L'Académie nationale du Cinéma d'Arménie n'a pas choisi le documentaire "1489" de Shoghakat Vardanyan, plusieurs fois couronné lors de compétitions internationales, pour représenter l'Arménie à la prochaine cérémonie des Oscars. Elle lui a préféré "Yashan et Leonid Brejnev", tragicomédie absurde d'Edgar Baghdasaryan, vierge de la moindre reconnaissance ni de la moindre distinction.
Par Olivier Merlet
Dans "1489", Shoghakat Vardanyan filme avec son téléphone l'attente tragique et les recherches de sa famille alors que son frère, Soghmon, est porté disparu au septième jour de combat de la guerre des 44 jours. Soghomon Vardanyan, âgé de 21 ans était étudiant et musicien sur le point de terminer son service militaire obligatoire lorsque la guerre a éclaté. "1489" fait référence au numéro du sac contenant les restes du jeune homme en attente de leur identification. Shoghakat a continué de filmer, même dans les moments les plus intimes et les plus vulnérables, rendant ainsi une expérience visuelle parfois inconfortable.
Son documentaire a été présenté dans une vingtaine festivals à travers le monde. Il a remporté le prestigieux Festival international du film documentaire d'Amsterdam (IDFA), le prix FIPRESCI de la critique de cinéma, le prix du meilleur documentaire au Festival du film de Trieste, le prix du meilleur documentaire au Festival international du film documentaire (FIDBA) de Buenos Aires et plusieurs autres dont le tout premier en 2022 au Festival du Golden Apricot. En 2021, Shoghakat Vardanyan avait refusé le prix du Premier ministre arménien pour 1489, affirmant ne pas vouloir que le documentaire soit récupéré politiquement.
Plusieurs médias ainsi que l'association des documentaristes "Œil pour œil" ont réagi à la décision surprenante de l'Académie nationale du Cinéma d'Arménie lui demandant de revenir sur sa décision. Ils l'ont également invité à préciser avec transparence les critères qui ont dicté son choix. Ils notent dans leur requête qu'Edgar Baghdasaryan est membre du conseil d'administration de l'académie du cinéma, alors que Shoghakat Vardanyan, nouvelle venue dans le milieu, signe son tout premier film avec "1489".
L'académie du Cinéma demeure muette qui pour l'heure n'a publié aucune réponse officielle. L'un de ses membres, le comédien Mikayel Poghosyan, a déclaré que le choix du film appelé à représenter l'Arménie aux Oscars partait d'une décision collective. « L'académie a décidé que "1489" n'avait pas reçu suffisamment de votes pour participer à la cérémonie des Oscars », a-t-il ajouté.
« C'est ce film qui décrit le mieux l'Arménie et la situation du peuple arménien ces dernières années. Au-delà de son très grand succès, ce film est un hommage à toutes les victimes, aux disparus et à leurs proches », proteste le communiqué de l'association "Œil pour œil". Hovhannes Ishkhanyan, documentariste mais aussi écrivain et journaliste trouve « incroyablement étrange qu'à la place de [1489] qui a rapporté tant de prix et de reconnaissance à l'Arménie dans le monde du cinéma, un autre film ait été sélectionné. […] Ils [l'académie du Cinéma, NDLR] exercent une censure dans le monde de l'art qui fait que les films qui apportent la reconnaissance à l'Arménie ne soient pas diffusés ».
La réalisatrice de "1489", Shoghakat Vardanyan, estime de son côté que « d'autres considérations obscurcissent les décisions » mais assure que « d'un point de vue personnel ou pour le film lui-même, rien ne change. "1489" continue de parcourir le monde et de raconter son histoire ». Elle ajoute : « les intérêts publics nationaux, nationaux et étatiques sont importants pour moi, et je n'accepte pas ceux qui préfèrent uniquement leurs intérêts personnels. Je l'ai également montré en 2021 en refusant sur scène le Prix du Premier ministre, évènement qui, bien entendu, a été peu couvert. Je l'ai fait pour tous les parents qui ont perdu un enfant à la guerre ».