La mort tragique d’une jeune femme enceinte renversée par la voiture de tête du cortège motorisé de Nikol Pashinyan - il revenait d'une séance de travail à la résidence d’été du gouvernement - bouleverse l’Arménie depuis hier.
Par Lusine Abgarian et Olivier Merlet
Ce bouleversement s’est rapidement mué en indignation, lorsqu’il a été avéré qu’aucun des véhicules du cortège ne s’était arrêté après l’accident pour porter secours à cette femme, appeler l’ambulance ou l'amener à l'hôpital.
Le conducteur de la voiture incriminée, officier du bataillon de la police de la circulation, a continué sa route, achevé sa mission, il est pourtant revenu à 20h05 sur les lieux du drame, au carrefour des rues Léo et Paronyan, pour participer à l’enquête. Il a été arrêté. Depuis hier, les gens mettent des bougies et des jouets sur le lieu de la tragédie...
Le gouvernement n'a pas voulu révéler l’identité de la victime, morte de ses blessures avant même son arrivée à l’hôpital. Les réseaux sociaux s'en sont chargé. Sona Mnatsakanyan, 28 ans, née dans le village de Berkanouche dans la province d'Ararat était enceinte de son premier enfant, elle vivait à Erevan. Comble du cynisme, la jeune femme renversée par un véhicule de la république d'Arménie était aussi membre fondatrice de "Support our heroes", organisation apolitique, non-gouvernementale et caritative créée au lendemain de la guerre, dédiée au soutien de la cause du Karabakh arménien et de ses populations déplacées, a ses soldats vétérans, ses femmes et ses enfants.
Lorsque le sort tragique d'un destin individuel télescope de plein fouet l'actualité politique et la vie publique d'une société au bord de la crise, rongée d'incertitude quant à son avenir, nul ne peut prédire de ce qui peut advenir.
On ne se souvient peut-être plus très bien du prénom de ce jeune tunisien de 26 ans, Mohamed Bouazizi, pauvre vendeur de fruits ambulant dont les autorités avaient confisqué le chariot, son outil de travail. Personne en revanche n'a oublié les Printemps arabes dont il est devenu le symbole en s'immolant par le feu en place publique. L'histoire ici est toutefois différente. Accidentelle.
Depuis bientôt une semaine à Erevan, des actions de protestation plus ou moins spectaculaires, plus ou moins suivies, sont menées par les blocs d'opposition. À leur tête, Artur Vanestyan ancien responsable de la sécurité intérieure et président du groupe "Patrie", affilié "J'ai l'honneur", a fait monter une guérite sur la place de la Liberté, le grand parvis de l'opéra d'Erevan, sous laquelle il assure une permanence quotidienne et reçoit la presse. Serge Sargssyan et Robert Kotcharyan, anciens dirigeants honnis gardent encore profil bas mais l'assurent de leur large soutien. Simultanément, une marche "de la résistance" est partie d'Idjevan la semaine dernière, sentiment de déjà vu, qui devrait rejoindre la capitale le 1er mai.
Ces manifestations dont le but clairement affiché est de rallier à sa cause un mouvement populaire de protestation civile, de soulever la rue pour faire tomber le gouvernement au pouvoir, peinent encore à rallier de nombreux supporters. L'accident tragique du 26 avril, insupportable, pourrait bien faire basculer l'opinion.