Nous voici à la veille des fêtes de fin d’année. Apparemment un temps de réjouissances : la ville s’illumine, les vitrines miroitent, les enfants trépignent à l‘idée de recevoir des cadeaux. Et les familles s’embarquent dans une aventure d’autant plus périlleuse que leur tribu est plus importante. Pendant plusieurs jours les femmes vont faire moult emplettes puis s’affairer pour préparer un maximum de mets, affaire certes de faire plaisir à beaucoup, mais tout autant de préserver leur réputation et leur image grâce à la munificence des plats présentés.
Par Monique Bondolfi-Masraff, présidente de KASA
Mais à quel prix ?
Tout d’abord d’un grand épuisement physique : les journées courtes et froides du mois de décembre ne favorisent pas le dynamisme, la fin de l’année est souvent professionnellement et socialement très chargée, les bambins sont fatigués et nerveux. Or la cuisine, particulièrement arménienne, exige temps et patience ! Alors, pendant que quelques-uns font bombance, nombreuses sont les mamans stressées qui ne rêvent que de dormir ou de s’évader pour échapper aux obligations de Nouvel An.
Puis un gros souci financier : combien de familles s’endettent pour faire bonne figure, et le paieront des mois durant !
Dans la mesure où trop d’emplettes pour les fêtes rime avec dettes, ne faut-il pas sortir d’un cercle vicieux ? Peut-on accueillir plus simplement nos hôtes sans narguer les traditions ?
Oui, la simplicité peut être heureuse, voire fructueuse, si elle s’enracine dans une volonté d’authenticité. Ma joie, c’est de te recevoir, de prendre le temps de m’asseoir à tes côtés et de partager ce qui t’habite. D’avoir certes préparé avec cœur quelques mets, mais sans m’être épuisée pour ne pas laisser cinq cm de nappe non couverte en cuisinant les aliments les plus coûteux. Mon défi, c’est d’oser innover, en faisant moins mais mieux, en misant sur la qualité plutôt que sur la quantité, en refusant de laisser une part considérable d’aliments finir à la poubelle, parce qu’il faut absolument remplir à ras bords les assiettes des invités. Bref de dire non à la coutume quand elle incite au gaspillage au lieu d’inviter à la convivialité.
La vraie sobriété ? Elle ne consiste pas à se priver de bonnes et belles choses mais à en user avec discernement, pour les goûter et les faire savourer. Elle signe une forme de respect face aux choses et à l’investissement humain.
Mais elle suppose sans doute que nous nous libérions de certaines images de nous-même : de la femme parfaite qui se dévoue sans compter, quitte à se défouler en manifestant une humeur détestable, de l’homme qui met son point d’ honneur à ouvrir bouteille sur bouteille sans retenue, mais doit ensuite refuser l’essentiel aux siens pendant des mois. Et que nous prenions l’initiative de proposer une égale retenue à nos proches, dont beaucoup se diront très soulagés de pouvoir échapper à l’esclavage de leurs casseroles et du qu’en dira-t-on.
Mieux, que nous devenions inventifs pour proposer une autre façon de fêter : arriverions-nous à fermer résolument la TV et à prendre du temps pour jouer avec nos enfants et leur raconter des histoires, associer nos bambins à la préparation de cadeaux simples mais réalisés avec amour et bonne humeur, nous offrir les uns aux autres du temps ou des services au lieu d’objets souvent inutiles ? J’ai quant à moi oublié la majorité des présents reçus à mon mariage, mais pas les dix repas succulents concoctés par mon voisin cuisinier, qui me permirent de souffler alors que je cumulais études, travail et démarrage de ma vie conjugale.
La période des fêtes : un cyclone dévastateur pour notre équilibre tant humain que financier ou une chance de vivre un temps différent, à l’écoute de nos vrais besoins et du cri d’une planète qui souffre d’un abominable gaspillage?