La dure survie d’une librairie féministe à Erevan

Société
27.04.2023

Bien qu'elle se veuille ouverte au plus grand nombre, la librairie féministe FemLibrary reste cachée au dernier étage d’un immeuble du centre-ville d’Erevan. Avec un riche catalogue littéraire autour de la sexualité et de l’égalité des sexes, elle souhaite faire changer les mentalités en Arménie.

Par Allan Branger

 

En plein cœur d’Erevan, la librairie féministe et LGBTQ+ "FemLibrary" propose une vaste sélection internationale d'ouvrages en anglais, en français, et même en arménien, tous spécialisés sur les thématiques de la sexualité, de l’identité de genre, du féminisme mais aussi de la défense des droits humains. Selon Arpi Balyan, sa co-fondatrice, "FemLibrary" se veut comme un lieu d’éducation ouvert à tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur ces sujets mais aussi comme un havre sûr et accueillant pour ceux qu’elle appelle ses « amis » - la communauté LGBTQ+ d'Erevan.

 

Cachée pour raisons de sécurité

Cela n'a pas toujours été le cas. Alors que le collectif dont elle est membre vient de recevoir les premiers fonds destinés à l'ouverture de la librairie, le 3 août 2018, des amis d'Arpi sont gravement blessés par des militants homophobes au cours d’un meeting à Shurnukh organisé sur le thème de la transsexualité. L'évènement pousse le collectif à hâter le mouvement et à ouvrir son local en banlieue d’Erevan. Mais dans le même temps, sur une photo postée sur les réseaux sociaux dénonçant l'agression, le voisinage reconnaît l’une des personnes qui fréquentent l'établissement. Le propriétaire des lieux est averti qui exige le départ rapide de la librairie.

Cinq ans et trois expulsions plus tard dues aux menaces qu’elles subissent, les fondatrices tentent désespérément de s’implanter dans la capitale arménienne. Elles ont fini par trouver cet appartement, au dernier étage d'un immeuble de la rue Pushkin. « Si l’on se cache dans cet immeuble, c’est pour des raisons de sécurité. On ne pourrait pas ouvrir dans la rue, ce serait beaucoup trop dangereux pour nous et nos clients ». Les comptes Instagram et Facebook de l’établissement cumulent plus de 4 000 abonnés et en constituent l’unique vitrine. « Miraculeusement, nous n'avons pas encore été expulsées de celui-là, mais on rencontre encore et toujours des problèmes avec le voisinage. Alors ce n’est peut-être qu’une question de temps » soupire Arpi, fataliste.

 

Faire évoluer les mentalités

Afin d’éviter d’attirer l’attention, la libraire n’ouvre que trois fois par semaine. Arpi reconnaît également que les visiteurs ne sont pas si nombreux. « Il y a des discriminations envers la communauté LGBTQ+ dans tout le pays. Récemment, deux trans ont même été tués ». Derrière la porte d’entrée timidement entrouverte, deux femmes sont à la recherche de livres. L’une d'elles a les cheveux bleus et scrute le rayonnage intitulé "sexualité". Ce seront les uniques clientes rencontrées en l’espace d’une heure.

"FemLibrary" a pour ambition de changer la perception de ces thématiques plutôt taboues en Arménie : « la sexualité et le féminisme devraient être des sujets plus abordés avec la population arménienne, dans les livres, à l’école ou même lors de meetings » déclare sa cofondatrice. Cette dernière, ne s'est d'ailleurs jamais départie de sa détermination et de son dynamisme. Chaque mois, la librairie tente d’organiser des réunions-débats en rapport au féminisme et à la vision de la sexualité. Le 21 janvier dernier, s’est tenue une conférence animée par l'artiste britannique Azade Sarjoghyan a réuni une dizaine de personnes. Elle portait sur la "déconstruction des stéréotypes dans l'art du Moyen-Orient".

Anne et Arpi organisent aussi ce qu’elles appellent des “Feminism Camp”, des retraites de trois jours, en dehors d'Erevan, qui réunissent en moyenne une dizaine de personnes. Les participants y discutent longuement sur l’importance du féminisme dans la société arménienne. « On souhaite que le féminisme en Arménie devienne un véritable combat » confie Arpi.