APRI Armenia, nouvel institut de recherche appliquée en politique, organisait du 15 au 17 juin dernier à l'hôtel Marriott d'Erevan son premier rendez-vous international, l'APRI Forum 2022. Conçu comme un espace de partage, de dialogue et de transmission, il a réuni durant trois jours des panelistes de haute-volée conviés à discuter stabilité régionale, sécurité et prospérité durable en Arménie.
Par Lusine Abgarian
Les défis que cette initiative s’engage à relever sont nombreux et demandent la participation d’un nombre de spécialistes du pays, de la diaspora et des non-Arméniens. Contribuer à la résolution de problèmes concrets, en relevant les principaux obstacles pour la réalisation à court et à long terme du potentiel de l'Arménie demande une profonde réflexion pluridisciplinaire …
À travers ses nombreux projets, dont ce forum, le centre de recherche stratégique, "APRI Armenia", fondé par l’UGAB, souhaite promouvoir l’échange d'idées novatrices et les initiatives en faveur d'une transformation fondamentale et positive du pays visant à faire éclore et affirmer son influence sur le plan régional aussi bien qu'international.
Groupes de réflexion
Un travail de conception de dix-huit mois a précédé le lancement de ce forum. Il était nécessaire avant tout de cerner et bien comprendre les problématiques de première urgence auxquelles l'Arménie est aujourd'hui confrontée. Hypothèses, projets pilotes, concertations internes et large consultation d'un vaste réseau de spécialistes engagés ont permis l'élaboration des objectifs prioritaires et l'identification des cibles concernées, acteurs politiques et de la société civile arménienne. Il s'agit donc pour APRI d'engager avec eux un dialogue politique clair et constructif sur la gouvernance du pays dans toutes ses spécificités géopolitiques et stratégiques, à partir d'un audit objectif et critique mené sous la vigilance professionnelle de spécialistes.
Pour Lara Sétrakian, journaliste et entrepreneuse américaine d'origine arménienne, inspirantrice, organisatrice du forum APRI et membre de son conseil d’administration, il était temps qu'Erevan se dote d'une telle organisation. « Les groupes de réflexion, les fameux think tanks, alimentent un dialogue extrêmement productif sur des questions avancées propres à de nombreux pays, on en rencontre fréquemment à Londres ou à New York, par exemple. Nous avons suivi les travaux du Forum économique mondial, de la Fondation Rockefeller... Ces études nous ont convaincu du très grand potentiel et de l'impact que pourrait représenter la création de différents groupes de réflexion de ce type en Arménie. L’UGAB y perçoit une grande utilité et souhaite y apporter sa contribution et sa marque ».
L'ex-journaliste souligne également l’importance des capacités managériales dans la gestion des projets de l'APRI. « Bien gérer les idées et les visions, savoir les mettre en œuvre concrètement en les adaptant à la réalité est une réelle compétence très spécifique. C'est entre autres ce qui a fait le succès du domaine informatique en Arménie : une gestion pragmatique du travail à accomplir. Si nous procédons à une planification rationnelle et à une organisation diligente, les éminences grises de tout domaine pourront mieux partager leur savoir et rentrer en interaction avec d’autres domaines. Il faut créer et gérer des plateformes où les participants apprendront les uns des autres ».
Les capacités de résolution des problèmes sont recherchées par APRI auprès des cadres du secteur privé aussi bien que de leurs homologues du secteur public. Les ministères de l’Économie, du travail et des et des affaires sociales, celui de la Santé, ainsi que la Banque centrale de la république d'Arménie ont été sollicités pour présenter leurs thèses liées aux thématiques reprises par le forum. « Certains disent, dans un jugement global, ne pas apprécier le travail de ce gouvernement. Il existe pourtant parmi eux des gens extraordinairement talentueux qui œuvrent tous les jours au bien du pays dans le cadre de leurs fonctions étatiques qu'ils ont parfois exercé sous différents gouvernements. Quelques-uns ont exprimé le désir de collaborer avec nous et d'échanger avec nos spécialistes, de prendre en compte leurs conseils dans leurs domaines spécifiques. Ils reconnaissent certaines lacunes ou inefficacités dans la gestion de problèmes auquel peut être confronte le gouvernement et acceptent d’être aidés et soutenus », reconnait Lara Sétrakian.
Situation d'urgence et choix stratégiques
En première place des problématiques d'ores et déjà identifiées comme prioritaires par l'APRI figure l'une des questions cruciales qui taraudent aujourd'hui l’Arménie au vu de sa situation géopolitique. Elle concerne le choix de ses partenariats stratégiques. Celui entre son allié traditionnel russe, très attaché à l'exclusivité de ses relations, et un repositionnement plus ouvert et plus équilibré entre l’Est et l’Ouest, le Sud et le Nord. Ne pouvant escompter davantage de garanties quant à la sécurité de ses frontières que celles que lui accordent Moscou, l’Arménie pourrait au moins, selon les propos de l’organisatrice du forum, bénéficier en termes économiques et dans des domaines spécifiques d'un soutien financier qui lui permettrait d'entrevoir de nouvelles possibilités. « Cela signifie avoir fondamentalement un peu de sécurité de la part de la Russie et un nouveau soutien diplomatique émergent de l'Union Européenne et des États-Unis ».
Après le stress des deux dernières années, « il faut faire baisser l’hystérie et l’écho émotionnel », poursuit l'administratrice du groupe de réflexion. « C’est la responsabilité de chacun de nous et l'une de celles que s'est donné l'ARPI d’essayer de concevoir une nouvelle société civile apte à créer un dialogue et établir un pont dans un pays tellement polarisé ». L’une des conditions de base, selon elle, pour attirer de nouveaux partenaires et contribuer à l’équilibre de la société civile ainsi qu'à la sécurité de l'Arménie. Sa vision idéale, et pour le moins radicale : « mettre tous les actifs sur la table et comprendre quelle est la meilleure architecture sécuritaire pour l’Arménie, en tenant compte des règles de cette région ».
L’hypothèse de base émise par APRI et qui sous-tend l'ensemble de son travail est celle d'une Arménie en situation d’urgence. La gestion, encore elle, de crise cette fois, requiert des aptitudes, des techniques et un savoir-faire dont elle est encore dépourvue. À ce titre, le regard des panelistes du forum APRI, peut-être plus facilement empreint du pragmatisme et du recul qu'exige l'analyse, porte « la conviction réelle que ce pays est un terrain suffisamment solide pour se mettre en retrait de l’action, la gestion de la crise nécessitant une réflexion sur l’évolution des choses », remarque encore Lara Sétrakian, ajoutant que « l’Arménie est un travail en cours de progrès et que sans travail, pas de progrès ».
Les interventions des panélistes qui se sont déroulées au cours de ce forum pourraient être publiées prochainement. « Nous continuerons à communiquer avec les 250 personnes qui ont assisté aux discussions. Qu'ils appartiennent au secteur public ou privé, à la société civile, qu'ils soient étudiants ou universitaires, arméniens ou pas, d'ici ou de la diaspora, ce n'est qu'ensemble que nous pourrons avancer dans la réflexion, agir et devenir plus intelligent. Un pays ne se transforme pas tout seul, il lui faut intégrer un plan, adopter une stratégie et construire, construire, construire », recommande Lara.