Les députés de l'opposition qui avaient boycotté les séances de l'Assemblée nationale depuis une dizaine de jours et réclamaient, dans la rue, la démission du Premier ministre sont revenus au parlement hier après-midi.
Par Olivier Merlet
Armen Rustamyan député du bloc d'opposition "Hayastan" a porté la question en séance. « Nikol Pashinyan, qui occupe le poste de Premier ministre de la République d'Arménie, a échoué dans l'affaire de la défense des intérêts arméniens dans le processus de négociation du conflit d'Artsakh, et a apporté une défaite à la guerre […] Il a admis qu'il aurait pu empêcher la guerre, éviter des milliers de victimes, mais il ne l'a pas fait » a-t-il déclaré.
« Dans le cadre du programme pré-électoral, il a promis de poursuivre une politique de clarification du statut final de l'Artsakh à travers la pleine réalisation du droit à l'autodétermination, c'est de la propagande. […] Le Karabakh, c'est l'Azerbaïdjan ? C'est fini ? […] La dette de l'État, la pauvreté, les prix et les décès augmentent […] Notre État n'a pas mandat de faire de nouvelles concessions, Nikol Pashinyan n'est pas légitime, il doit démissionner », a asséné le représentant de l'opposition.
Prenant la parole à son tour, le Premier ministre Nikol Pashinyan a bien sûr rejeté l'idée de sa démission et a de nouveau blâmé les anciens dirigeants arméniens pour la guerre de 2020 au Haut-Karabakh ainsi que de "tirer les ficelles", en coulisses des manifestations antigouvernementales qui se poursuivent à Erevan depuis une dizaine de jours. « Ils pensent que s'ils répètent tout, font les choses de la même manière, imitent, ils réussiront ». a-t-il déclaré, faisant allusion à la "révolution de velours" qui l'avait porté au pouvoir en 2018.
« Si vous pensez que vous pouvez justifier les catastrophes que vous avez apportées à ce pays en rejetant la faute sur les anciennes autorités, vous vous trompez », a rétorqué Rustamyan avant que lui et les autres députés de l'opposition ne quittent la salle en signe de protestation.
L'affrontement verbal d'hier, au sein de l'Assemblée, avait été précédée par une marche sur le parlement. Celle-ci, prévue mais redoutée et strictement encadrée, n'avait donné lieu à aucun débordement. Depuis une dizaine de jours, effectivement, les deux principaux partis d'opposition tentent d'organiser un mouvement de protestation publique, un « soulèvement populaire » n'hésitent-ils pas à dire, visant à faire tomber Nikol Pashinyan et son gouvernement.
Petit récapitulatif des derniers événements
Tout a commencé par l'installation sur la place de la Liberté, le parvis de l'Opéra d'Erevan d'une permanence d'Artur Vanestyan président du groupe "Patrie", affilié "J'ai l'honneur". Désertant avec quelques autres les bancs du parlement, le député, ex-patron de l'AAATS, les services de sécurité intérieure, y reçoit journalistes, partisans et curieux pour leur confier ses intentions, faute de programme, tandis qu'à grand renfort d'harangues agressives, Ishkhan Saghatelyan vice-président de l'Assemblée nationale et membre de l'Organe suprême de la Fédération révolutionnaire arménienne (Dachnaktsuthjun) tente de galvaniser le public lors de ses meetings. Simultanément, quatre délégations de marcheurs partis d'Idjevan, de Tigranashen, Bash Aparan et du mémorial de Sardarapat ont convergé vers Erevan ou elles se sont retrouvées, place de France le 1 er mai. Dans leurs rangs, Serge Sargsyan et Robert Kotcharyan. Le public Érévanais était présent au rendez-vous, certes, mais rien à voir avec les grands rassemblements qui avaient précédé les élections du printemps dernier et encore moins de ceux de 2018.
Depuis lundi matin, les organisateurs de ces mouvements d'opposition continuent leurs actions. Ils ont installé un village de quelques tentes sur la place de France et procèdent, par défilés sporadiques de quelques dizaines, tout au plus cent à deux cents activistes au blocage des rues du centre de la capitale. Il y a plus de policiers que de manifestants le long de ces cortèges. Suffisants toutefois pour créer de longs embouteillages sur les principales voies d'accès au centre-ville, bien perturber la circulation et les transports publics. Prendre le bus, le matin pour se rendre au travail, ou le soir pour rentrer chez soi est devenu un enfer pour des milliers d'Érévanais.
C'est peut-être là toute la faiblesse de ce mouvement et l'erreur de jugement de ses leaders. Si nul ne peut prédire comment le vent tournera, force est de constater aujourd'hui que la mayonnaise ne prend pas. De très nombreux arméniens partagent sans doute largement ce sentiment "anti-Nikol" et tout comme le réclame l'opposition, beaucoup ne seraient pas mécontents de le voir quitter le pouvoir. Mais la lassitude de la population arménienne est extrême, elle veut vivre, travailler et espérer pouvoir un jour prospérer dans un pays calme et sécurisé. L'agitation politique de ces derniers jours, elle semble ne pas en vouloir, d'autant qu'en coulisses, silencieux mais bien présents, la figure des deux anciens présidents constitue un repoussoir objectif alors que dans le même temps, les espoirs douchés de 2018 sont dans tous les esprits.
« Attendons. Personne de ceux que nous connaissons aujourd'hui n'est capable de relever l'Arménie. Soyons patient, un leader va émerger, un homme nouveau ». C'est un simple badaud, quelqu'un de la rue, qui s'exprimait hier au passage d'un cortège. Cette résilience que l'on prête si couramment au peuple arménien est à l'œuvre, une fois encore. Mais peut-être peut-on percevoir, au-delà de tout ce découragement, un signe positif et encourageant, celui d'une maturité, voire d'une sagesse politique de l'opinion publique arménienne.