Zareh Sinanyan, Haut-commissaire auprès de la diaspora effectuera sa première visite en France du 8 au 19 février prochain. Ce voyage officiel d'une dizaine de jours marque toute la volonté de l'Arménie de resserrer les liens avec l'une de ses communautés les plus influentes au monde.
Par Olivier Merlet
Ils seraient au moins 600 000 ressortissants -les chiffres varient selon les sources*- installés en France depuis des générations, ou seulement quelques années, et représentent en nombre, après la Russie, l'Iran et les États-Unis, la 4e communauté arménienne établie hors de ses frontières nationales. De par sa taille, l'importance de ses organisations et son poids politique, elle en constitue l'une des plus significatives, la première en Europe, et une priorité à l'agenda que s'est fixé le gouvernement arménien pour engager enfin ce dialogue global avec la diaspora, tant attendu et porteur de beaucoup des espoirs d'indépendance aujourd'hui en question en Arménie.
Des liens émotionnels et historiques
« La France est unique dans l'univers de la diaspora. La relation entre les deux pays est, émotionnelle, culturelle, affective et historique » fait remarquer Nicolas Tavitian, Conseiller à l'Europe du Haut-commissariat. Bien que la France n'ait en réalité aucune présence géopolitique dans le Caucase, elle s'intéresse et suit de près l'Arménie, participe au financement d'une université française, l'UFAR, et ne cesse de réaffirmer depuis la fin de la guerre, tous ses partenariats économiques, culturels et humains. Durant le dernier conflit justement, le président Emmanuel Macron a été le seul chef d'État étranger à avoir exprimé sa sympathie pour le sort de l'Arménie. « S'il faut accepter les limites de cette intervention française, ces prises de position verbales, tout comme celles du Sénat français qui a reconnu le Karabagh, revêtent une valeur d'ordre culturel et civilisationnel, à la mesure du silence du reste du monde. » poursuit M. Tavitian.
C'est effectivement une très vieille relation qui lie la France et l'Arménie, scellée dès le Moyen-âge par l'alliance des croisés et des seigneurs arméniens de Cilicie au XIe siècle. En retracer l'histoire en quelques lignes pourrait s'avérer réducteur. Rappelons cependant que Léon VI, dernier roi d'Arménie fin XIVe, est enterré à la basilique de Saint-Denis en région parisienne, cathédrale nécropole des rois de France, qu'au XVIIIe siècle, celui des lumières, Jean-Jacques Rousseau se séparait rarement de son fameux "habit arménien", long manteau de drap ceinturé orné de fourrure, lorsque Voltaire, baptisait du prénom de Zadig, "Pâques" ou Pascal" en arménien - "le sincère", "le loyal" - le personnage principal de son conte philosophique éponyme. L'immigration arménienne était encore peu répandue mais ses réseaux de marchands originaires d'Ispahan étaient déjà très connus en France. D'une époque à l'autre de l'histoire, les Arméniens ont toujours occupé une place particulière dans la mémoire et les préoccupations françaises. Elle est devenue "question arménienne" au dernier quart du XIXe siècle, défendue par Victor Hugo, Charles Péguy, Anatole France, Jean Jaurès ou Georges Clémenceau. Le mouvement arménophile français ne s'est jamais démenti, même s'il ne s'est jamais traduit par une réelle intervention, ni avant, ni après le génocide. C'est d'ailleurs après celui-ci et dès la fin du premier conflit mondial, lorsqu'il a fallu reconstituer une main d'œuvre décimée par la guerre, que l'immigration arménienne fut encouragée et que ses premiers migrants débarquèrent à Marseille.
Ils essaimeront sur tous les bassins d'emploi de l'époque et notamment dans la région de Valence, alors haut-lieu de l'industrie textile, devenue aujourd'hui première ville arménienne de France en pourcentage du nombre de sa population. La ville abrite d'ailleurs le Centre du patrimoine arménien. Au plan national, la diaspora de France est surtout localisée dans la périphérie de Lyon ou elle regroupe plus de 150 000 personnes, à Décines notamment, surnommée "la Petite-Arménie". En région parisienne, Alfortville, Issy-les-Moulineaux, Le Raincy ou Arnouville rassemblent de nombreuses associations arméniennes, des écoles, des églises, enfin bien sûr, Marseille, représente son foyer historique dans l'hexagone.
Dix jours de voyage et tout un programme
Le nombre et l'importance de toutes ces institutions arméniennes de France justifie la durée du déplacement de Zareh Sinanyan, étalé sur une dizaine de jours. Le Conseil national des Conseils de coordination des organisations Arméniennes de France (le CCAF) qui fédère les plus grandes associations arméniennes du pays assure le relais et l'organisation des rencontres avec la communauté. Il débutera à Paris et dans sa région du 8 au 11 février, se poursuivra à Lyon, Valence et Grenoble du 12 au 14, Marseille jusqu'au 17 et s'achèvera par une visite à Nice et Cannes le 18.
Rencontres avec les maires, les représentants des associations, apprendre à connaître cette communauté arménienne de France qui joue un rôle tellement important dans la diaspora, et surtout lui présenter les programmes de coopération et de "rapatriement" que le Haut-commissariat est en train de mettre sur pied, avec un objectif ambitieux de 60 000 retours par an, bref, envisager l'avenir ensemble.
Ce programme s'articule autour plusieurs initiatives. La création d'un "Centre de rapatriement et d'intégration" en constitue le premier axe. Il est chargé de déléguer un responsable unique au suivi de chaque dossier et à l'assistance des rapatriés tout au long de leurs démarches d'installation en Arménie. Son ouverture est prévue à Erevan courant du premier semestre de cette année.
Le programme "Armenian Youth ambassadors" forme de jeunes "avocats" de la cause arménienne rompus aux programmes du haut-commissariat, avertis des enjeux et de la situation de l'Arménie. Leur rôle est d'informer leurs communautés respectives des opportunités qui se font jour en Arménie. Toujours pour cette jeunesse de la diaspora, "Քայլ դեպի տուն - Qayl depi tun" , "Un pas vers la maison", propose aux 13-18 ans de participer à des camps d'été de deux semaines en Arménie dont les activités, cours de langue et visites touristiques notamment, sont intégralement supportées par le gouvernement.
Le programme " իԳործ - lgorts" quant à lui , "Allons-y", vise à placer dans l'administration arménienne des professionnels de la diaspora. De même, des experts en marketing, en finance internationale ou d'autres spécialités économiques et commerciales seront sollicités ponctuellement, à titre gratuit, dans le cadre de missions de soutien à des projets d'entreprises arméniennes. Enfin, des "commissaires à la diaspora", représentants bénévoles à l'étranger du haut-commissariat arménien, coordonneront la communication entre les différentes organisations de la communauté.
La plupart de ces programmes sont orientées vers une meilleure connaissance de l'Arménie à l’intention d'un public qui ne la connait souvent que de loin, avec une image parfois teintée de malentendus, voire de conflits, qui doivent être résolus. Des déceptions également, surtout depuis la guerre, vis-à-vis d'une Arménie qui n'a pas vraiment su s'organiser ni se protéger après 30 ans d'indépendance. Il s'agit de la rendre plus attrayante et la vie plus facile aux yeux de tous ceux, investisseurs, familles, professionnels, jeunes et étudiants qui envisageraient de s'y installer. « Nous devons créer une dynamique de coopération et de communication entre l'Arménie et sa diaspora, un dialogue avec elle pour clarifier la situation. Mais il faut également que l'Arménie se montre à la hauteur. Elle a besoin de faire le ménage chez elle, apprendre à bien travailler. Ces transformations sont indispensables si elle veut se développer, ça ne sert à rien d'attirer la diaspora ici si elle ne peut pas travailler. » observe encore Nicolas Tavitian.
« L'Arménie est une opportunité unique pour la diaspora du point de vue de son identité, inversement, la diaspora représente une opportunité unique pour l'Arménie par ses ressources et sa grande population. Travailler ensemble est une obligation. On doit arrêter de chercher ailleurs des modèles inadaptables en Arménie compte tenu de sa configuration géographique et socio-économique. »
Dans une récente tribune chez l'un de nos confrères, Zareh Sinanyan, haut-commissaire auprès de la diaspora déclarait : « Quel pays est encore menacé aujourd'hui par ceux qui ont essayé de l'exterminer il y a 100 ans ? L'Arménie doit inventer ses propres solutions. »
N.B. Le Courrier d'Erevan reviendra en détail sur le voyage de M. Zareh Sinanyan dans l'une de ses prochaines éditions.
* De nombreux médias avancent couramment le chiffre de 750 000 à propos de la population arménienne aujourd'hui en France. Si Wikipédia, citant un article des Nouvelles d'Arménie de juin 2009 (!), en dénombre environ 500 000, à égalité avec les Etats-Unis, les estimations du Comité de défense de la cause arménienne (le CDCA) en recensait, en 2011, 600 000 ressortissants dont 400 000 nés sur le territoire français. Le président du Centre de recherches sur la diaspora arménienne (CRDA), déclarait en même temps que « tout recensement précis est impossible dans ce domaine »