2025, année de tous les dangers

Région
07.01.2025

L’année 2024 s’est achevée en Arménie dans un climat relativement festif, en témoignent les efforts déployés par la municipalité d’Erevan pour embellir le centre-ville de ses illuminations, de la frénésie consumériste de la population, de l’aspiration à vivre en paix. Car de paix, il a été question dans le discours de vœux du Premier ministre Nikol Pachinian à maintes reprises. Un discours contrastant avec la rhétorique martiale de son homologue azerbaïdjanais, sans doute ébranlé par la chute du dictateur syrien, qui sait que sa légitimité première repose sur une rhétorique nationaliste, raciste et belliqueuse à l’encontre de l’ennemi arménien.

 

Par Tigrane Yegavian (dans le cadre de partenariat avec Civilnet)

L’Arménie a gagné un sursis. Ses dirigeants peuvent se féliciter d’une seule chose: il n’y a pas eu de guerre en 2024. L’affaire de la cession de territoires dans le Tavush, le début d’un processus de démarcation de la frontière, l’abandon de toute revendication concernant les droits des Artsakhiotes, … tout cela aura permis à l’Arménie non pas d’avancer vers la normalisation avec l’Azerbaïdjan, mais plutôt de repousser l’échéance fatidique de l’invasion du Syunik. Car la tension reste vive avec l’Azerbaïdjan et les discussions sur un traité de paix entre les deux pays butent sur le tracé de la frontière et l’ouverture des 42 kilomètres du « corridor du Zanguezour » pour relier les deux morceaux du territoire azerbaïdjanais.

 

L’Arménie est-elle prête à faire face à l’imminence d’une agression de vaste échelle au regard de l’état de délitement de ses élites civiles et militaires ? Certes, le budget de la défense a explosé. Erevan a accru ses dépenses de défense de 20 %, à près de 665 milliards de drams (1,7 milliard de dollars) pour 2025. Mais nous sommes encore loin du compte tant l’écart s’est creusé à l’avantage du régime de Bakou.

 

Frustrée par l’alignement de la Russie et de ses alliés de l’OTSC sur l’Azerbaïdjan, l’Arménie peine à recomposer une architecture de sécurité crédible et à forger des alliances militaires. Erevan est devenue le premier client de l’Inde, amie et alliée de l’Arménie. Quant à la France, minée par une crise de régime gravissime, forme ses officiers, lui livre des armes: radar de défense aérienne, fusil de précision, jumelles de vision nocturne et (en projet) des missiles sol-air Mistral… Suffisant pour attirer l’ire du pouvoir azerbaïdjanais, convaincu que les nombreux tweets pro – arméniens de l’ambassadeur de France en Arménie s’inscrivent dans une stratégie orchestrée par Paris…

L’Inde est moins exhibitionniste, cette année, aucun dirigeant indien de haut rang ne s’est rendu à Erevan. Quant aux Etats-Unis, tout porte à croire que la défense de l’intégrité territoriale de l’Arménie n’est pas un sujet de préoccupation. En témoigne l’absence totale de coopération militaire digne de ce nom en dehors des traditionnels exercices conjoints annuels eagle partner.

 

Cela est suffisant pour inviter l’exécutif arménien à l’extrême prudence. Le domino géorgien vient de tomber dans l’escarcelle moscovite, l’Ukraine est épuisée et ne pourra pas reconquérir ses territoires par la force, la Moldavie est plus fragilisée que jamais. L’Arménie tente de s’extraire de l’influence russe et de « passer à l’Ouest », depuis la révolution de velours de 2018.

 

Pour rester sur la carte en 2025, l’Arménie va devoir manœuvrer habilement au risque de ravaler sa fierté. Cela sous-entend trouver langue avec la Russie résolue à faire chuter le gouvernement de Monsieur Pachinian à la première occasion. Les échanges bilatéraux ont explosé depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, les entrepreneurs arméniens profitent des sanctions occidentales contre Moscou pour réexporter de nombreux produits manufacturés occidentaux vers la Russie.

En outre, l’Arménie semble être devenue cette année un canal d’exportation d’or et de diamants russes vers les marchés mondiaux et les Émirats arabes unis (EAU) en particulier. C’est le principal moteur du doublement des échanges commerciaux russo-arméniens enregistré entre janvier et octobre 2024. Les données du gouvernement arménien montrent que les exportations russes vers l’Arménie ont triplé au cours de la période de dix mois pour atteindre près de 8,3 milliards de dollars. Le pays du Caucase du Sud a, quant à lui, signalé une multiplication par six de ses exportations vers les Émirats arabes unis, pour une valeur d’environ 4,9 milliards de dollars. Difficile de tabler sur un rééquilibrage avec les pays occidentaux.

Certes, Erevan a gelé sa participation à l’OTSC, mais elle maintient à juste titre sa présence au sein de l’Union économique eurasiatique. Par ailleurs, si les gardes-frontières arméniens ont pris le relais de leurs collègues à la frontière arméno-iranienne, peut-on envisager que l’Arménie ait intérêt à procéder à la fermeture de la base russe de Gyumri dans l’immédiat? La Russie verrait d’un mauvais œil une paix arméno-azerbaïdjanaise qui lui ferait perdre sa position d’arbitre, même si elle s’est largement dévaluée dans ce rôle. Mais l’Union Européenne d’Ursula Von der Leyen peine à faire preuve d’un intérêt pour la défense de l’Arménie. Le deux poids deux mesures de Bruxelles sur la situation en Géorgie et en Azerbaïdjan achève de démonétiser une Union européenne incohérente dans les valeurs qu’elle prétend défendre avec force.

 

L’épée de Damoclès du tandem turco-azerbaidjanais pousse à une révision de la Constitution arménienne. La rhétorique du gouvernement d’Erevan prônant une «Arménie réelle» par opposition à l’Arménie historique fantasmée, à mettre en valeur le mont Aragats au détriment de l’Ararat ne doit tromper personne. Il s’agit bel et bien d’une opération de communication visant à dévitaliser la transnation (Khatchig Tölölyan) arménienne, à couper tout lien organique avec les Arméniens de l’Artsakh et de la Diaspora, coupables d’un irrédentisme irresponsable. Bref à renoncer au rêve d’un État-nation en échange d’un calme tout relatif et du rétrécissement de son assiette territoriale.

 

Alors que le Caucase du Sud risque fortement de devenir un nouveau front dans la confrontation israélo-iranienne, l’Arménie à intérêt à rester à l’écart des conflits qui menacent à ses portes. L’enjeu repose sur la poursuite de la diversification de ses partenariats tout en retrouvant une relation de confiance avec une Russie affaiblie mais victorieuse sur le front ukrainien. Bref, faire preuve du sens de l’Etat, qui fait encore si tragiquement défaut.