Le prix Sakharov décerné à deux journalistes emprisonnés, en Géorgie et en Biélorussie

Հասարակություն
03.11.2025

Depuis sa création en 1988, le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit récompense les individus et groupes engageant leur vie pour la défense des droits humains et liberté de pensée. Plus haute distinction européenne pour les libertés fondamentales, le prix Sakharov s’est concentré cette année sur la liberté de la presse. Le Parlement Européen a récompensé cette année deux journalistes emprisonnés aux portes de l’Europe ; la journaliste Mzia Amaglobeli qui l’est en Géorgie depuis janvier 2025 et Andrzej Poczobut qui l’est depuis quatre ans en Biélorussie. Ces nominations ont été portées par Rasa Juknevičienė  du Parti Populaire Européen (PPE), des Conservateurs et réformistes européens (CRE) et 60 autres membres du Parlement.

 

Par Camille Ramecourt (en partenariat avec le magazine Le taurillon

Mzia Amaglobeli, et les manifestations démocratiques géorgiennes

Mzia est une figure du journalisme indépendant géorgien.  En 2001, elle co-fonde Batumelebi, média indépendant local de la République autonome d’Adjarie (faisant partie intégrante de la Géorgie), en réaction aux atteintes aux droits humains et à la corruption qui y règne alors. Le journal a du succès et est même empêché de paraître dans la région, jusqu’à ce que, avec l’aide de l'ONG International Center for Journalists, il soit réenregistré dans la capitale du pays, Tbilissi. Face au succès de Batumelebi, elle cofonde un second média, Netgazeti, couvrant des nouvelles nationales. Gage de leur qualité, ses deux médias avaient reçu le Prix de la Presse européen respectivement en 2009 et 2015, et avaient été censurés en Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine. 

C’est au cours des manifestations anti-gouvernementales et pro-Européennes qui agitent sans discontinuer la Géorgie depuis l’année dernière que Mzia a été arrêtée en janvier 2025, accusée d’avoir giflé un officier de police.

 

La Géorgie est en crise interne depuis 2024, et les manifestations contre le pouvoir n’ont pas cessé depuis les élections nationales truquées. L’opposition géorgienne et le Parlement européen avaient demandé l’annulation de celles-ci et appelé à la tenue de nouvelles élections. Et à la suite des élections locales de novembre 2025, boycottées par les oppositions, les soulèvements ont repris de plus belle, d’autant plus réprimés par le régime. 

 

En détention préventive depuis janvier (le tribunal ayant refusé qu’elle paye une caution), Mzia a été condamnée à 2 ans de prison en août. Dès ses premiers jours de détention, elle avait entamé une grève de la faim, qui avait attiré l’attention internationale sur son cas, la faisant devenir le symbole du journalisme libre dans son pays, et la première femme prisonnière politique en Géorgie depuis l’URSS. Sa nomination a été proposée par la députée européenne lituanienne Rasa Juknevičienė (PPE), et soutenue par 60 autres, et liait sa candidature à celle du mouvement géorgien pro-démocratie tout entier. Rasa Juknevičienė espérait en la désignant que cela puisse apporter un véritable changement en Géorgie dont le destin politique se joue à l’heure actuelle dans les rues de Tbilissi.

 

Andrzej Poczobut, l’opposition des Polonais de Biélorussie

Andrzej est quant à lui un représentant et militant de la minorité polonaise de Biélorussie, ayant travaillé comme correspondant pour le journal polonais Gazeta Wyborcza. En tant que journaliste, il a été arrêté plusieurs fois par le régime biélorusse, principalement pour “calomnie” contre son homme fort, le Président Alexandre Loukachenko. En 2011, il a notamment été jugé pour l’avoir qualifié de dictateur et appelé l’UE à imposer des sanctions contre la Biélorussie. C’est en raison de son travail de journaliste indépendant et de son rôle de président adjoint à l’Union des Polonais de Biélorussie (organisation représentant la minorité polonaise en Biélorussie) qu’il a été arrêté en 2021.

Soutien inconditionnel de la Russie de Vladimir Poutine, Loukachenko réprime les minorités nationales en Biélorussie et toute influence considérée comme extérieure. Estimant la minorité polonaise comme un noyau de l’Ouest dans son pays, il a interdit l’Union des Polonais de Biélorussie dès 2005. Celle-ci a continué ses activités, malgré les arrestations, la surveillance et les campagnes de diffamation dans la presse officielle. Après les élections contestées de 2020, Andrzej a été arrêté avec d’autres visages de l’Union des Polonais. Ses compagnons ont été libérés, et bien que les charges retenues contre lui auraient pu être abandonnées s’il avait demandé la clémence de Loukachenko, Andrzej s’y est toujours refusé.

 

En 2021, il a été condamné à 3 ans de prison pour «insulte publique envers le président biélorusse» et «incitation à la haine ethnique». En 2022, le site de l’Union des Polonais a été considéré comme “contenu extremiste”. En 2023, Andrzej  a été condamné à 8 ans dans une colonie pénitentiaire pour avoir encouragé des actions visant à porter atteinte à la sécurité nationale de la République de Biélorussie et d’avoir incité à l’hostilité ethnique selon la justice biélorusse, contrôlée par le régime au pouvoir.

 

Lors de ses premières incarcérations, ONG et institutions européennes avaient déjà agi pour le journaliste. Dans une résolution de mars 2023, le Parlement Européen a demandé sa libération immédiate, en raison des motivations politiques de sa condamnation, visant à réduire au silence les voix indépendantes et à supprimer la liberté d’expression et d’association. Il a été mis en isolement à plusieurs reprises, il n’a pas de droit de visite et une grave perte de poids a été remarquée par son épouse, qui a été privée de contact avec lui pendant plusieurs semaines en 2025 et s’inquiète de la détérioration de son état de santé. En septembre 2025, la Biélorussie a libéré, sous pression américaine, 52 prisonniers politiques, mais la libération d’Andrzej n’a pas encore été mentionnée, sa reconnaissance internationale pouvant servir d’atout au pays dans d’hypothétiques négociations internationales.

 

Avec le Prix Sakharov 2025, le Parlement européen espère relancer la dynamique de soutien à l’opposition biélorusse et géorgienne pro-démocratie

Roberta Metsola, la Présidente du Parlement Européen, a annoncé les résultats le 22 octobre dernier, en compagnie de Sergueï Tikhanovski, lauréat du prix Sakharov 2020, et Svetlana Tikhanovskaïa, cheffe de file de l’opposition au régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko depuis 2020, réfugiée en Lituanie. 

Pour Roberta Metsola, le choix de ces lauréats souligne le soutien indéfectible du Parlement Européen envers les défenseurs de la liberté et de la démocratie, et elle espérait que Sergueï soit heureux de voir ce prix qui, à nouveau, récompense le travail d’opposition en Biélorussie.

Sergueï avait été condamné en 2020, à la suite d’actions pour des élections démocratiques soutenant la candidature de son épouse Sviatlana, à 18 ans de prison. Libérée, on aurait pu croire que son discours soit positif, mais il annonce le ton avec un approche qu’il veut “franche, avec peu de politiquement correct”, n’étant pas un diplomate professionnel. La situation politique biélorusse est pire que lorsqu’il l’a laissé, il rappelle à l’Europe l’erreur stratégique de ne pas avoir soutenu la Biélorussie sur le terrain, lorsque l’opposition était forte, car la Russie, elle, n'y a pas manqué. “ Nous avons été laissés seuls, et Moscou a pris le contrôle ”. Mais si l’opposition qu’incarnait Sviatlana a été forcée à l’exil, selon lui le peuple n’a jamais soutenu Loukachenko. “ Sans vrai allié, nous aurions mené une bataille perdue d’avance ” mais la situation n’est pas désespérée, car il attend un “changement imminent de pouvoir”, et enjoint l’UE à devenir un acteur actif en Biélorussie. 

La Biélorussie comme zone neutre entre UE et Russie serait bénéfique pour les deux blocs, termine-t-il sa première allocution. Cependant, Poutine voit la Biélorussie comme une base militaire à indépendance limitée, une “Tchétchénie d’Europe centrale”. Sergueï s’inspire plutôt de l’exemple de la Finlande, à construire un pays prospère et démocratique, en dépit de voisins envahissants.