La projection erevanaise de Yol de Yilmaz Güney

Arts et culture
15.07.2022

Abricot d'Or - Jour 4 : À l’instar des éditions précédentes, un film turc figure à la programmation du festival : Yol, de Yilmaz Guney et Şerif Gören, réalisé en turc et en kurde. Sorti en 1982, il remporte la Palme d’Or du Festival de Cannes, ex aequo avec Missing de Costa-Gavras, qui était présent, 40 ans après, à sa projection à la Maison du Cinéma d'Erevan.

Par Lusine Abgaryan

Le film dont l’intrigue revient sur la condition des prisonniers en Turquie a été censuré dans son pays pendant 17 ans. Ainsi que chacun de ses livres, articles ou films, le Yol de Yilmaz Güney, a été frappé d'interdit en Turquie par le régime militaire, sous prétexte de la représentation dans ses œuvres de la culture kurde après le coup d’État de 1980.

Incarcéré depuis 1974  (il était accusé d’avoir tué un juge au cours d’une bagarre), c'est depuis la cellule de sa prison d’Adana que Yilmaz Güney écrit le scénario de Yol. Souhaitant montrer à travers ce film « combien la Turquie était devenue une immense prison semi-ouverte », avec des « citoyens détenus » *, il en confie la réalisation à Serif Gören profitant de permissions de sortie pour rencontrer l’équipe du film et maintenir un certain contrôle sur le tournage.

C’est d'ailleurs de l'une de ces permissions dont il profite en 1981 pour quitter définitivement la Turquie. Il trouve l’asile en Franc en février 1982, où il commence le montage de son film, à la hâte pour concourir à Cannes au mois de mai suivant. Afin de convaincre la direction du Festival de le sélectionner, le film est projeté sans son, Güney interprétant les voix masculines en direct. À l'issue de sa projection officielle au trente-cinquième Festival de Cannes, le public le salue avec quinze minutes de standing ovation. Yilmaz Guney remporte la palme d’or, ex-aequo avec le Missing de Costa-Gavras.

Le réalisateur, scénariste, metteur en scène, acteur et écrivain turc d'origine kurde décède à Paris le 9 septembre 1984 des suites d'un cancer de l'estomac, à l'âge de 47 ans. 33 ans plus tard, en 2017, Donat F. Keutsch, le producteur suisse de Yol sort une nouvelle version du film, restaurée et augmentée.  

Donat Keutsch était présent lors de la projection du film à Erevan ce 13 juillet : « J’avais promis au réalisateur que je terminerai son film. Nous en avions le plan, on savait comment Yilmaz souhaitait travailler sur le film et nous, nous étions décidés à le faire », confie-t-il. Il ajoute que le plus grand succès de sa vie n’était pas d'avoir reçu le prix du festival ou de terminer le travail sur le film, mais le fait d'avoir créé ce film avec son réalisateur qui se trouvait en prison.

En prologue à sa projection, Karen Avétisyan, directeur artistique de l'Abricot d'Or, est lui aussi revenu sur le contexte on ne peut plus particulier dans lequel a été réalisé ce film. Le prétexte était tout trouvé pour évoquer Osman Kavala, le grand humaniste turc, partenaire des Abricots d'Or pendant des années et créateur d'une plateforme de travail et d'échanges entre jeunes cinéastes turcs et arméniens. « Aujourd’hui, Osman Kavala est en prison à vie, car Monsieur Erdogan a décidé que tous ceux qui résistaient à sa politique nationaliste devaient rester en prison ou quitter le pays pour ne pas le déranger. Osman Kavala a décidé de rester dans son pays et il le paye par la prison », a ajouté Serge Avédikian, présent de même, rappelant que tout sera tenté pour réclamer la liberté de ce philanthrope, victime des injustices du régime au pouvoir en Turquie. « N’oublions pas Osman Kavala », conclut-il.

*http://revuemanifeste.free.fr/numeroun/yol.html