La douche froide

Actualité
11.01.2024

Après l'interview télévisée d'Ilham Aliyev hier, 10 janvier, on se demande quelles options sont encore laissées à l'Arménie dans ses négociations avec l'Azerbaïdjan pour « une paix de bonne foi, juste de durable ».

Par Olivier Merlet

 

Armen Grigoryan ne croyait pas si bien dire lorsqu'il parlait, il y a deux jours, de « certains revers » constatés dans les propositions d'accord sur une paix avec l'Azerbaïdjan. Lors d'une interview diffusée sur les chaînes de télévision azerbaidjanaises dans la soirée d'hier 10 janvier, Ilham Aliyev, n'a guère fait preuve de la constructivité qu'attendent les autorités d'Erevan dans la conduite des pourparlers actuels, bien au contraire. Qu'il s'agisse des enclaves, des territoires occupés depuis le mois de mai 2021, de l'ouverture des voies de communication et de la route du Zanghezur ou enfin des garanties internationales sur un éventuel traité, le maître de Bakou a opposé une réponse on ne peut plus intransigeante aux préoccupations arméniennes que l'on suppose constituer les fameuses « questions en suspens ».

Après s'être livré à une véritable apologie de l'épuration ethnique progressive et méthodique menée par ses troupes au Kharabagh pour « atteindre leur point d'orgue le 20 septembre 2023 », le président azerbaidjanais a ostensiblement réaffirmé point par point ses conditions, à prendre ou à laisser, sans oublier de faire allusion, de nouveau, à ses revendications territoriales sur Erevan. « Si nous sommes d’accord, un traité de paix sera signé. Si nous ne parvenons pas à un accord, soit les négociations continueront, soit elles seront interrompues. Les deux options sont possibles ».

 

Florilége :

Question des enclaves : « Aujourd'hui, la question des huit villages sous occupation est toujours à l'ordre du jour. Cette question a été discutée lors de mes contacts avec le Premier ministre arménien, y compris lors de la dernière conversation "debout" à Saint-Pétersbourg, j'ai soulevé cette question, et en même temps, cette question est à l'ordre du jour des commissions liées à la délimitation. Je dois également vous informer que la prochaine réunion des commissions est prévue ce mois-ci et qu'elle aura pour thème la question de la délimitation de cette région, la région de Gazakh-Tovuz [Tavush, NDLR]. Les villages qui ne sont pas des villages enclavés, ces quatre villages doivent être restitués sans condition à l'Azerbaïdjan. Pour les villages qui sont des villages enclavés - parce qu'un village enclave d'Arménie se trouve sur le territoire de l'Azerbaïdjan - un groupe d'experts distinct devrait être créé et discuté en relation avec ces villages. Nous pensons que toutes les enclaves doivent être restituées. Les routes menant à ces enclaves devraient être aménagées et les personnes qui y vivent devraient être hébergées dans ces enclaves ». Il est à noter que les villages enclavés du Tavush se situent de part et d'autres de la route Arménie-Géorgie et celui de Karki sur la route du Sud et de l'Iran. Leur retour sous autorité azerbaïdjanaise se traduirait immédiatement par la perte de contrôle de ces deux axes vitaux  pour l'Arménie:

Retrait des troupes azerbaidjanaises des territoires occupés : « L'Arménie demande le retrait en miroir des troupes le long de la frontière. Mais où la dessiner ?... Personne n'a répondu à ma question. Alors bien sûr, nous ne retournerons nulle part. Ni par rapport aux positions de mai 2021, ni par rapport aux positions de septembre 2022, nous ne reculons pas, car cette frontière doit être définie. »

Route du Zanghezur et voies de communication : « Les marchandises et les citoyens allant d’Azerbaïdjan en Azerbaïdjan  doivent y passer librement sans aucun contrôle. Sinon, l’Arménie restera comme une impasse éternelle, et si la route [du Zanghezur – NDR] que j’ai mentionnée ne s’ouvre pas, nous n’ouvrirons nulle part ailleurs notre frontière avec l’Arménie ».

Garanties internationales du traité de paix : « Les conditions de base pour la signature d'un traité de paix sont désormais réunies. Il s'agit d'un traité de paix devant être signé entre deux États souverains. Nous n'avons pas besoin de garants, et si l'accord doit être signé dans un format bilatéral, il doit l'être. Si quelqu'un veut nous aider, cela ne nous dérange pas non plus. Toutefois, cette aide ne devrait pas être obligatoire. Je ne voudrais pas que les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan deviennent un enjeu géopolitique. C'est un problème entre nos deux pays, nous devons le résoudre nous-mêmes. Si nous sommes d’accord, un traité de paix sera signé. Si nous ne parvenons pas à un accord, soit les négociations continueront, soit elles seront interrompues. Les deux options sont possibles. »

Prisonniers politiques du Haut-Kharabagh : « Bien entendu, nous n’imposerons aucune sanction contre des soldats innocents. D’ailleurs, notre position concernant les dirigeants des séparatistes est sans équivoque : leur détention. Les criminels qui ont mené une guerre sanglante contre nous, commis des actes de vandalisme, perpétré le génocide de Khodjaly, détruit nos terres, nos villes et nos villages, ont été arrêtés et détenus aujourd'hui et seront traduits en justice. Parmi eux se trouvent tous les anciens dirigeants du Kharabagh ainsi que le Premier ministre exporté au Kharabagh et d'autres. Il ne manque que deux personnes, ils sont à Erevan, sinon l'équipe sera complète ».

Les cartes et le territoire : « Ce n’est un secret pour personne qu’au XXe siècle, les terres de l’Azerbaïdjan ont été partiellement cédées à l’Arménie. Un jour après la création de la République démocratique d’Azerbaïdjan en 1918, la ville d’Erevan a été cédée à l’Arménie. Cependant, il n’y avait aucune raison à cela. C'est une ancienne ville d'Azerbaïdjan. […] Après la soviétisation en avril 1920, en novembre, le gouvernement soviétique prit la majeure partie du Zangezur occidental à l'Azerbaïdjan et la céda à l'Arménie. C'est aussi un fait historique, il y a des cartes, des cartes du début du 20ème siècle,[…] De tels dons de terres se sont poursuivis au fil des années. Le dernier don de terrain a eu lieu en mai 1969. Jusqu'alors, nos terres étaient cédées à l'Arménie en partie, et d'environ 100 000 kilomètres carrés, De tels dons de terres se sont poursuivis au fil des années. Le dernier don de terrain a eu lieu en mai 1969. Jusqu'alors, nos terres étaient cédées à l'Arménie en partie, et d'environ 100 000 kilomètres carrés, elles sont tombées à 86 600 kilomètres carrés ».

 

Au cours de sa très longue interview, le président azerbaïdjanais a également exprimé à plusieurs reprises toute son hostilité contre la France, de nouveau accusée d'un « néocolonialisme » qu'Ilham Aliyev entend combattre en « poursuivant [son] soutien au processus de libération des colonies françaises du joug colonial français ».

Quant à la mise en place de la coopération de défense entre l'Arménie et la France qu'il qualifie « d'attitude négative » vis à vis de son pays, et qui, selon lui, « ne cessera pas, le but de l’armement de l’Arménie est de nous maintenir sous une pression constante. Ce sont des efforts pour nous empêcher de vivre confortablement et, malheureusement, la France est toujours en première ligne dans ce domaine. La France est le pays qui arme aujourd'hui l'Arménie, lui apporte son soutien, prépare ses soldats et les prépare à la prochaine guerre. C'est pourquoi quand je dis que la politique de la France provoque des tensions dans le Caucase, c'est exactement ce que je voulais dire ».