Georges Gurdjieff : Fils d’un achough d’Alexandropol

Arts et culture
06.04.2020

Georges Ivanovitch Gurdjieff, philosophe et mystique d'origine gréco-arménienne, est né vers 1872 à Alexandropol (auj. Gumri) en Arménie, alors dans l'empire russe, dans la famille arménienne d’un menuisier. Dès le plus jeune âge, il a montré des capacités mentales extraordinaires tout en nourrissant sa passion pour les mystères du monde. Il étudie dans le même séminaire que Joseph Djougachvili (Staline). Certains biographes de Gurdjieff, en particulier Louis Pawels, voient beaucoup de choses en commun entre les deux grands Caucasiens, évoquant les « principes totalitaires » à travailler sur du « matériel » humain.

Par journaliste et historienne de l'art Olga Kazak, Armuseum. Traduction: Sona Malyntsian

Mystique malicieux

Après avoir quitté le séminaire, Gurdjieff aurait formé un groupe, les Chercheurs de Vérité. Il raconte qu’ils seraient partis en une longue expédition pour une période de 25 ans. Au cours de ses voyages, Gurdjieff a étudié diverses traditions spirituelles, notamment le soufisme, le bouddhisme tibétain et diverses branches du christianisme oriental. Gurdjieff a également étudié le folklore (en particulier la danse et la musique) des pays qu'il a visités.

Il a acquis des connaissances principalement sur des civilisations égyptienne et babylonienne, recourant parfois à des fouilles archéologiques. À la recherche de phénomènes surnaturels, Gurdjieff s'est rendu en Asie et en Afrique, a visité la Turquie et l'Égypte, a exploré l'Afghanistan et divers endroits au Moyen-Orient et au Turkestan.

À la suite de ses recherches, Gurdjieff a formulé la doctrine qu'il a appelé la Quatrième voie. Il y expose les idées philosophiques de l'Orient sur le développement harmonieux de l'homme dans une langue accessible aux Européens. Cette approche combine et harmonise ce qu'il considérait comme étant trois « voies » ou « écoles » traditionnelles établies : celles de l'esprit, des émotions et du corps. La Quatrième voie enseigne comment augmenter et concentrer l'attention et l'énergie de diverses manières, et minimiser les rêveries et la distraction. Et il a également ajouté à la philosophie mondiale l'idée de « soutien mutuel » - l'échange « d'énergies et de matière entre toutes les essences de l'univers ». Selon Gurdjieff, la vie sur la planète est impossible sans cet échange.

Sur la base de la méthode de la Quatrième voie, Gurdjieff, d'abord en Russie puis en France, a fondé l’Institut pour le développement harmonique de l’homme.

 

Mais qui est-il ? Quel genre de personne ? Philosophe ou charlatan ? Mystique ou sectaire?

Selon les contemporains, Gurdjieff est une figure très controversée. Selon les époques, il était considéré comme hérésiarque, thaumaturge et… anti théiste, bien sûr. Et voici pourquoi.

Gurdjieff est l'auteur de nombreuses œuvres philosophiques et artistiques. Le livre le plus controversé et le plus athée de Georges Gurdjieff est le premier livre de la trilogie Du tout et de tout intitulé Récits de Belzébuth à son petit-fils (1950) dans lequel le diable décrit la vie sur Terre comme une expérience douteuse pour les « créatures à trois cerveaux », à savoir les humains.

Gurdjieff et ses adeptes

Parmi les disciples de Gurdjieff se trouvent le philosophe russe Peter Ouspensky, le philosophe et mathématicien John G. Bennett, le compositeur Thomas de Hartmann, Pamela L. Travers, créatrice du personnage de Mary Poppins, héroïne d'une série de romans pour la jeunesse, le poète français René Daumal et l’artiste-peintre américain Paul Reynard. Après la mort de Gurdjieff, les célèbres musiciens Keith Jarrett et Robert Fripp ont étudié chez ses disciples.

Gurdjieff est décédé le 29 octobre 1949 à l'hôpital américain de Neuilly-sur-Seine.

 

On voit sur le lit un homme de type oriental, avec une moustache. Il s'agit d'un enseignant spirituel, le grand mystique du 20e siècle - Georges Ivanovitch Gurdjieff. Il a 73 ans et il meurt. Autour de Gurdjieff, foule de ses disciples inquiets.

Georges Ivanovitch fixe un dernier regard sur eux et dit :

-Eh bien, vous êtes maintenant dans le pétrin.

Ce sont les derniers mots du mystique.

Cela sonne comme une blague. Cependant, avec tout le respect dû au sens de l'humour spécifique de Gurdjieff, ce qui a été dit n'était pas une blague. Afin de comprendre ce qu’il avait en tête, il est nécessaire de regarder dans les coins les plus cachés de son âme, et c'est une tâche exorbitante, car la toile de la vie de Gurdjieff est tissée de contradictions profondes.

 

Professeur de danse sacrée

Les contemporains ne pouvaient pas évaluer sans ambiguïté sa personnalité. Gurdjieff était considéré comme charlatan et génie à la fois. Certains l'adoraient et le critiquaient, d’autres allaient le voir pour la guérison. Il y avait même ceux qui doutaient généralement de sa nature humaine en affirmant qu’il était serviteur de Satan, sinon Satan lui-même, venu directement de l'enfer. La peur inspirée par lui était inimaginable. En un mot, un fieffé scélérat.

Les rumeurs autour de Gurdjieff allaient bon train. En lisant les détails de sa riche biographie, il est toujours possible de trouver quelque chose de nouveau. Par exemple, on peut supposer que Staline et Hitler étaient intéressés par ses enseignements, voir dans sa connaissance de l'idéologue du fascisme Karl Haushofer une certaine connexion avec le Troisième Reich ou bien trouver des traces de l'influence de Gurdjieff sur les activités de Dalaï Lama et du guérisseur royal Nikolaï Badmaev. Trouver le vrai visage du professeur de danse sacrée (c'est ainsi que Gurdjieff était parfois appelé) est une tâche ingrate. L'histoire risque de devenir fantastique, mais malheureusement assez spéculative, on s’y figurera Gurdjieff se promenant au Tibet et vendant en même temps des tapis orientaux à Saint-Pétersbourg. Comme le génie des contes de fées des « Mille et une nuits », il a su apparaître à plusieurs endroits à la fois. Il est presque impossible de vérifier ce genre de rumeurs. Toute tentative de recherche sérieuse conduirait soit à l'hypnose, soit au brouillard. Et ces rumeurs elles-mêmes agissent déjà de manière hypnotique.

 

L'ambivalence du sacré

Gurdjieff n'a pas cherché à réagir à ces conversations qui circulaient. Il ne les a pas niées. De plus, pour lui-même, Gurdjieff essayait de construire sa silhouette dans le voile du brouillard mystique. L'incertitude n'a fait que contribuer à la formation de son aura mystérieuse. L'ayant compris et accepté comme une technique d'auteur, Gurdjieff a vécu sans aucun principe.

Tout cela ressemble à un tableau, délibérément peint au-dessus par des barbillons de qualité moyenne. En nettoyant couche par couche, on trouve le portrait d'un homme complet, étrange et suffisamment acrimonieux qui a volontairement manipulé ses semblables. Un homme qui a néanmoins défini sa tâche de vie comme étant de « libérer l'humanité de l'hypnose de masse » en devenant l'enseignant de ceux qui, selon ses propres mots, « veulent se libérer ». Professeur de spiritualité, de danse, de cuisine, de tout. Coach pour toutes les occasions.

Qu'est-ce qui a poussé Georges Ivanovitch, avec tous ses talents - musical, artistique et surtout commercial, à s’engager sur le chemin du guide spirituel ? Comment et pourquoi est-il arrivé qu'un garçon d'une famille d'artisans caucasiens décide de « prendre soin » de toute l'humanité ?

Les grands mystiques viennent aussi de l'enfance.

1948, aéroport, douane américaine.

Gurdjieff, déjà vieux, dans ses vêtements caractéristiques - manteau, papakha. Il tend son passeport à un douanier américain. L’employé vérifie le passeport de Gurdjieff. Il voit que dans son passeport, sous « année de naissance », il est indiqué 2018.

Employé :

-Il y a une erreur ici. Elle doit être corrigée.

Gurdjieff :

- Ce n'est pas une erreur, c’est vous qui devez vous améliorer.

 

La date de naissance de Gurdjieff est le premier mystère

Il est né, selon diverses sources, en 1866, 1873, 1874 ou 1877 à Alexandropol, d'un père grec et d'une mère arménienne. Alexandropol (à l'époque soviétique Leninakan, aujourd'hui Gumri) est une ville située sur le territoire de l'Arménie moderne, non loin de la frontière avec la Turquie. La ville semblait ennuyeuse pour le jeune Gurdjieff. Mais la région était intéressante - à l'époque assez turbulente et dangereuse. Pendant de nombreux siècles, elle a été revendiquée par les empires russe et ottoman, il y a souvent eu des affrontements interethniques, des conflits politiques et des catastrophes naturelles. La population y était très hétérogène sur le plan ethnique, religieux et linguistique. C'est peut-être pour cela que Gurdjieff possédait des capacités linguistiques, le don de transformation et l'esprit cosmopolite. Les petites villes situées entre les vallées et les montagnes étaient habitées par des Grecs, des Arméniens, des Turcs, des Russes, des Kurdes, des Tatars caucasiens et des Géorgiens ; les religions locales couvraient un très large éventail - du nestorianisme et du soufisme au chamanisme et même au culte du diable. Au début, le petit Gurdjieff fréquentait une école religieuse. Mais bientôt le prêtre de la cathédrale a suggéré au père de Gurdjieff de lui donner des cours privés, parce que le garçon était un enfant prodige !

Ainsi, l’abbé lui-même a commencé à lui donner des cours, il lui a appris les « dix règles de base d'une bonne vie », au rang desquelles le respect des parents, la conscience au travail, et même « l'intrépidité envers l'enfer, les serpents et les souris ».

 

Fin du XIXe siècle. Alexandropol. Dans la rue.

Les garçons jouent sur la route. Parmi eux – le petit Gurdjieff. Un garçon Yézidi apparaît dans la rue. Les garçons d’Alexandropol l’entourent. Il les regarde, effrayé, et lève la jambe pour avancer. Les garçons dessinent rapidement un cercle dans la poussière autour d'un garçon Yézidi. Le garçon se fige, le pied levé et les yeux ouverts. Gurdjieff regarde avec étonnement le garçon figé.

Les valeurs familiales et le respect des parents sont très développés à l'Est. Même lorsque Gurdjieff était déjà un homme de 50 ans, endurci par de nombreuses épreuves, possédant d'innombrables techniques ésotériques, l'admiration de son père, la reconnaissance de sa supériorité hiérarchique ont été décisives dans leur relation.

1916, Alexandropol. Dans la cour du menuisier Gurdjieff, le philosophe Peter Ouspensky (le premier vrai élève de Gurdjieff) est assis sous un abricotier et écrit dans son journal : « J’ai été surpris ; le professeur est soudainement apparu sous l'apparence d'un fils exemplaire - obéissant et attentif. Son attitude envers son père était imprégnée d’un respect extraordinaire. Son père ressemblait à un vieil homme robuste de taille moyenne avec une pipe invariable dans les dents et un papakha sur la tête. Il était difficile de croire qu'il avait déjà plus de quatre-vingts ans. C'était agréable de voir Gurdjieff parler à son père pendant des heures. Il l’écoutait avec grande attention, parfois en riant, mais sans jamais perdre le fil de la conversation, en le soutenant également par des questions et des commentaires. Gurdjieff lui a consacré tout son temps libre et n'a pas montré le moindre signe d'impatience ; au contraire, il a essayé de souligner à quel point ses histoires étaient intéressantes pour lui ».

Mais le « cadeau le plus cher » de son père, comme l'a écrit Gurdjieff dans sa vieillesse, consistait dans le fait qu'il lui a donné des normes éducatives strictes qui lui ont appris à survivre dans n'importe quel environnement et en toutes circonstances. Ce « cadeau le plus cher » est très important pour les chercheurs. Le rôle que Gurdjieff a attribué à son propre père dans son panthéon d'enseignants est impressionnant. Et il ne mentionne aucun autre professeur ! Il traitait son père comme une personne simple, qui connaissait la plus ancienne source de vie.

Le père de Gurdjieff était un « achough » - poète et conteur qui connaissait par cœur de grands morceaux d'œuvres épiques, dont un poème sumérien sur Gilgamesh. Un lien tangible avec le passé est en effet un héritage avec lequel aucune richesse ne peut être égalée. Comme l'a dit Gurdjieff lui-même, « j'ai acquis une expérience culturelle, que j'ai interprétée comme la préservation de la sagesse ancienne dans des formes et des rituels dont la signification a depuis longtemps été oubliée ». Le rôle du père-enseignant explique également le plus « cher cadeau » du père à son fils : les règles strictes de l'éducation, qui lui ont appris à survivre dans n'importe quel environnement, même hostile.

« Il m'a fait me lever tôt le matin, quand le sommeil est particulièrement doux, et aller à la source pour verser de l'eau froide sur mon corps, et m'a aussi appris à utiliser des vêtements légers même par temps froid » (G. Gurdjieff, « Vues du monde réel »)

Par la suite, ces méthodes strictes ont été également ressenties par ses disciples.

Le jeune Gurdjieff, comme le pensait son père, son premier et principal professeur, aurait dû grandir comme un homme qui savait se débrouiller seul. Comme toutes les villes de la région, Alexandropol était divisée en quartiers selon le statut social des habitants. Malgré des prétentions d'origine noble, Gurdjieff a grandi dans la pauvreté et a rapidement appris à assumer n'importe quel travail - de la cordonnerie à l'hypnose, en acquérant une qualité importante – la dextérité qui stupéfia plus tard les intellectuels qui se rassemblaient autour de lui.

Il suffit de rappeler l'histoire de la vente de corsets en os de baleine, qui a été lancée par le jeune Gurdjieff pour gagner de l'argent pour l'expédition.

L'os de baleine est un produit cher. Au siècle dernier, la mode des corsets est apparue, Gurdjieff a dupé tous les commerçants du quartier en leur achetant de vieux corsets. Bientôt, les brocanteurs ont commencé à s’en mordre les doigts, et Gurdjieff a ouvert un atelier et engagé des filles qui envoyaient au moins dix corsets par jour à la vente.

 

Le grand voyage

Grand intrigant ? Scélérat ? Magouilleur ? Oui et non ! En l’occurrence, la fin a justifié les moyens. Le désir de Gurdjieff d'être partout, de couvrir le plus d'espace possible, est caractéristique des gens déterminés. Tous les moyens étaient bons pour ce « surhumain » novice pour atteindre ses objectifs.

Peut-être que la vie multinationale et hétérogène d'Alexandropol à bien des égards, la capacité à parler des langues et une profonde compréhension des différentes traditions et religions, ainsi que le désir de devenir plus grand et meilleur que son père, ont formé un intérêt pour ce que Gurdjieff a appelé plus tard : « explorer de tous côtés et comprendre le sens et le but exacts de la vie humaine ».

C'est le premier but de sa vie. L'ayant réalisé comme son principal objectif, Gurdjieff quitte sa maison et voyage pendant 25 ans.

Vers 1890, Gurdjieff commence son grand voyage à travers l'Asie centrale, le bassin méditerranéen, l’Égypte, le Tibet et l’Inde. C'est le moment de se mettre à l'épreuve, de tester le destin et les circonstances. Pour Gurdjieff, ce temps a fait partie intégrante des fondations qu'il a posées dans sa vie. Bien qu'en fait, il soit assez difficile d'imaginer même une image approximative de ce qu'il a réellement vécu et expérimenté. Ces errances ont conduit à une nouvelle conscience de soi. En tombant constamment dans des zones de combat, d'affrontements révolutionnaires et de haine ethnique, tout en approfondissant sa connaissance des traditions des sectes mystiques et des anciennes sources de connaissances, Gurdjieff a développé son esprit et opprimé son corps. D'une part, il a acquis de nombreuses méthodes pratiques de télépathie, d'hypnose et de méditation, d'autre part, il était toujours malade de toutes sortes de dysenterie, a été infecté par des infections locales et a été blessé.

C'est vers 1900. Une sorte de gorge de montagne au bord du ruisseau. Gurdjieff repose dans une grotte. Le côté gauche de sa poitrine est bandé. Il est blessé et gravement malade.

La blessure mortelle, due à ce qu'il appelait une balle « perdue », l'a conduit non seulement à un profond épuisement physique mais aussi spirituel. Il fallait que quelque chose change. « Je suis arrivé à la conclusion que toute utilisation de ce pouvoir exceptionnel que je possède (que j'ai consciemment développé dans ma vie normale avec les gens) est un pouvoir basé sur la puissance dans le domaine de la télépathie et de l'hypnotisme ».

 

Vendeur de soleil

Ce fut un autre moment de changements dramatiques dans la vie de Gurdjieff. La maladie a été remplacée par la santé, une gorge de montagne abandonnée au bord du ruisseau – par une pièce mystérieusement éclairée, aménagée de manière orientale avec des tapis sous le plafond. Le but principal de sa vie avait fait place à un nouveau : « trouver à tout prix un moyen de détruire la tendance à la suggestibilité chez les gens, ce qui les fait facilement tomber sous l'influence de l'hypnose de masse ». Et le choix de Gurdjieff est tombé sur la Russie, pour la réalisation de ses objectifs.

En 1914, la Première Guerre mondiale a commencé. Gurdjieff est venu à Saint-Pétersbourg puis à Moscou et s'est présenté au public local d'une manière extrêmement simple – « marchand d'énergie solaire ». Il gagne immédiatement la gloire d'un cheikh arabe, car il porte des robes brodées d'or et parle de sa vie en Orient de manière très confuse. Il apporte avec lui un lot de tapis iraniens et la ferme décision de mettre en scène un ballet intitulé « Bataille des Mages ». Il apporte à la Russie la saveur du bazar oriental, qui reflète bien le caractère de Gurdjieff lui-même et qui est si nécessaire pour les intellectuels russes du tournant du siècle - poètes symbolistes, philosophes mystiques, tous ceux qui sont à la recherche de sens et déçus par la vie, la philosophie et la religion orthodoxes.

Du jour au lendemain, un cercle de personnes intriguées se rassemble autour de Gurdjieff. Parmi eux : le jeune philosophe Peter Ouspensky. Étudiant préféré et le « Judas » personnel de Gurdjieff.

Peter Ouspensky s'est sérieusement engagé dans l'étude de la nature du temps, en tant que Quatrième Dimension, dans laquelle il s'est surtout intéressé aux phénomènes super-temporels ou intemporels, accessibles à la perception d’une personne simple uniquement dans les moments d'épiphanie particulière. Il était surtout intéressé par l’analyse des rêves et l'impact de la consommation des drogues sur la santé mentale. Ce sont les travaux de Nietzsche, les mathématiques de la quatrième dimension et les concepts orientaux de la réincarnation, du karma et de la roue du destin qui lui ont servi de base. Tout le mysticisme et l'ésotérisme si populaires au début du XXe siècle dans le mouvement décadent. Ouspensky passera un tiers de la route avec Gurdjieff. D’une certaine manière, Ouspensky est plus fragile, plus intelligent et plus élégant que son professeur viril. Leurs chemins divergent à Paris lorsque Ouspensky est déçu par les enseignements de Gurdjieff. Ouspensky meurt en 1947 à Londres, deux ans avant la mort de son professeur. Dans ses dernières années, Gurdjieff a été particulièrement affecté par le départ d'Ouspensky. Ouspensky est devenu celui sur qui Gurdjieff comptait beaucoup, à qui il voulait à son tour donner par héritage « le don inestimable ». Il cherchait un disciple pour s'incarner en lui.

Il est à noter que Gurdjieff méprisait les sources de connaissance écrites et croyait que la langue écrite était faible et inexacte. C’est là que les premières divergences entre Ouspensky et Gurdjieff se sont faites jour.

 

Institut pour le développement harmonique de l’homme

Gurdjieff essaie diverses orientations, recherchant une forme d’expression adéquate pour constituer le noyau de personnes dont il a besoin. C'est ainsi que l’Institut pour le développement harmonieux de l'homme est apparu.

Durant l’été 1916, un groupe de ses élèves se rend en Finlande pour une formation intensive. Le groupe comprenait : Ouspensky, le mathématicien Zakharov, le spécialiste des maladies mentales Dr. Stjernval avec sa femme, et la future épouse de Gurdjieff – Yuliya Ostrovskaya. Et en Finlande, ce que l'on a appelé plus tard la méthode Gurdjieff, est en train de se former. Gurdjieff poursuivait un certain objectif dans tous les affrontements entre les membres du groupe, les provocations de conflits, les exercices mentaux et physiques intenses et les mouvements spéciaux : inclusion de l’auto-observation et de la « conscience de soi » chez les élèves, éveil du « sommeil de l'esprit » et compréhension de leur vraie nature. Après leur installation en Finlande, l'un des principes de base du travail a été formé : un planning précis, un respect strict des règles établies et une adéquation maximale, ce qui a nécessité un effort incroyable de la part des participants. Il s'agit du prototype d'un institut à l’Abbaye de Prieuré qui sera plus tard connu dans le monde entier.

En 1918, Gurdjieff ressent l'aggravation de la situation politique. La famille de Gurdjieff et ses plus proches étudiants décident de quitter la Russie.

1918. Route militaire géorgienne. Des gens avec des tentes et un équipement archéologique complet se déplacent le long de la route. Gurdjieff est devant le groupe, avec une affiche dans ses mains. Les Rouges viennent à la rencontre du groupe. Gurdjieff lève son affiche sur laquelle il est écrit « Victoire aux bolcheviks ! ». Les Rouges font un signe de tête affectueux. Ils leur passent du pain du chariot. Le groupe continue son chemin.

Les Blancs se dirigent vers le groupe. Gurdjieff lève une affiche qui dit « Mort aux Rouges ! ». Les Blancs approuvent d'un signe de tête.

Le 14 juillet 1922, Gurdjieff s’installe en France et crée son Institut pour le développement harmonique de l'homme au Château Le Prieuré à Fontainebleau-Avon en octobre 1922. Il a ensuite qualifié cette nouvelle expérience de « l'une des périodes les plus folles de sa vie ». La routine était assez difficile : durée de sommeil - pas plus que cinq heures, le café et le pain pour le petit déjeuner. Avant le déjeuner, toutes sortes de travaux ont été effectués pour l'entretien de la maison, sur le territoire, sur les chantiers de construction, ainsi que dans le jardin. Après le déjeuner - cours généraux, comprenant des exercices mentaux le soir jusqu'à tard dans la nuit, répétitions, discussions, danses. La principale méthode de travail consiste à « faire l'impossible, puis le faire deux fois ou faire deux activités incompatibles en même temps ». Des dames exaltées épluchaient les carottes la nuit et lavaient la vaisselle à l'eau froide, tout en effectuant des calculs mathématiques complexes dans la tête, et des chirurgiens et psychologues renommés creusaient des fosses profondes pour les jeter dans le sol et creuser à nouveau. Certaines de ses élèves ne supportaient pas ces conditions et quittaient Le Prieuré pour toujours. D’autres revenaient. Pour tout le monde, ce fut certainement une expérience spirituelle profonde. C'est durant cette période de sa vie que Gurdjieff remercie son père pour ce « don inestimable » d'éducation reçu dans l’enfance.

 

D’où viennent les pouvoirs de Gurdjieff ?

Dans la nuit du 6 juillet 1924, il a été retrouvé étendu sur la route, inconscient, avec une grave commotion cérébrale. Il était allongé à côté d'une voiture mutilée. Les causes de l'accident n'ont jamais été identifiées. Ce qui semblait incompréhensible, c'est que Gurdjieff était couvert d'une couverture, alors que dans le district il n'y avait pas un seul habitat à partir duquel il pouvait être aidé.

Pendant que Gurdjieff se rétablissait, la vie à Prieuré se calmait sensiblement. Pour la première fois, beaucoup ont sérieusement réfléchi à ce qui leur arriverait si Gurdjieff venait à mourir. Prendre en main sa propre existence, après avoir vécu sous la direction d'un maître à penser, semblait une tâche presque impossible pour la majorité. Bientôt, il perdit deux de ses proches presque simultanément : sa femme bien-aimée meurt d'un cancer et sa mère d'une maladie du foie. Il s'éloigna progressivement de Prieuré. Sous divers prétextes graves, il écarta de ses yeux tous ceux qui le dérangeaient.

En 1925, Gurdjieff se met soudain à écrire un livre : « J'ai réalisé que les gens ont besoin de ce type de transmission ».

Ce livre a survécu jusqu'à nos jours, il est réédité sous le titre « Du tout et de tout : Récits de Belzébuth à son petit-fils ». Le Diable décrit la vie sur Terre comme une expérience douteuse pour des créatures à trois cerveaux, à savoir les humains. Ce livre reflète toute l'expérience de la civilisation humaine. Dans ce livre, Gurdjieff met un terme à la culture européenne. Dans ce même ouvrage, il réprimande également le pragmatisme américain. C'est ce qu'écrit dans sa revue le journaliste Pierre Schaeffer, l'une des rares personnes à avoir lu Le Belzébuth de bout en bout : « J’oserais supposer que, étant apparu en Occident vers 1920, Gurdjieff s'est consciemment réfugié sous un masque grotesque qui donne une caricature à ses actions. Il lui était donc plus facile de comprendre le XXe siècle et de se glisser dans le cadre d'une civilisation qu'il détestait. Ce n’est qu’en secret que le graine de sa mort future pourra être plantée ».

Et voici ce que les étudiants fidèles écrivent dans la nécrologie : « Dans les dernières années de sa vie, il a été l'objet d'une attention universelle. Et en plus de toutes ces capacités, qui provoquaient un intérêt parfois malsain et intense, l'essentiel était son pouvoir. La question est de savoir d'où Gurdjieff l'a obtenu. Et cette question reste ouverte ».

Gurdjieff magnétique, mystique et même surhumain. Mais dans quelle mesure son objectif de « supprimer l'hypnose de masse chez les gens » a été atteint ? Quelle est l'honnêteté de cette démarche ? Ces quelques personnes qui semblaient plus aptes à s'éveiller, cherchant la liberté spirituelle sous l'influence de sa personnalité hypnotique, n'étaient donc pas encore prêtes à la rencontrer.

Ces mots peuvent être attribués à Gurdjieff lui-même. On dit que les gens se souviennent de toute leur vie avant de mourir. Gurdjieff était et restait toujours un humain. Avec des passions, des désirs et des caprices. Il était marié, aimait le cognac et a même eu des aventures avec des femmes inconnues. On pense qu'avant sa mort, Gurdjieff a vu toute sa vie et s’est rendu compte qu'il avait vécu dans l'emprise de la libération de sa propre personnalité, étant un disciple difficile de lui-même.

« Eh bien, vous êtes maintenant dans le pétrin », -a-t-il dit et il est mort.