La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a conclu, le 30 janvier 2020, que les autorités azerbaïdjanaises étaient responsables de la torture et du décès de Manvel Saribekian, un ressortissant arménien décédé alors qu’il était détenu au département de la police militaire à Bakou.
Manvel Saribekian, un habitant de 20 ans d'un village arménien proche de la frontière azerbaïdjanaise, a été arrêté en septembre 2010, lorsqu’il a franchi la frontière par inadvertance alors qu’il était parti dans la forêt, par temps de brouillard.
Les autorités azerbaïdjanaises ont diffusé son image sur la chaîne nationale, affirmant qu'il avait été formé par une unité de l’armée arménienne et envoyé en Azerbaïdjan pour mener des attaques terroristes. Sa famille a fermement nié ces allégations, insistant sur le fait qu'il avait accidentellement traversé la frontière et qu’il était allé rechercher du bétail errant et ramasser du bois.
Saribekian a été retrouvé pendu dans un centre de détention de Bakou en octobre 2010. Les autorités azerbaïdjanaises ont affirmé qu'il s'était suicidé. Le corps du jeune homme a subi un examen médicolégal après avoir été renvoyé en Arménie. Les autorités chargées de cet examen à Erevan ont conclu qu'il avait été torturé à mort.
Les parents de Saribekian ont déposé un recours auprès de la CEDH dans les mois suivants. Le tribunal de Strasbourg s'est prononcé en leur faveur dans un verdict annoncé Jeudi dernier.
« La Cour a notamment constaté que les requérants ont fourni des preuves convaincantes que leur fils, Manvel Saribekian, était décédé des suites d'actes violents de la part d'autres personnes, notamment du personnel de la police militaire de Bakou, où il était détenu », a déclaré la CEDH dans un communiqué. La Cour a jugé non acceptable la version des faits donnée par les autorités azerbaïdjanaises, selon laquelle Saribekian se serait pendu.
« En outre, l'Azerbaïdjan n'a fourni aucun élément de preuve pour remettre en cause les conclusions médicolégales arméniennes concernant les blessures subies par M. Saribekian avant sa mort, notamment des signes de coups et un traumatisme crânien, des mauvais traitements qui devaient être qualifiés de torture », lit-on dans le communiqué.
« La Cour a tenu compte de l'examen médicolégal en Arménie, qui, en plus des blessures par étranglement, a enregistré des hémorragies au niveau des reins, de la poitrine, des lombaires, d’une cuisse et du rectum ainsi qu’un traumatisme crânien, qui auraient tous été causés par un objet contondant… La Cour estime donc que M. Saribekian a subi des mauvais traitements revêtant la forme de graves sévices physiques durant les derniers jours de son existence alors qu’il était détenu au département de la police militaire à Bakou », a conclu la CEDH.
La CEDH a également ordonné au gouvernement azerbaïdjanais de verser aux requérants conjointement 60 000 euros pour préjudice moral et 2 200 euros pour frais et dépens. Bakou peut faire appel de la décision devant la Grande Chambre de la CEDH.
La mère de Manvel Saribekian, Siranush Balian, a eu du mal à retenir ses larmes lorsqu'elle a commenté la décision par téléphone. « Ils l'ont tué, tout cela est du mensonge », a-t-elle dit, faisant référence aux affirmations azerbaïdjanaises.
Manvel Saribekian n'est pas le seul civil arménien décédé après avoir franchi la frontière azerbaïdjanaise dans des circonstances similaires.
Karen Petrossian, âgé de 33 ans et un habitant un autre village frontalier arménien, a été déclaré mort en août 2014, après une journée de détention détenu dans un village azerbaïdjanais de l'autre côté de la frontière. L'armée azerbaïdjanaise a affirmé qu'il était mort d'une « insuffisance cardiaque aiguë ». Les autorités arméniennes estiment cependant que Petrossian a été assassiné ou battu à mort. Les États-Unis et la France se sont déclarés gravement préoccupés par la mort suspecte de Petrossian et ont appelé Bakou à mener une enquête objective.
Un autre villageois arménien, Mamikon Khojoyan, âgé de 77 ans, est décédé en mai 2015, après trois mois de détention du côté azerbaïdjanais de la frontière fortement militarisée.
On sait qu'au moins un ressortissant arménien est actuellement détenu dans une prison azerbaïdjanaise. Il s’agit de Karen Ghazarian, un résident de 34 ans de la province de Tavush, limitrophe de l'Azerbaïdjan, a été capturé en juillet 2018. En février 2019, un tribunal azerbaïdjanais a condamné Ghazarian à 20 ans de prison pour « complot terroriste et sabotage » en Azerbaïdjan. L’Arménie a condamné la décision et a demandé la libération immédiate de Ghazarian en insistant sur le fait qu'il a des antécédents de maladie mentale et n'a jamais servi dans l'armée arménienne.