Anne - Laurence Petel, accélératrice de partenariats

Arménie francophone
27.03.2024

Avant qu'elle ne rencontre hier matin le Premier ministre, la présidente du groupe d'Amitié France-Arménie de l'Assemblée nationale, Anne-Laurence Petel, accompagnée de l'Ambassadeur de France, Olivier Decottignies, a bien voulu consacrer un moment de son agenda chargé pour s'entretenir avec le Courrier d'Erevan.

Propos recueillis par Olivier Merlet

 

Anne-Laurence Petel, conduisait en début de semaine une délégation parlementaire française en Arménie. Il s'agissait de sa septième visite depuis 2020 et la quatrième en moins d'un an, la première en tant que Présidente de groupe à la tête de sa propre délégation, sept députes toutes tendances confondues, de la France Insoumise au Rassemblement National en passant par Renaissance, Horizon et Les Républicains, la représentante du Parti Socialiste ayant été retenue à Paris par la rédaction d'un texte de loi. « Une délégation transpartisane », s'est félicité Anne-Laurence Petel, « qui reflète vraiment le consensus de tous les partis politiques de l'Assemblée nationale sur le soutien à l'Arménie ».

 

Madame Petel bonjour, vous étiez hier dans la province du Gegharkunik, tout près de la ligne de contact avec l'Azerbaïdjan. Pourquoi ce choix plutôt que celui du Tavush, frontalier lui aussi, et actuellement sous les feux de l'actualité depuis l'annonce de la rétrocession de certains de ses villages à l'administration azerbaïdjanaise ?

Bonjour. Question de timing tout d'abord, le déplacement vers le Tavush aurait pris beaucoup plus de temps et il était important d'amener ces députés, très investis au quotidien mais qui n'avaient jamais vu l'Arménie, à comprendre sur le terrain, de visu et en deux jours et demi, tous les enjeux qui se posent à l'Arménie. Nous voulions nous rendre à un endroit où ils sont multiples, à la fois sécuritaires et économiques, dans une province peut-être moins sujette à la coopération décentralisée et avec cet objectif de dire et de vouloir développer toutes les régions d'Arménie avec l'aide de nos collectivités locales.

Nous sommes allés hier jusqu'à la mine de Sotk, avec une patrouille des observateurs européens, et nous avons pu voir les différents postes militaires positionnés autour de la mine, arméniens et azéris, ces derniers occupant des positions clairement situées en territoire arménien. En tant que député, notre rôle est aussi de dire à nos collègues et notamment ceux d'autres pays au parlement européen, qu'aujourd'hui, l'Azerbaïdjan occupe une partie du territoire arménien, et ce de façon illégale. Le fait d'aller dans le Gegharkunik, une partie de l'Arménie occupée par l'Azerbaïdjan et où surviennent régulièrement de gros incidents, c'est aussi avoir conscience de tous les enjeux frontaliers, y compris ceux du Tavush.

 

Vous et votre groupe défendiez, au mois de janvier, un projet de résolution à l'Assemblée nationale en faveur des populations arméniennes du Kharabagh. On a beaucoup parlé de celle adoptée au Sénat concomitamment, à la quasi-unanimité de ses membres ; qu'en est-il de cette résolution ?

Ce projet de résolution est adopté, il n'est pas passé en séance mais en Commission des Affaires étrangères et nous en ferons bientôt la communication. C'est un peu l'équivalent de celui voté au Sénat : il demande le droit au retour des populations du Haut-Kharabagh, le respect du patrimoine et de l'héritage cultuel et culturel des Arméniens du Kharabagh, il dénonce également le non-respect de l'intégrité des frontières de l'Arménie par l'Azerbaïdjan en exigeant le retrait de ses troupes qui occupent toujours aujourd'hui ces territoires arméniens.

 

Et appelle à sanctions contre le président et Aliyev...

Et qui appelle également à sanctions contre le présidentt Aliyev, bien évidemment...

 

Comment jugez-vous la réalité de la coopération entre la France et l'Arménie ?

Il y a plusieurs niveaux de coopération. Le premier dont on parle beaucoup aujourd'hui parce qu'il répond à l'enjeu le plus important pour l'Arménie est celui de l'angle sécuritaire, de la protection de ses frontières et de son intégrité. Cette  coopération de défense, qui a pris une accélération depuis plusieurs mois, fait l'unanimité au sein du groupe d'Amitié et de tous les partis. En matière économique, en revanche, notre coopération n'est certainement pas à la hauteur des relations d'amitié et politiques que la France et l'Arménie entretiennent. Nous sommes seulement le 11ème fournisseur de l'Arménie, tout cela doit s'accélérer.

Les deux Premiers ministres, Gabriel Attal et NiKol Pashinyan qui se sont rencontrés à Paris très récemment sont convenus de relancer une initiative lancée il y a deux ans par le président Emmanuel Macron qui s'appelle "Ambition France Arménie". Une personne entièrement dédiée à ce projet sera nommée en France pour faire avancer cette coopération et ce dialogue autour de l'économie, au travers d'un groupe de travail lié aux Premiers ministres, à la fois en Arménie en France, des "task force" chargées de travailler sur les questions économiques.

 

Un canevas est déjà tissé ?

Il est en train de se mettre en place. Ce sera l'une de mes futures tâches que de demander au Premier ministre, au nom du groupe d'amitié, comment il a l'intention de "tricoter" cette "task force" et de la faire avancer. Le groupe d'Amitié y contribuera évidemment puisqu'il compte 85 députés,  des élus locaux qui entretiennent déjà, dans leur région ou leur département, énormément de coopérations décentralisées que l'on a besoin d'accélérer, voire de réactualiser pour certaines qui sont peut-être "endormies".

 

Pour en revenir aux questions de sécurité, comment la France, dans le cas qui nous intéresse, peut-elle aider à résoudre les conflits ?

Par la diplomatie. La France est partie prenante des négociations depuis le début pour aider à sa résolution, et depuis 2020, à la signature d'un traité de paix entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Par contre, il est apparu plus évident depuis ces derniers mois et particulièrement depuis septembre 2023, que la France avait aussi sa part à prendre dans le soutien de défense à l'Arménie, pour l'aider à être indépendante en la matière. On a vu que la Russie n'était plus un partenaire fiable pour aider l'Arménie dans sa défense. La France est aujourd'hui un partenaire qui aide l'Arménie à acquérir une force, une puissance, qui lui permette d'établir un rapport de force plus équilibré avec son voisin et agresseur, l'Azerbaïdjan. Le rôle de la France est là : à la fois d'aider à parler de paix mais aussi de dire, comme l'a fait le Président Macron : « je sais reconnaitre l'agresseur et l'agressé et j'aide l'agressé à se défendre ».

 

Il y a là justement un jeu diplomatique délicat : le gouvernement arménien montre ostensiblement sa volonté de se rapprocher de l'Europe et de se détacher de la Russie surtout. La France abonde elle-même en son sens de façon manifeste. Connaissant les risques d'une réaction russe, n'est-ce-pas exposer l'Arménie à encore davantage de problèmes avec la Russie ?

La France aide l'Arménie. Elle l'accompagne et reconnaît son souhait de développer et d'assainir ses institutions, d'aller sur le chemin de la démocratie. C'est en cela que la France est un partenaire de l'Arménie, parce qu'elle a choisi d'être plus indépendante. Il n'est pas question de remplacer une dépendance à la Russie par une dépendance à un autre pays. L'idée est de renforcer la capacité de l'Arménie à devenir une vraie démocratie, avec tous les critères qui la composent, notamment d'indépendance en matière de défense. L'Arménie cherche différents partenaires, l'Inde, par exemple, en est un autre. Le constat est simple et réaliste : la Russie n'est plus un allié objectif de l'Arménie, elle a joué contre l'Arménie au Kharabagh, elle n'a pas tenu son rôle. Conséquence de son absence de réaction et de son abandon, l'Arménie a eu besoin d'aller trouver d'autres partenaires.

Et pour reprendre au profit de l'Arménie une parole malheureuse de Madame Van der Leyen vis-à-vis de l'Azerbaïdjan, « l'Arménie a besoin de trouver des partenaires fiables », auprès de la France, elle trouve un partenaire fiable. Au niveau de l'Europe, le groupe d'Amitié souhaite également développer un inter-groupe qui alerte nos collègues européens parce qu'on a besoin que d'autres pays aussi viennent en soutien à l'Arménie. Parce que c'est une démocratie en devenir, parce que nous partageons des valeurs, une histoire, et que nous avons ce devoir de l'aider vis-à-vis de son agresseur.

 

Fiabilité du partenariat, sans doute, mais absence de proximité, géographique au moins, alors que la Russie est toute proche et garde encore tout son influence, tant au niveau sécuritaire qu'économique. La Russie reste le premier partenaire de l'Arménie, n'hésitant pas parfois à traduire son mécontentement par des représailles non avouées.

Nikol Pashinyan a rencontré une délégation du Medef. Les partenariats économiques sont à accroître et faire grandir, cela fait partie des objectifs. Quand nous rencontrerons le Premier ministre tout à l'heure, nous parlerons aussi des infrastructures et de la part que la France peut prendre dans leur réalisation, de la route de Nord-Sud, de l'énergie… Hier, on a parlé "eau"  avec Veolia, dirigée ici par une femme incroyable avec énormément d'énergie et qui développe depuis 2017 la distribution de l'eau auprès des populations. Les besoins sont multiples et c'est tout cela que l'on doit mettre en place rapidement pour aider de manière beaucoup plus précise et beaucoup plus puissante. Nous ne sommes pas les seuls en Europe à aider l'Arménie et celle-ci a raison de rechercher des partenariats économiques partout dans le monde afin de ne pas se rendre dépendante, entre les mains d'un seul pays.

 

Quel est votre message pour le Premier ministre ?

Nous allons peut-être le lui réserver. Nous essaierons toutefois d'avoir des discussions autour des différentes thématiques que je viens d'évoquer ainsi que d'autres dont celle, également, du développement culturel.

 

Votre visite ici tombe d'ailleurs en pleine saison de la Francophonie…

Effectivement, et nous avons aussi le centenaire de Charles Aznavour, beaucoup de choses cette année qui font de 2024 un lien très fort entre la France et l'Arménie. Suite à la visite de l'ancienne ministre de la Culture à l'automne dernier, Rima Abdul-Malak, différentes coopérations ont été mises en œuvre. Notamment entre le musée d'Erebuni et le musée du Louvre qui devrait accueillir certaines collections dans son nouveau département des Arts des chrétiens de Byzance et d'Orient. Un jumelage a été signé avec la Maison Carrée de Nîmes, pour aider au classement du temple de Garni au registre du patrimoine mondial de l'UNESCO. Simon Abkarian qui accompagnait la ministre a engagé d'autres coopérations entre le Centre national du Cinéma, ici, et en France. À titre personnel enfin, je développe un partenariat déjà bien amorcé entre le ballet Preljocaj d'Aix-en-Provence et un ensemble de l'Opéra d'Erevan qui présenteront un spectacle de danse contemporaine joué à la fois dans les deux villes. La voie est ouverte à de nouvelles coopérations et je vois jeudi la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, pour lui demander où en sont ces partenariats et faire en sorte qu'elle les développe ainsi qu'il était prévu.

 

Sa nomination à la Culture, tout récemment, a suscité ici autant qu'en France de fortes interrogations, liées au fait de ses liens étroits, passés tout au moins, avec l'épouse du dirigeant azerbaïdjanais. Êtes-vous déjà en contact avec Rachida Dati ?

Nous nous sommes parlées brièvement mais je lui ai surtout écrit pour lui rappeler les engagements de Rima Abdoul Malak. Nous avons pris trois fois rendez-vous mais ils ont été annulés pour des questions d'agenda. Cette fois, c'est elle qui m'a annoncé nous nous verrions ce jeudi. L'idée est vraiment qu'elle poursuive et pérennise les partenariats en cours et, qu'éventuellement, elle en développe de nouveaux. Mais quoiqu'il en soit, qu'elle s'engage pleinement auprès de l'Arménie. Comme je l'ai dit lors du dépôt de notre résolution à la Commission des Affaires étrangères, je compte bien en faire une amie de l'Arménie.