Le premier Armenian Prayer Breakfast a eu lieu à Erevan

Հասարակություն
20.11.2025

Le vendredi 14 novembre, l'événement, ouvert par le président Vahagn Khatchatourian et Daniel Findikyan, haut responsable de l'Église arménienne, a réuni des responsables religieux, des membres de la société civile, des experts en géopolitique et des représentants des minorités. L'événement s'est déroulé à la Galerie nationale.

 

Par Zacharie Maboussin

Le christianisme, pierre angulaire de l'identité arménienne

Premier pays au monde à avoir adopté le christianisme comme religion d'État, l'Arménie revendique une identité profondément marquée par la religion et la foi. Les représentants de l'Église apostolique ont insisté sur l'importance de ces éléments, tout en alertant sur les menaces qui pèseraient aujourd'hui sur la culture chrétienne sous la pression de l'Azerbaïdjan.

 

Le patriarche Daniel Findikyan a rappelé la fonction unificatrice de l'Église arménienne, tandis que Matias Pertulla a souligné que, pour de nombreux citoyens, « la foi est l'âme du peuple ». 

 

Plusieurs responsables religieux ont dénoncé l’emprisonnement de trois évêques arméniens et ont appelé à défendre l’indépendance des institutions spirituelles. 

Le Dr Asif a élargi la perspective en évoquant les persécutions touchant chrétiens et musulmans au Moyen-Orient, plaidant pour un respect mutuel : « Le droit de choisir librement ses dirigeants religieux peut devenir un pont entre le christianisme et l'islam. »
La voix de la communauté yézidie s'est fait entendre par l'intermédiaire de Khdr Hajoya, président du réseau yézidi. Il a décrit l’Arménie comme un véritable refuge :

 

« Les Yézidis trouvent un foyer en Arménie. C’est le seul pays où nos enfants peuvent apprendre notre langue. » Cette dynamique positive se manifeste également dans le changement de nom du journal yézidi, qui est passé de Yezidi Voice à Yezidi Home. Ce journal est désormais publié en arménien et en langue yézidie, ce qui symbolise une présence ancrée.

 

Famille et démographie : un enjeu identitaire et national

Le second panel a majoritairement porté sur l'avortement et plus particulièrement, de son interdiction, car, selon les études, plus de 1,8 million d'avortement ont eu lieu depuis le début de l'URSS.

Certains intervenants ont souligné que la baisse du nombre d’habitants affaiblirait la capacité de l’Arménie à préserver son indépendance dans un contexte géopolitique tendu.  

Le poids des traditions contribue également, selon eux, à un déséquilibre démographique. Dans certaines familles, la préférence pour les garçons conduit à des avortements sélectifs, entraînant aujourd’hui un déséquilibre démographique.

" Les hommes, de leur côté, émigrent pour trouver de meilleures conditions de vie, compromettant davantage le renouvellement des générations. Nous perdons à la fois nos garçons et nos filles ", dit Nersen Isajayan. 

Cette situation a aussi des conséquences sociales : baisse de l’estime de soi chez de futures mères, pression familiale accrue et hausse des violences conjugales.

Pour Nersen Isajanayn, les Arméniens forment pourtant un « peuple pro-vie ». Elle note cependant une contradiction entre croyances et pratiques : dans de nombreuses familles, l’avortement joue de fait le rôle de méthode de planification familiale.
Selon elle, « il faut soutenir les femmes dans leur grossesse », rappelant que la capitale compte sept cliniques d’avortement mais aucune clinique chrétienne.

 

Le projet TRIPP, un corridor stratégique entre l’Asie centrale et l’Europe

Le projet TRIPP, un corridor routier reliant l'Azerbaïdjan au Nakhitchevan en passant par l’Arménie, a été présenté comme une opportunité géopolitique majeure. Pour Ashour Minasaryan, il ne s'agit pas qu'une infrastructure de transport : TRIPP pourrait contribuer à stabiliser la région et accroître le rôle de l’Arménie, carrefour entre l’Asie centrale, l’Europe, la Russie et l’Iran.

La modératrice Maria Titizian a interrogé Gregory Piper, sur l'intérêt des États-Unis dans ce projet. Il estime que cette route permettra aux pays d'Asie centrale d’accéder aux produits américains tout en contournant la Chine et la Russie. D'un point de vue macro-politique, ce corridor permettra aux États-Unis de concurrencer le projet chinois des nouvelles routes de la soie.

 

Pour le représentant de la Banque centrale d'Arménie, l'approbation de ce projet est un signal fort : cela signifie que les investisseurs croient dans le potentiel de l'Arménie. Pour Abisoghmayan, les investissements vont croître avec la mise en oeuvre de cette infrastructure.

 

De son côté, Hayk Yeganyan, estime que le développement des infrastructures va permettre de renforcer la connectivité régionale, réduire les coûts des transports et de renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement. La viabilité du projet dépend de la stabilité de la région et de la simplicité lisibilité de la législation. L'objectif pour l'Arménie est d'attirer de nouvelles usines. Le représentant de la banque centrale. Il considère que ce projet est une opportunité économique - et géopolitique - pour l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Sur le plan sécuritaire, Yeganyan a rappelé que la souveraineté se définit aussi comme une capacité d’influence : garantir la stabilité du pays revient à « donner une raison aux gens d’élever leurs enfants ici ».

 

Foi et affaires : comment concilier valeurs chrétiennes et business ?

La question de l’articulation entre convictions spirituelles et décisions entrepreneuriales a suscité un échange animé entre les intervenants, tous convaincus que la foi peut devenir un atout dans le monde des affaires.

Pour Vardan Jhanyan, la frontière entre spiritualité et économie est quasi inexistante : « Dans la foi comme dans le business, tout repose sur la croyance », affirme-t-il. Selon lui, les principes commerciaux les plus fondamentaux trouvent leur origine dans les valeurs chrétiennes, et la seule véritable boussole de l’entrepreneur devrait rester la Bible.

La confiance demeure, à ses yeux, le pilier essentiel : « Si mon partenaire est chrétien, nous partageons naturellement un même code moral. »

Housep Manukyan abonde dans ce sens, rappelant l’importance du « système de valeurs chrétiennes » comme socle éthique, tandis qu’Armen Adamy insiste sur l’humilité nécessaire à tout dirigeant : « Dans les affaires, nous ne sommes pas des maîtres mais des serviteurs. Le Seigneur nous a donné la vie et nous a appris à servir. »

Interrogés sur la compatibilité entre éthique chrétienne et compétition économique, les participants reconnaissent l’existence d’un dilemme, que Vardan Jhanyan résume ainsi : « Toutes les entreprises y sont confrontées. C’est seulement grâce au Seigneur que l’on peut faire le bon choix. »

Pour Vardan Jhanyan, la conclusion est sans ambiguïté : les entreprises sont « plus performantes lorsque des valeurs chrétiennes les guident ». Un avis partagé par Armen Adamy, qui rappelle un principe universel : « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent. »

Femmes, paix et sécurité : reconstruire la nation depuis le foyer

 

Le dernier panel a mis en lumière le rôle essentiel des femmes dans la reconstruction post-conflit. « Nous devons faire davantage pour célébrer leur engagement », a insisté une intervenante.

 

Le cadre international existe : le Women, Peace & Security Framework, signé à Pékin, appelle à intégrer les femmes dans la prévention des conflits, les processus de paix et la reconstruction.

 

Rosali Harutyunyan a rappelé : « Quand les femmes avancent, les familles guérissent et la nation retrouve sa boussole. »

Pour Talin Topalakian, la paix ne se décrète pas : « La paix est construite par le cœur humain, et surtout par des mains humaines. » Elle a souligné que les accords et les signatures ne suffisent pas. « La vraie paix ne se bâtit pas dans les documents : elle naît discrètement dans les foyers, les salles de classe, les cliniques. ». Malgré ce rôle central, elles restent sous-représentées au Parlement, un paradoxe relevé par plusieurs intervenantes.

 

« La paix n’est pas un rêve, mais une promesse… et ce sont les femmes qui en sont les bâtisseuses. »

 

Tatiana Katlyarenko a rappelé le rôle déterminant du Conseil de sécurité de l’ONU, qui reconnaît désormais que les femmes ne sont pas affectées de manière égale dans les conflits, particulièrement en matière de violences sexuelles ou de discriminations fondées sur la foi et le genre. Mais malgré les avancées normatives, la mise en œuvre reste insuffisante : mariages forcés, conversions imposées, violences sexuelles continuent d’être documentés.

Cette dernière a également alerté sur une réalité encore plus sombre : l’enlèvement et la vente de jeunes filles comme esclaves sexuelles. En droit international, a-t-elle rappelé, ces crimes peuvent être assimilés à un génocide lorsqu’ils visent l’anéantissement d’un groupe.