Des huit candidats à la députation des Français de l'étranger pour la zone Europe Orientale-Asie-Océanie, Christine Vial Keyser est la seule à être venue mener campagne en Arménie. Succès en quart de teinte pour cette novice en politique dont le meeting annoncé par e-mail - un dimanche matin pour rendez-vous le soir-même à l'hôtel Ibis d'Erevan - n'a pas vraiment atteint son objectif. Peu importe, le déplacement en Arménie d'une candidate en campagne est suffisamment unique pour que l'on en parle, d'autant qu'à l'écouter répondre aux questions posées, la onzième circonscription devient tout à coup un peu plus arménienne.
Par Olivier Merlet
Après des études à HEC et une première vie professionnelle comme économiste à la Compagnie Générale Maritime, Christine Vial-Keyser devient historienne de l’art, conservatrice du Patrimoine au musée territorial de Marly Leroy puis universitaire. Basée à Paris, cette spécialiste de l’art contemporain asiatique travaille beaucoup sur la Chine, l'Inde, un peu la Thaïlande et le Japon où elle effectue de fréquents déplacements.
Les élections présidentielles de 2017 marquent les débuts en politique de la future candidate a la députation. Emportée par la vague "En marche" d'Emmanuel Macron, elle rejoint le Conseil national du mouvement qu'elle quittera, déçue dit-elle, en février dernier. L' UCE (Union des Centristes et Écologistes), un petit parti de quelques députés cherche à agrandir l'union des centristes écologistes et représenter une alternative au vote écologiste de gauche pour ces élections législatives. Il approche Christine et la convainc de se lancer à leur côté pour changer les choses, « offrir une voie intermédiaire entre le libéralisme et l’écologie anticapitaliste : une écologie pragmatique, heureuse et non punitive »
Pourquoi ce choix de l'Arménie parmi vos déplacements de campagne ?
Je ne suis pas venue en Arménie dans une perspective électoraliste pour chercher ou flatter des gens, pour leur dire vous comptez pour nous. Je suis là parce que cette zone est effectivement complexe et mal connue des députés français qui en sont très détachés politiquement. Mais, compte tenu de sa proximité géographique, des risques on se sent obligé de s'impliquer tout en restant extrêmement prudent. La politique qui consiste à dire ou à faire une Europe de l'Irlande jusqu'à l'Oural me paraît folle : je suis plutôt venu en observateur pensant qu'il faut connaître, voir et écouter avant de porter des jugements : Il faut se rapprocher pour savoir ce qui se passe.
Ce voyage éclair m’a ouvert les yeux sur ce pays si loin et si proche. J’ai découvert des acteurs locaux très engagés. J’ai parlé du proviseur du lycée mais j’ai également rencontré le médecin référent pour la communauté française. Elle est anesthésiste à l’hôpital Arabkir, mais toujours joignable pour organiser la prise en charge médicale si un Français en a besoin. Elle a également organisé la vaccination de tous les Français contre la Covid avec Moderna. Son dévouement est la marque de l’influence française et le témoignage de sa reconnaissance pour l’aide de la France lors des crises. Je continuerai à échanger avec elle, qui souhaite maintenir son français, appris en Belgique.
La onzième circonscription des Français établis hors de France comprend quarante-neuf pays, c'est une zone énorme. On reproche souvent à ses députés de faire des choix, notamment au profit de l'Asie du Sud-Est, vous-même êtes très proche de ces régions. Que représentent pour vous le Caucase et l'Europe Orientale ?
Le poids électoral de l’Asie et de l’Océanie peut conduire à privilégier ces zones pour écouter les électeurs. Il y a aussi de graves enjeux diplomatiques et écologiques qui conduisent les décideurs à engager leurs forces dans ces régions en faveur du développement de partenariats. Mes échanges récents avec des députés du Vanuatu montrent que la France et l’Europe cèdent du terrain à la Chine par manque d’efficacité, par lourdeur administrative. C’est inadmissible.
Mais je suis venue à Erevan pendant cette campagne, et j’ai pu échanger avec vous. Je suis venue pour témoigner de mon amitié pour l’Arménie ainsi que ma conscience de l’importance stratégique du Caucase dans la paix en Europe. Je découvre le rôle pivot de l’Arménie dans l’accueil de la diaspora libanaise, en proie à l’effondrement du Liban ; sa perception particulière du rapport à la Russie et à l’Iran, ainsi qu’à l’Ukraine. Cette perception doit être entendue par la France, le Président Macron l’a fait, mais aussi par l’Europe.
L'Arménie compte 410 Français inscrits sur les listes consulaires de la 11ème circonscription, un petit pays au sein de cette nébuleuse. Que représente-t-elle réellement dans votre programme ?
En ce qui concerne le rôle d’un député auprès des Français d’Arménie, il est le même que dans les autres pays de la circonscription : préserver les Français en cas de crise, assurer l’accès à l’enseignement pour tous en modulant les tarifs, par les bourses ; assister les séniors qui ne perçoivent plus leur retraite ou sont menacés de précarité… En outre il faut penser assistance aux entreprises, relations avec le tissu économique. En Arménie, la France prend en charge les « retournants », ces Français leurrés par l’URSS, privés de passeport jusqu’en 1990, qui vivent en Arménie sans ressources ou presque. Elle assure aussi l’accès à l’Université française d’Arménie. Mais je note que l’anglais et l’allemand dépassent maintenant le français en attractivité. Il faut prévoir des programmes bilingues, des "Erasmus", et aussi des visas. Il ne sert à rien d’accueillir des étrangers dans nos lycées si ensuite on ne leur donne pas de visas pour étudier en France.
Quelle information feriez-vous donc valoir à propos de l'Arménie ?
Je reviens sur les enjeux géopolitiques et religieux qui donnent à l’Arménie une place à part dans le Caucase. La guerre actuelle avec l’Azerbaïdjan ; le conflit Russo- ukrainien, comme le conflit en Syrie de 2015-2020, et l’effondrement récent du Liban soulignent l’instabilité de la région et le rôle structurant de l’URSS, de la Turquie, même de l’Iran, que cela nous plaise ou non. L’Europe comme entité politique et (presque) militaire doit jouer un rôle plus éclairé et plus affirmé. J’aimerais aussi envoyer un message de paix et de mesure. L’identité nationale, culturelle et territoriale quand elles sont associées peuvent conduire à des désastres. Il faut savoir faire évoluer l’histoire.
Parmi ces thématiques globales, le coût très élevé des frais de scolarité et de la couverture sociale représentent un véritable fardeau pour les familles ou les individuels français à l'étranger. Que comptez-vous faire à ce sujet ?
L’école est gratuite et obligatoire en France depuis Jules Ferry, ce qui n’est pas le cas en Chine, au Japon ni dans beaucoup de pays du monde. Le réseau des lycées français à l’étranger est ancien et réputé. Il contribue à la francophonie et au rayonnement culturel et scientifique de notre pays. Il rend possible l’expatriation des familles. Mais cette scolarité a un coût et a toujours été payante, sauf pour les fonctionnaires détachés bien sûr. Elle est subventionnée par l’État, le reste à charge étant supporté par les entreprises dans les contrats d’expatriation ou par les parents eux-mêmes. Pour les expatriés qui ne sont pas contribuables français cette contribution partielle me paraît normale mais elle doit être soutenable pour que les enfants des classes moyennes et populaires, parfois précaires, puissent en bénéficier. C’est un atout pour la vie. C’est un atout pour notre pays.
Pourtant l’augmentation des charges et des tarifs obligent de plus en plus les parents à se tourner vers l’enseignement local. Il faut revoir la situation dans l’intérêt de la présence française dans les pays en augmentant les bourses, en développant les partenariats d’enseignement local de qualité et le CNED. Je pense aussi que l’effort doit porter sur la prise en charge des accompagnants des enfants à trouble d’apprentissage car celle-ci est supportable pour un établissement et trop lourde, —et stigmatisante— pour l’enfant et sa famille. Mes échanges avec Christian Chale, proviseur du lycée Anatole France d’Erevan, m’ont convaincue de sa détermination à faire avancer ce dossier, qui concerne dans le monde 15 % des enfants.
Vous recommanderiez donc une action groupée des députés des Français de l'étranger ?
Je recommande une concertation de tous les acteurs. Sur la question de la prise en charge de ce qu’on appelle les enfants DYS, il y a un certain consensus sur la région Europe orientale. Cette question semble ignorée ailleurs. Il faut des Assises de réflexion et des actes.
Y a-t-il une cause ou un fait précis qui vous a poussé à cette candidature ?
La crise du climat qui menace de nous engloutir tous, et dont la Covid a été un avertissement majeur, motive mon engagement. Je veux travailler à préserver les pays menacés directement comme le Vanuatu, l’Indonésie. Je veux convaincre, servir d’intermédiaire, modifier les lois. Il faut faire respecter les accords de Paris, alimenter le fonds vert, et aider les pays de la zone à modifier leur empreinte carbone. Si l’Europe est souvent un levier puissant, sa politique libérale menée depuis 1996 qui nous fait facturer l’énergie nucléaire et renouvelable au prix des énergies fossiles, par un mécanisme complexe et absurde doit être revue en urgence. Le Président Macron s’y est engagé. J’attends des résultats. En outre, la crise générale que traverse la France dont l’hôpital, l’éducation, le commerce extérieur sont en chute libre, m’oblige.
Un dernier mot pour l'Arménie ?
En arrivant à Erevan j’ai entendu la voix d’Aznavour sur la place de la République. Cela m’a émue. Ce lien affectif entre nos pays est à préserver. Cela symbolise la richesse que les diasporas apportent aux pays qu’elles habitent.
Si vous êtes élue, reviendrez-vous en Arménie ?
Oui, certainement, et dans la zone du Caucase. C’est une zone à la fois stratégique et chaleureuse sur le plan humain.