Les fantaisies investigatrices et sensationnalistes d'un média arménien de pauvre réputation sur de pseudo-interférences perturbatrices du programme spatial satellitaire arménien ont provoqué la risée des spécialistes et un afflux de démentis dont même l'agence Tass s'et fait écho.
Par Olivier Merlet
Hier 9 juillet, le quotidien "Zhoghovurd", dont le sérieux et la fiabilité sont à peu près aussi reconnus que ceux du feu "France dimanche francais", revenait sur le limogeage soudain du vice-ministre des Hautes technologies, Avet Poghosyan. Le journal écrivait qu'il était reproché à l'ex vice-ministre, notamment coordinateur des activités de communication et spatiales arméniennes, un manque total de professionnalisme dans l'exercice de ses fonctions. Selon le "journal", les satellites arméniens envoyés dans l'espace sous sa gouvernance étaient devenus « un fléau pour les satellites de nombreux autres pays, perturbant leur fonctionnement ou une partie de leurs programmes ». Il ajoutait même que le Premier ministre Nikol Pashinyan avait reçu des lettres de certains des pays en question exigeant le retour sur terre des deux satellites arméniens.
Le ministère arménien de l'industrie et hautes-technologies publiait dans la foulée un démenti catégorique sur sa page Facebook : « Les fréquences radio exploitées par les satellites RA n'ont créé aucune interférence avec les fréquences radio des satellites et des réseaux satellite opérant pour d'autres États. Le gouvernement n’a jamais reçu de plainte écrite ou verbale ».
Marat Hayrapetyan, ingénieur astronome russo-arménien et membre du laboratoire de recherche spatiale Bazumk qui a mis au point et calculé la trajectoire de vol du premier satellite entièrement conçu et assemblé en Arménie, Hayasat 1, a lui aussi répondu hier sur son blog à ce tissu de fantaisies dans un article intitulé : "Les satellites arméniens ne dérangent personne" :
« Toute la journée d'aujourd'hui, Internet a été envahi par des informations selon lesquelles un certain nombre de pays ont exigé que l'Arménie ramène ses satellites sur Terre. Les journaux rapportent que les satellites Haysat-1 et Armsat-1 "perturbent le travail des engins spatiaux d'autres pays". Ils auraient été lancés dans l'espace de manière non professionnelle, les orbites n'auraient pas été correctement calculées, etc.
En tant que personne ayant travaillé pendant 10 ans dans l'espace, je peux vous dire comment les choses se passent réellement. Je n'ai rien à voir avec les entreprises ou les gouvernements et je n'exprime que mon opinion professionnelle.
1) Le choix de l'orbite du vaisseau spatial est effectué bien avant le lancement et fait l'objet d'un accord au sein de l'UIT - Comité international des télécommunications, qui réglemente toutes les fréquences sur lesquelles les satellites diffusent des données. Armsat-1 vole depuis plusieurs années, Haysat-1 depuis six mois, de sorte que de tels problèmes ne peuvent survenir du jour au lendemain. Il n'existe pas d'organisme international permettant de porter plainte contre un État ou une entreprise pour interférence entre un satellite et quelqu'un. Si des plaintes sont déposées, c'est par l'intermédiaire de l'UIT, et certainement pas publiquement.
2) Le satellite Hayasat-1 est un projet privé. L'État n'a rien à voir avec. Le satellite Armsat-1 a été créé par la société espagnole Satlantis et seules ses données ne sont transmises à l'Arménie et rien qu'à elle. Par conséquent, s'il peut y avoir des réclamations, c'est auprès des entreprises qui ont créé le satellite. Mais c'est impossible, même sur le plan juridique (voir point 1).
3) Les satellites Hayasat-1 et Armsat-1 sont complètement différents. Le premier est un satellite de démonstration à vocation éducative, un "cubesat 1U" (cube de 10 centimètres). Il y a des centaines de satellites de ce type dans l'espace, ils ne dérangent personne. Armsat-1 est un satellite de télédétection. Physiquement, ils ne peuvent pas créer les mêmes difficultés techniques que certains autres véhicules. Leur conception, leur puissance, leurs fréquences de transmission, etc. sont différentes. Ils ne peuvent pas, physiquement, faire même l'objet d'un article de presse à ce sujet.
4) Les satellites ne peuvent simplement pas être retirés de leur orbite. Ils se désorbiteront d'eux-mêmes par calcul au bout d'un certain temps. Il n'existe simplement aucun outil permettant de retirer un véhicule de son orbite. Hayasat-1 n'a pas de moteur, Armsat-1 - je ne suis pas sûr, mais je pense que ce n'est pas le cas. Et c'est NORMAL : c'est ainsi que fonctionne l'ensemble du monde spatial.
5) L'imagerie satellitaire privée n'est pas publiée dans le domaine public. Il s'agit d'informations privées
6) Les deux satellites ont été lancés dans l'espace par SpaceX d'Elon Musk.
Il est dommage que le travail des ingénieurs et des passionnés arméniens ait été lié à un scandale. Mes collègues et moi-même, venus du monde entier et de différentes agences spatiales, avons ri à la lecture de cette publication. Mais les communications malveillantes et mensongères font aussi partie des relations publiques ! Tout le monde se rappelle maintenant que l'Arménie possède deux satellites ».