Après des débuts réussis, le gouvernement arménien fait l’objet de nombreuses critiques pour sa gestion de la crise, alors que les cas se multiplient.
Par Zara Nazarian (publié dans Les Nouvelles d'Arménie Magazine)
Cette année, le printemps qu’on a l’habitude de compter en Arménie à partir du 1er mars a apporté non seulement des beaux jours tant attendus, mais aussi une nouvelle terminologie médicale devenue vite une nouvelle réalité - le Coronavirus – car c’est bien le 1er mars qu’un premier malade, un homme de 29 ans en provenance d’Iran, a été recensé dans le pays.
Immédiatement après avoir été diagnostiqué, l’homme en question, accompagné de son épouse et encore près de 30 personnes avec lesquelles il avait été en contact, y compris l’employé du service des frontières, avait été isolé dans un hôtel en plein centre de la capitale Erevan. Ainsi commençait la « saga » du COVID-19 à la « sauce arménienne », qui, plus de trois mois après, a du mal à s’arrêter.
Protections « made in Armenia »
Au début, la gestion du problème était presque exemplaire : les personnes diagnostiquées étaient immédiatement prises en charge par des services hospitaliers, et celles qui étaient en contact avec les porteurs réels ou présumés du virus étaient isolées dans des hôtels offrant un niveau de service extraordinaire, le tout entièrement payé par l’Etat. Ainsi, on avait réquisitionné pour y mettre des malades et des personnes isolées plusieurs lieux haut de gamme, dont l’hôtel cinq étoiles « Golden palace » situé à Tsaghkadzor, dans une cité chic de vacances. Les soins médicaux, le service, les repas proposant un vaste choix de mets, même des gâteaux d’anniversaire offerts pour l’occasion – le traitement des patients du Covid-19 était organisé avec beaucoup d’attention, et les moyens mobilisés à cet effet étaient considérables.
Il en était de même en ce qui concerne les équipements devenus soudain nécessaires par ces temps de pandémie : les masques et les gels hydroalcoholiques. Alors qu’en France, les hommes politiques se livraient une bataille pour expliquer l’absence de masques dans des pharmacies, l’Arménie, au bout de quelques jours seulement de pénurie, a réussi à organiser leur production en mettant en place des nouveaux ateliers ou en réorganisant ceux existants.
A la fin de la première semaine du début « officiel » de la pandémie dans le pays, quasiment tous les kiosques et toutes les supérettes d’Erevan offraient un large choix de gels et de masques « made in Armenia ».
Parallèlement, l’Arménie était contrainte d’organiser le retour dans le pays de ses ressortissants bloqués aux quatre coins du monde – une mission en grande partie réussie, malgré les difficultés objectives qu’elle représentait. Ainsi, des avions spécialement affrétés ont ramené des citoyens arméniens des États-Unis, d’Inde, d’Égypte, de la Russie etc., toujours avec beaucoup d’attention et de prévenance par rapport aux personnes. On avait alors l’impression que l’épidémie était bien sous contrôle et qu’il n’y avait pas de risque de propagation. Ainsi, des avions spécialement affrétés ont ramené des citoyens arméniens des États-Unis, d’Inde, d’Égypte, de la Russie etc., toujours avec beaucoup d’attention et de prévenance par rapport aux personnes. On avait alors l’impression que l’épidémie était bien sous contrôle et qu’il n’y avait pas de risque de propagation.
Une détérioration rapide
Mais ces premiers pas plutôt rassurants n’ont pas duré longtemps : vers la mimars, à la suite d’une cérémonie de fiançailles organisée pour son fils par une dame fraîchement revenue d’Italie et qui avait caché la fièvre et autres signes de la maladie, des dizaines de personnes se sont retrouvées aux urgences avec des symptômes du Covid-19. L’autre source de l’épidémie : une usine de textile qui venait de recevoir la visite d’un spécialiste, toujours venu d’Italie et toujours ayant caché son état… À partir de ce moment, on observe une hausse quotidienne des cas de contamination dans le pays, tout particulièrement à Erevan, et ce malgré un dépistage encore faible. Face à cette réalité, le gouvernement déclare, le 16 mars, l’état d’urgence accompagné des mesures strictes de confinement.
Ainsi, toutes les activités sont arrêtées et les commerces fermés - à l’exception des magasins d’alimentation et des pharmacies - tout comme les écoles et les universités.
Pour un pays dont un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, les conséquences sociales et surtout économiques d’une telle décision sont gravissimes.
Pour faire face à cette situation, plusieurs « formules » d’aide de l’État sont mises en place qui prévoient un soutien aux familles avec des enfants, aux personnes ayant perdu leur emploi, aux étudiants etc. Ces mesures qui sont à ce jour au nombre de 19, en fonction de catégories de la population, sont pour autant loin d’être véritablement efficaces. Représentant des sommes de 26 500 AMD par enfant (50 €), ou bien 68 000 AMD (environ 120 €) ou un peu plus, selon le cas, pour des adultes qui se sont retrouvés au chômage et versées une seule fois, prenant en charge une partie des coûts ou aidant les entreprises à payer une partie des salaires, ces aides ont fait plutôt un effet de « saupoudrage » sans pour autant avoir résolu le problème de baisse ou de perte de revenus.
Un blocus bis
La pandémie qui a arrêté la quasi-totalité du trafic aérien international et qui a fermé les frontières entre les pays a eu un effet particulièrement grave dans le cas de l’Arménie.
Dès la fin du mois de février, face à la hausse spectaculaire de cas de la maladie en Iran voisin, le gouvernement arménien a annoncé la fermeture de la frontière terrestre en introduisant en même temps certaines restrictions quant aux liaisons aériennes avec ce pays. Ne devant durer que deux semaines, cette mesure avait été prolongée pour des raisons évidentes. Cette démarche anti épidémiologique pourrait aussi avoir des conséquences politiques, car nombreux sont ceux qui reprochent au gouvernement arménien de ne pas avoir été à la hauteur vis-à-vis de son voisin se trouvant dans une situation difficile et ne pas lui venir à l’aide…
Le tableau noir de l’isolement
Peu de temps après, l’autre frontière terrestre – celle avec la Géorgie – a été également fermée aux déplacements des personnes, tout en restant, comme dans le cas avec l’Iran, ouverte aux marchandises. Cette décision, imposée pourtant par le contexte sanitaire, était pour le moins risquée et s’était ajoutée au blocus turco-azéri dans lequel se trouve l’Arménie depuis des décennies. Les vols internationaux devenant de plus en plus rares et l’absence de compagnie aérienne nationale pouvant, en cas de nécessité, combler ce vide, n’ont fait que compléter ce tableau noir d’isolement. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, c’est en ce moment même qu’est tombée la décision de la Commission européenne d’interdire le ciel de l’UE aux quelques petites compagnies privées enregistrées en Arménie…
Un virus bien politique
Si au tout début de la pandémie en Arménie, le Premier ministre Nikol Pachinian affichait une confiance totale en sa capacité de maîtriser la crise qui se profilait, en rigolant sur « ce chien du coronavirus » et en affirmant qu’« être malade du Covid19 était une vaccination naturelle », il a vite été rattrapé par la réalité. Ainsi, au moment des premiers cas déclarés, même si la marche du 1er mars en commémoration des victimes du 2008 était supprimée in extremis, le bloc majoritaire Mon pas n’arrêtait pas ses manifestations : d’une région d’Arménie à l’autre, on voyait l’équipe du Premier ministre tenir des rassemblements pour défendre le référendum constitutionnel prévu pour le 5 avril.
En deux semaines seulement, la situation a changé du tout au tout, allant jusqu’à l’instauration d’un état d’urgence qui se trouve renouvelé pour la quatrième fois de suite.
Par conséquent, le référendum qui, selon la Constitution arménienne ne peut avoir lieu qu’au minimum 50 jours après la levée de l’état d’urgence, s’était retrouvé compromis à plusieurs reprises, avant d’être annulé. La situation s’aggravant du point de vue sanitaire, avec une hausse spectaculaire de cas détectés, le pays est arrivé à l’inévitable saturation médicale. Inévitablement, Arsen Torossian, le ministre de la Santé qui se trouve dès le début de la pandémie sur l’avant-scène, devient l’une des personnes les plus controversées du gouvernement. On lui reproche sa moquerie ouverte du danger face aux journalistes et une sous-estimation des dégâts au début de la pandémie, tout comme une mauvaise gestion de crise par la suite. Un exemple flagrant : sur le manque de places dans des hôpitaux à Erevan sur un fond des lits restés vides dans des régions et même dans la capitale…
Ou alors, un autre épisode, quand il a refusé l’aide proposée par son homologue géorgien. La nouvelle a fait bondir la société, confrontée à la pénurie hospitalière, et a suscité de vives critiques du corps médical arménien, constamment surchargé et épuisé depuis le début de la pandémie. Conscient de ces faits, le ministre de la Santé est allé jusqu’à s’excuser publiquement pour des erreurs commises, ce qui, cependant, n’a pas pour autant amadoué les critiques. Il en est de même à l’adresse de Tigran Avinian, vice Premier ministre désigné commandant durant l’état d’urgence, dont les décisions ont souvent été difficilement comprises, comme, par exemple, la nécessité ou non de porter un masque dans des lieux publics…
L’annonce de la contamination du Premier ministre et de sa famille qui, au bout d’une semaine seulement, se déclarent être guéris, ne fait qu’ajouter de l’incompréhension et de distance entre Pachinian et ses « fiers citoyens », comme il a l’habitude de les appeler.
Face à cette réalité, Nikol Pachinian change le ton, et il met en place une gestion de crise bien fidèle à ses méthodes politiques, à savoir le contact immédiat avec les citoyens par le biais des interventions en direct sur sa page Facebook, souvent plusieurs fois par jour. Mais la magie opère de moins en moins, la situation se détériore, et son image politique aussi. Ses appels à la population la conjurant à porter des masques passent mal, car les Arméniens font de plus en plus le lien entre la gestion de la crise due au Covid19 et les nom breuses erreurs commises par le gouvernement dans d’autres domaines, en particulier dans l’économie et les affaires internes, pour la plupart léguées par le pouvoir précédent.
Un contexte extrêmement difficile
En parlant de la pandémie du Covid-19, on ne saurait éviter de parler du contexte général dans lequel se déroule la gestion de la crise sanitaire en Arménie.
Ainsi, sur la scène internationale, on observe la menace grandissante et de plus en plus ouverte d’Azerbaïdjan qui n’hésite pas à proclamer « Irivan » une ville azérie qu’il faut reprendre, la rhétorique belliqueuse de la Turquie qui prend le contrôle de plus en plus du Nakhtchevan, aux portes de l’Arménie…
La situation est loin d’être neutre dans la politique intérieure : le procès de l’ancien président Robert Kotcharian qui a du mal à aboutir et qui mobilise des couches de population « redevables » à l’ancien président d’un côté ; de nombreuses poursuites des hommes d’affaires (lire : hommes de pouvoir) de l’ancien régime dont l’un des exemples les plus flagrants est l’affaire Gaguik Khatchatrian, l’ancien « superministre » et dirigeant du Comité des recettes d’Etat, ou bien la levée de l’immunité parlementaire et l’ouverture d’une enquête pénale sur un autre oligarque – Gaguik Tsaroukian - qui, en plus, avait fait des racines dans la vie politique avec son « parti de poche », Arménie prospère, ayant fait, bon an mal an, 10 % lors des dernières élections législatives; des accusations graves lancées au premier-ministre par Mickaël Minassian, le gendre de l’ex-président Serge Sargsian ; le combat que livre la majorité et Nikol Pachinian en personne contre le président de la Cour constitutionnelle Hraïr Tovmassian et bien d’autres, petits et grands « fronts ». Tout cela ne peut que compliquer la gestion de la pandémie, car chaque décision, chaque déclaration prises par le gouvernement se trouvent scrutées et commentées par ses nombreux adversaires et opposants, en réduisant inévitablement leur efficacité.
Pas de lumière au bout du tunnel
Aujourd’hui, alors que la majorité des pays du monde affichent une belle réussite dans la lutte contre la pandémie et se déconfinent, l’Arménie fait l’office du « mauvais élève » en enregistrant un nombre croissant de malades, avec des centaines de cas enregistrés tous les jours.
L’état d’urgence censé au début durer 30 jours, se trouve reconduit pour une quatrième fois : prolongé jusqu’au 13 juillet, il s’accompagne d’un durcissement de ton perceptible. Le premier ministre va jusqu’à demander à la population de lui envoyer des enregistrements et des photos des personnes qui oseraient de ne pas s’y conformer – une sorte d’incitation à la délation qui passe mal. Il en est de même avec l’exigence de porter des document d’identité et de nombreuses amendes infligées pour telle ou telle infraction.
Cerise sur le gâteau, la société apprend la fuite des fichiers contenant les données des malades du COVID-19 vers… l’Azerbaïdjan divulguant des informations détaillées sur 3500 citoyens arméniens infectés ou ayant eu un contact avec les porteurs du virus, ce qui a valu une déclaration spéciale de Mané Guevorkian, porte-parole du gouvernement, ainsi qu’une enquête spéciale auprès du Service national de Sécurité.
Tout cela sur un fond d’un système de santé publique proche d’explosion (Pachinian avait parlé un moment d’une traversée d’enfer…) et d’un collapse économique approchant à grands pas. Les équipes médicales arrivées de plusieurs pays dont la France ne se ménagent pas pour aider leurs collègues arméniens, mais l’épuisement est bien là.
Ainsi, la capitale arménienne vit au rythme des sirènes de voitures des pompiers, des services médicaux, celles du ministère des situations d’urgence et de la police, qui appellent la population à « préserver la distance sociale, porter des masques etc. » Excès de zèle, durant toute une journée ces haut-parleurs diffusaient des informations avec la voix de…Nikol Pachinian.
Le virus du Covid-19 est devenu, au fil des mois, celui qui déstabilise non seulement le système médical de l’Arménie, mais aussi celui de gouvernance, en provoquant de plus en plus d’erreurs aussi bien dans la gestion de la crise sanitaire que dans celle du pays en général.