Didon et Énée - Purcell en opéra à Gyumri

Arts et culture
03.11.2021

« Œuvrer pour l’épanouissement de la ville culturelle de Gyumri » : c’est la motivation qui emmène Narine Simonian dans sa ville natale. Organiste concertiste renommée, lauréate de plusieurs prix internationaux, Narine est installée en France depuis trois décennies maintenant. Parallèlement à sa brillante carrière professionnelle, elle dirige l’association «Les Amis de Gyumri» qui contribue au développement culturel de sa ville natale, à travers la collecte et la mise à disposition d'instruments de musique, l'invitation de musiciens mondialement connus et l'organisation de concerts et de master class pour les musiciens locaux.

Par Lusine Abgarian

Narine a ainsi offert à la ville plusieurs instruments de musique, pour la plupart uniques, dont, en 2018, un orgue à 850 cordes et de plus de 3 tonnes installé à l’église St. Nchan. Le centre Endanik s’occupe de leur entretien et les met à disposition des musiciens.

Narine est aujourd'hui à l’origine de la représentation de l’opéra baroque "Didon et Énée" d'Henry Purcell, reprise du mythe de l’"Énéide" de Virgile. Les musiciens travaillent déjà la mise en scène de l’opéra qui sera joué le 13 novembre à la maison de l’art et du sport de Gyumri. Entre deux répétitions, Narine Simonyan a accordé un entretien au Courrier d'Erevan.

Vous avez choisi un sujet poignant et éternel pour la mise en scène de cet opéra. Pourquoi cet opéra ? 

Cet opéra, c’est comme un bonbon : s’il y a cinq représentations, les gens achètent les billets des cinq représentations. Le sujet est éternel, l’amour ou le devoir. Que va choisir Énée, le héros ? Il va choisir le devoir et Didon va se suicider, parce qu'elle croit en l'amour absolu. Les sorcières complotent, Énée tombe dans le piège en abandonnant son amour. Il est malheureux, part construire Rome. Troie et Carthage sont deux villes en question. Didon, la reine, elle, se suicide.

C’est une thématique que j’ai choisie par rapport à cet idée éternelle de l’amour, parce que ce qui manque aujourd’hui en Arménie, c’est l’amour. L’amour entre les gens.

Vous avez invité en Arménie Stefano Intrieri, chef de chant de l’Opéra de Versailles. Pourriez-vous nous parler du travail que vous faites ensemble ?

Je m’intéresse beaucoup à la voix, j’ai énormément travaillé en tant que chef de chant et monté trois opéras à Paris. Celui-ci sera le quatrième, avec Stefano Intrieri, chef de chant et claveciniste à l’Opéra de Versailles en France. C'est un de mes très grand amis. Il est arrivé un peu après moi, le temps que je puisse tout préparer, notamment le chœur, l’orchestre et les solistes afin qu’il puisse tranquillement rentrer dans le travail et préparer la représentation. Il a déjà monté plusieurs opéras en France, des oratorios, et c'est un spécialiste de Monteverdi. On aimerait beaucoup faire « Les Vêpres de la Vierge » avec lui, de même que les cantates de Bach. Ce serait un rêve de pouvoir jouer ce répertoire en Arménie et surtout cet opéra accompagné à l'arche baroque et au clavecin. Tout ce qu'il faut pour introduire le baroque à Gyumri.

Qui sont les solistes de cet opéra et qui en signe la mise en scène ?

Hovhannes Andreasyan qui chante Énée est un soliste de l’opéra d’Erevan. Marie Muller, Didon, est l'élève absolument fantastique de Guillemette Laurens, une très grande cantatrice baroque française. D'autres solistes, encore étudiants sont en voie de rentrer à l’opéra. Nous avons aussi dans le chœur ou les petits rôles, des élèves du Conservatoire supérieur En tout, 8 solistes se relaient sur le plateau.

Le travail dure depuis deux mois, tout le monde y participe, le très célèbre danseur Rudolph Kharatyan dirige les répétitions, en tant qu'invité des "Amis de Gyumri" dans le cadre du partenariat "Ballet 2021". 

Quels types de contraintes rencontrent aujourd’hui les musiciens en Arménie ? Parlez-nous de l’aide aux projets mise en place par votre association qui vise à les accompagner dans leurs parcours ?

Nous avons beaucoup de travail pour identifier tous les problèmes, ouvrir des portes et permettre aux gens de se demander comment interpréter du Händel, du Bach, du Purcell ou du Couperin ? Est-ce que l'approche est juste ?

Le manque d'instruments de musique est un gros problème en Arménie. J’ai apporté un clavecin de clavier, mais il aurait fallu qu'il soit de facture ancienne, comme une copie, afin que les artistes puissent entendre la particularité de ses sons et imaginer ce que nous voulons obtenir.

Nous n’avons pas non plus de viole de gambe ni de théorbe. Stéphano a emmené trois flûtes à bec, dont deux qu'il a offert à une jeune fille qui s’initie à la maitrise de cet instrument, mais nous n'avons rien d'autre. Quelques personnes possèdent bien des instruments que des parents à l’étranger leur ont donné, rien de plus.

Il faut essayer de convaincre et de motiver de la nécessité de se donner les moyens. Peut-être qu'au sein du Conservatoire supérieur, l'intérêt n’est pas suffisamment partagé et qu'au niveau professoral, on ne réalise pas qu'avec un clavecin, il serait probablement possible de monter un opéra de Mozart comme "Cosi fan tutte" avec deux continuums spécialement écrits pour cet instrument.

Nous sommes privés de toute cette belle musique à cause de ce manque et de ces négligences.  "Don Giovanni", encore Mozart, ne peut être monte sans piano forte. C’est l'ingrédient principal de la cuisine pour faire ce plat. Le baroque a ses exigences. Cet opéra de Purcell, par exemple, on doit le jouer avec un théorbe, une viole de gambe et un clavecin. J’ai assisté à une représentation de cet opéra par Guillemette Laurens, c’était tellement beau qu’il n’y avait même pas besoin d’orchestre. Elle veut d’ailleurs venir en Arménie au mois d’avril.

Il faut qu’on invite ici plus de gens de grande valeur, qu'ils viennent enseigner, partager, faire apprendre et comprendre, C’est ce que je souhaite faire. Notre jeunesse est magnifique, l’enthousiasme est sans frontières, l’orchestre, le cœur, les solistes, tous sont avides de travail, et les personnes qui les accompagne, Stefano ou moi, sommes tous les deux des passionnés.

Êtes-vous soutenue par d’autres organismes pour la mise en place de ce projet ambitieux?

Oui, c’est l’initiative de mon association "Les Amis de Gyumri - France" soutenue depuis longtemps par Pernod Ricard et Ararat Brandy Company. L'UGAB France nous accompagne également.

On essaie de se donner la volonté et les moyens : toute personne qui travaille pour cette entreprise est rémunérée, il n’y a que moi qui soit bénévole. Ma motivation est ailleurs, dans le désir de pouvoir partager le bonheur que j’ai eu en France de connaitre ces instruments, leurs répertoires, et comme au moment d’emmener l’orgue ici, d'ouvrir à nos jeunes la possibilité d'entendre enfin et de se familiariser à la musique baroque telle qu'on la jouait au XVIIe siècle, sa technique vocale et instrumentale. C'est le but de notre école.