L’Arménie a réussi, une fois de plus, à étonner tout le monde, à commencer par elle-même…
La victoire écrasante du Premier-ministre sortant Nikol Pachinian, accusé de tous les côtés de lâcheté, populisme, capitulation et Dieu sait quoi encore, a laissé sans voix plus d’un. Il a remporté le scrutin avec un score global de 53,92 %, y compris dans les communes qui auraient dû, selon toute logique, le rejeter - par exemple, dans le village natal de Serge Sarkissian ou celui de Chournoukh où douze maisons sont passées du côté azéri sont sans raison ni explication…
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce choix n’est pas un hasard. En réélisant Pachinian, les Arméniens ont de nouveau martelé « non » au système corrompu et méprisant qui était construit dans le pays depuis près de trente ans. Si en 2018, c’est le slogan « մերժիր Սերժին » - « refuse Serge », parlant de l’ancien président Serge Sarkissian, qui avait réuni dans un élan commun de contestation les personnes des bords différents qui avaient ainsi porté Pachinian au pouvoir, en 2021 et malgré le cauchemar de la récente guerre, la perte de l’Artsakh et la déception générale, c’est la peur de se retrouver à nouveau dans le passé incarné par le rival principal de Pachinian, un autre ex-président Robert Kotcharian, qui a joué en sa faveur.
Ainsi, dans les deux cas, nous avons affaire à un vote protestataire qui profite à Nikol Pachinian. Un comportement bien dangereux quand il s’agit de l’avenir d’un Etat déjà extrêmement fragilisé, mais qui est parfaitement compréhensible vu le contexte.
Pour être objectifs, il faut tout de même préciser que c’est Pachinian qui a redonné son sens au processus d’élection, car après 1996 qui a vu la première élection arménienne truquée et jusqu’en 2018, personne dans le pays ne croyait en l’utilité de cette procédure, tellement les fraudes étaient devenues une habitude. Serge Sarkissian avait même lancé une phrase qui en dit long sur les pratiques courantes à l’époque : en répondant à la question combien son parti attendait de recevoir de voix lors des prochaines élection, il a dit : « Ինչքան կուզենք, էդքան կխփենք: » - « on va frapper autant qu’on voudra »… Tout en admettant que l’élection du 20 juin dernier n’était pas 100 % « catholique », avec toutes les fraudes et les incitations au vote qui ont eu lieu, on est toujours très loin des pratiques d’antan.
Ainsi, malgré tout ce qu’on pourrait dire sur les qualités et les problèmes de ses hommes politiques, l’Arménie confirme son attachement à la démocratie et à la compétition dans la vie politique. Les anciennes méthodes ne semblent plus marcher. A ce titre, elle affirme son éloignement de la logique des pays post-soviétiques, y compris l’Azerbaïdjan, où la légitimité des dirigeants est plus que douteuse.
Il reste que la majorité politique réélue reconsidère sérieusement son attitude et ses priorités, car l l’Etat arménien n’a plus aucune marge d’erreur…