L’afflux de migrants non-Arméniens n’a jamais été significatif en Arménie dans son histoire contemporaine. Il s’avère cependant que l’Arménie est devenue la terre d’asile et le pilier de la nouvelle vie de trois journalistes congolais, réfugiés de leur pays. Installés en Arménie depuis 2018, ce pays a su devenir leur deuxième patrie, où ils écrivent désormais leur vie sur une nouvelle page blanche.
Par Lusiné Abgarian
Cette histoire de migration a commencé en 2018, lorsque, dans le cadre du Sommet de la Francophonie, l’Arménie avait accueilli les 47e Assises de la presse francophone à Tsaghkadzor, pour débattre du thème « Médias et Migrations » avec les journalistes francophones venus du monde entier. C’est à cette occasion que les trois journalistes congolais ont réussi à sortir de leur pays pour ne plus jamais y revenir, peut-être aussi sous l’influence de la problématique du sujet.
X, Y et Z (appelons-les ainsi pour préserver leur anonymat) ne sont pas repartis de l’Arménie à la fin des Assises. Ils ont mené une vie clandestine pendant environ une année et demie, croyant que la police pourrait les poursuivre, comme ce serait le cas dans leur pays : « On avait un peu peur. Le mois, on ne sortait qu’une seule fois. Au fur et à mesure nous avons commencé à nous lâcher, à nous rendre compte de la réalité de votre pays. Et puis il y avait le facteur de la langue, qu’on ne maîtrisait pas »,- dit-il.
Craignant le retour forcé au Congo Brazzaville, ne maîtrisant pas l’arménien, ils avaient du mal à entreprendre les démarches pour régulariser leur situation et recevoir un statut légal afin de pouvoir travailler, au moins : « C’est au fur et à mesure que nous avons compris qu’en tant qu’humains, nous avons des droits et que nous devons nous approcher aux services appropriés pour commencer les démarches de la régularisation de notre situation », - témoigne l'un d'entre eux.
S’étant rendu compte des réalités de l’Arménie, les trois migrants ont senti qu’ « il fait beau vivre en Arménie », car les libertés ne sont pas confisqués, ni dans les milieux professionnels, ni dans le privé. « Chez nous, les libertés sont étouffées », - dit l’un d’entre eux, étouffées au point de devenir des menaces, même lorsqu’ils faisaient des reportages documentaires en tant que journalistes, sans traiter vraiment les sujets relatifs au gouvernement dictateur. « Avec toutes ces réalités, vous comprenez que le journaliste au Congo Brazzaville ce n’est pas quelqu’un de libre, c’est quelqu’un d’« assujetti », et il ne vit pas de sa profession, il devient un petit mendiant, il fait la courbette auprès des politiques pour pouvoir avoir un peu d’argent, mais logiquement, le journaliste devrait être au-dessus de ces hommes politiques »- ajoute l’autre.
En dehors des libertés dérisoires dans la profession du journaliste, c’est un plus grand traumatisme qu’a vécu le troisième journaliste-refugié avant de gagner l’Arménie, étant rescapé du génocide perpétré dans le département Pool au Congo Brazzaville, en 2016, par le président du pays avec son régime militaire. Les Assises de la presse francophone ont en fait été sa seule opportunité de sortir du pays, tout comme pour ses deux collègues. Ayant trouvé son salut en Arménie, il dit avoir senti ce pays l’« inspirer » et lui faire réparer en quelque sorte de son traumatisme.
Ils soulignent, tous les trois et à plusieurs reprises, l’hospitalité des Arméniens, sans oublier de passer des parallèles entre les passés historiques de nos peuples oppressés par de grandes puissances au fil de l’histoire.
Actuellement, ayant un asile et le droit au travail, ils ne rêvent que de s’intégrer dans la société arménienne, d’apprendre l’arménien et de continuer leur vie dans cette « deuxième patrie », peut-être désormais en dehors de leur profession du journaliste, en espérant un jour faire venir leurs enfants et leurs familles, mais sans aucune volonté de retour au pays d’origine, au moins jusqu’à ce que le régime politique de la dictature change.
A la fin, ils ont tenu à transmettre un message aux Arméniens, désormais leurs compatriotes : « Apprenez à aimer votre pays. Nous, c’est par contrainte que nous sommes sortis, pas de notre propre volonté, car on avait des projets, des ambitions. Vous avez un pays qui est bien, un système qui est très différent par rapport au notre-la dictature. Si vous souhaitez changer votre pays, il faut rester, il faut se battre, car tout se passe par le sacrifice ».