Entretien exclusif avec Arman Tatoyan, Ombudsman d’Arménie

Société
23.07.2021

La dernière guerre d’Artsakh et le processus toujours en cours de son règlement ont révélé le travail exceptionnel et la pertinence de l’analyse professionnelle du bureau de l’Ombudsman. Arman Tatoyan, Ombudsman d’Arménie, répond aux questions du Courrier d’Erevan sur différents sujets de l’actualité du moment.

Par Lusiné Abgarian

 

En tant qu’Ombudsman, comment évaluez-vous la politique d’information en Arménie aujourd’hui ?

- Le principal problème de la politique d’information en Arménie, c'est la désinformation. Il est nécessaire que les organes de l’État fournissent au public des informations correctes et sans retard sur tous les événements, qu'ils répondent rapidement aux questions des journalistes. Lorsque ces institutions manquent de réactivité et ne répondent pas à l’intérêt public, le vide informationnel qui se crée est vite comblé par la désinformation.

 

Vous avez mentionné à plusieurs reprises la nécessité d’établir une zone de sécurité dans les régions frontalières, au vu des empiètements réguliers des forces azerbaïdjanaises sur le droit à la vie et à la sécurité de leurs habitants. Cette proposition a-t-elle été acceptée par les instances compétentes ? La création de cette zone démilitarisée est-elle envisagée, compte tenu notamment du fait que la communauté internationale n’apporte pas de réponse significative au fait que ces empiètements s’effectuent sur le territoire de la République d’Arménie ?

- Comme vous l’avez mentionné dans votre question, par leur présence illégale sur le territoire arménien, les forces armées azerbaïdjanaises violent les droits des citoyens d’Arménie, ceux des résidents frontaliers et de la population dans son ensemble. Il s’agit du droit à la vie, à la libre circulation, à la propriété, etc. Le concept de zones de sécurité ainsi que les travaux préparatoires à leur mise en place sont déjà presque achevés, ils sont justifiés par des faits bien établis. Nous allons bientôt les publier et les présenter au gouvernement ainsi qu'aux instances internationales. Nous allons engager les travaux sur cette base.

Les forces armées azerbaïdjanaises occupent des terres et des routes appartenant aux citoyens de la République d’Arménie. Leur présence sur ces lieux perturbe la vie normale et constitue un danger pour la libre circulation et la sécurité des personnes. Elles doivent quitter la proximité des villages arméniens.

C’est à cela que se réfère la zone de sécurité mais je pense que le processus de la délimitation ne peut s’effectuer dans les conditions actuelles, car cela ne contribuera pas à la restauration des droits violés.

 

Quels sont les leviers dont vous disposez pour obtenir le retour des prisonniers de guerre arméniens encore détenus en Azerbaïdjan ?

- Nous utilisons tous les moyens possibles : présenter des preuves à la communauté internationale, orienter, maintenir le contact avec les familles, les soutenir par des conseils, les accompagner dans diverses instances internationales. Nous-mêmes soulevons différents problèmes pour montrer à la communauté internationale que les prisonniers qui ont été poursuivis en Azerbaïdjan sont, en réalité, pris en otage : ils sont « utilisés » afin d’extorquer à l’Arménie divers avantages politiques et militaires. C’est là un crime de guerre : la non-libération des prisonniers de guerre et leur persécution sont interdits par le droit humanitaire international.

 

Est-il possible d’imaginer à cet égard une quelconque coopération avec votre homologue azerbaïdjanais ?

- En tant que défenseur des droits de l’homme, je suis toujours prêt. Je l’ai même répété devant l’Assemblée nationale en réponse à la même question posée par un député. En tant que défenseur des droits de l’homme, je suis ouvert à la coopération avec n’importe qui. Les déclarations de mon homologue azerbaïdjanais sur l’éventualité d’une rencontre, sont par contre ponctuées d’injures, de sous-entendus politiques et d’insultes, à la fois personnelles et institutionnelles. J’en déduis donc qu’une telle perspective n'est pas envisageable.

Je ne souffre pas de complexes, je n’ai aucun problème à communiquer avec telle ou telle personne : je cible les problèmes au niveau institutionnel, jamais sur un plan personnel.

 

Quelles sont vos observations sur le processus post-électoral ? L’intolérance et de « polarisation » constatées ne constituent-elles pas des violations évidentes des droits de l’homme ?

- Le plus inquiétant dans ces élections était la démonstration de la haine, l’utilisation d’insultes ou de jurons par les forces politiques sur les réseaux sociaux. Un phénomène hautement répréhensible qui ne contribue pas au rétablissement de la solidarité en Arménie, ce qui aurait pourtant dû être l’un des principaux objectifs de ce rendez-vous. Malheureusement, cette « polarisation » se poursuit et il faut tout faire pour l’arrêter. Les personnalités publiques, en premier lieu, devraient s’en faire exemple et mobiliser en ce sens leurs adhérents et citoyens.

Malheureusement, les équipes de la propagande informatique, dont disposent à la fois les autorités et certains cercles de l’opposition font monter les tensions et il faut tout faire pour l’éviter. La « polarisation » est un vrai danger et je lance un appel à la restauration d’une certaine concorde nationale.