Le Kosovo fête les quinze ans de son indépendance

Actualité
17.02.2023

Interview à Pristina d’Albin Kurti, le premier ministre du Kosovo au sujet de cet anniversaire et du Haut-Karabakh.

 

Par Anna Aznaour

Alors que s'accumulent les pires menaces à l'existence même du Haut-Karabagh, autoproclamé indépendant il y a 30 ans, le Kosovo,lui, fête le 15e anniversaire de son indépendance, obtenue avec l’aide des États-Unis, de l’OTAN et de l’Union Européenne. Un laps de temps que ce plus jeune pays de l’Europe a mis à profit afin d’obtenir sa reconnaissance par 117 États à travers le monde. Un exploit qui dénote un projet et une vision politique solides de ses dirigeants qui ont su adapter leur diplomatie au contexte et à leur environnement. Mais pas seulement. Défendre véritablement son peuple et ses intérêts nécessite une conscience accrue des dangers que peuvent représenter les exigences de ses adversaires. Comme celle que la Serbie tente de faire accepter actuellement à Albin Kurti, le premier ministre du Kosovo.

Belgrade souhaite la création au Kosovo d’une association qui regrouperait les municipalités à majorité serbe. Pourquoi est-ce un problème pour vous ?

Au Kosovo, nous recensons actuellement 93% d’Albanais, 4% de Serbes et 3% de personnes issues d'autres minorités. En 2008, lorsque nous avons déclaré notre indépendance, la communauté internationale, Serbie inclue, a souhaité que le Kosovo soit un État multiethnique et non pas un État albanais. Notre élite politique l’a accepté. Or, aujourd’hui, Belgrade revendique la création d’une association des municipalités à majorité serbes, c’est-à-dire basée sur l’ethnicité. Pour nous, ceci est très problématique et s'inscrit en totale dissonance avec notre Constitution et nos lois. Par ailleurs, dans la mesure où la Serbie compte beaucoup plus de minorités ethniques que le Kosovo - au moins 20% de sa population - son gouvernement devrait, selon le principe de réciprocité, autoriser la création d’association similaires sur son propre sol. Or, il n’en est rien !

Pensez-vous qu’il s’agisse là d’une manœuvre de déstabilisation du Kosovo et d'atteinte à sa souveraineté?

Il suffit de jeter un regard rétrospectif sur les événements passés et en faire des déductions. Le 26 avril 1991, en Bosnie, 40 municipalités à majorité serbe se sont regroupées et ont créé une association. Le 9 janvier 1992, ils ont déclaré leur indépendance qui a été suivie, le 28 février 1992, par la proclamation de leur Constitution. Puis le 14 décembre 1995, à Dayton, ils ont annoncé la création de Bosnie-Herzégovine. Vue de l’extérieur, c’est un état qui n’est pas une république et vue de l’intérieur, c’est une république qui n’est pas un état. Revenons maintenant à la revendication de la Serbie. Elle tente user du même schéma pour avoir une région autonome sur le territoire de notre pays. Une sorte de République Serbe du Kosovo, qui va, effectivement, porter atteinte à notre souveraineté et déstabiliser nos efforts de paix.

Parmi tous vos défis actuels, quels sont les plus prioritaires ?

La reconnaissance du Kosovo par les cinq pays de l’Union Européenne sur les vingt-sept qui la lui refusent toujours. Il s’agit de l’Espagne, de la Grèce, du Chypre, de la Slovaquie et de la Roumanie. Pour ce qui est de l’OTAN que nous souhaitons intégrer, il s’agit de quatre pays membres qui ne reconnaissent pas notre État par opposition à vingt-six autres membres. Notre défi principal est donc de réussir à faire en sorte que ces minorités rejoignent le positionnement de la majorité à notre égard. Idem pour ce qui concerne la non-reconnaissance de notre État par l’ONU car la Russie, alliée de la Serbie, lui fait barrage, pendant que la Chine s’abstient de prendre position. La raison en est que ces cinq états de l’Union européenne aussi bien que ces deux puissances mondiales craignent de créer un précédent juridique dont pourraient se servir leurs propres minorités pour revendiquer leur indépendance. Ce sont des obstacles sur lesquels nous travaillons sérieusement.

Comment percevez-vous la situation du Haut-Karabakh, dont l’indépendance autoproclamée en 1991 n’est reconnue par aucun État, contrairement à celle du Kosovo?

Je suis sincèrement navré pour les interventions militaires dans le Haut-Karabakh. Toutefois, ne connaissant pas suffisamment la politique de cette région, il m’est difficile de me prononcer à son sujet. Par contre, ce que je trouve vraiment dommage, c’est que ni l’Arménie, ni l’Azerbaïdjan ne reconnaissent l’indépendance du Kosovo alors qu’ils le devraient. Pour ce qui est du Haut-Karabakh, le dialogue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est indispensable à ce sujet. Le plus problématique dans cette situation c’est le fait que beaucoup de grandes puissances y soient impliquées. Et de mon point de vue, il y a là de leur part, plus d’intérêts que de valeurs. Je ne peux que souhaiter la paix et la prospérité au peuple.

Avez-vous déjà visité l’Arménie ?

Non, malheureusement. Mais je connais Charles Aznavour et je suis un très grand fan du réalisateur arménien Atom Egoyan que je souhaiterais beaucoup rencontrer.