également la possibilité de confronter son soi, d’entendre les différentes expériences du parler arménien et peut-être, à l’avenir, de permettre de nouvelles collaborations, d'élargir nos horizons et celui du penser arménien.
Existe-t-il des outils conçus specifiquement pour l'apprentissage de l’arménien occidental ?
Gayané : En licence, les professeurs élaborent leur méthode d’enseignement. Notre professeur avait créé son propre manuel d’arménien oriental
Ani : C’est une vraie question. Les professeurs se plaignaient d'un réel manque de manuels. Les rares existant sont désuets, les professeurs les adaptent et conçoivent leurs propres programmes.
Comment vivez-vous votre identité arménienne aujourd’hui ?
Gayané : Elle est en cours de construction. Je me rends compte que la culture française m’a totalement façonnée et c’est très important pour moi de pouvoir réfléchir et écrire en français. Je ne sais pas si je pourrais arriver à un tel niveau en arménien ni si une identité peut être construite à parts égales de deux cultures différentes. Je me sens parfois plutôt arménienne, et d’autres fois plutôt française. C’est assez compliqué à gérer, mais j’essaie de lier les deux et de créer des ponts entre mes amis français et mes amis arméniens et créer entre eux une curiosité réciproque. Beaucoup de mes amis français nous rendent visite en Arménie. Ils achètent des "que sais-je ?" sur l’Arménie… Côté arménien, la culture française est très appréciée …
Ani : J’ai grandi dans un milieu du "double" et de l’entre-deux. Pour mes amis qui parlent l’arménien occidental, ils parlent arménien, ils parlent l'arménien. J'ai une réflexion différente. Pour moi c’est très distinct : l’arménien occidental et l’arménien oriental, au même titre que le français, correspondent à des univers très précis et très distincts. Toutefois, je sentais toujours que je n’étais pas juste française ou arménienne, mais que j’étais les deux en même temps. Aujourd'hui que je suis en Arménie, je peux mieux vivre mon arménité, en France, cela reste quand même quelque chose d’exotique. La guerre a également bouleversé un certain nombre de choses. Je suis née en France, passionnée par la culture et le mode de pensée à la française. La guerre est venue détruire tout cela et me faire comprendre qu’il y avait d'autres choses. Je ne serais peut-être pas capable de bien expliquer ce que je ressens mais elle a comme cassé quelque chose dans mon rapport à la France. J’ai eu envie de vivre l’arménité ! Non seulement d'en préserver et d'en protéger la culture, mais de la vivre ! C’est "mon défi à moi" que de donner une place à l’arménien occidental en Arménie d'aujourd'hui.