Le Groupe d’Initiative de Bakou : une tentative de déstabilisation de la France et de ses territoires ultra-marins

Région
31.12.2024

L’Azerbaïdjan, agacé par le soutien de la France à la République d’Arménie, a récemment entrepris la création d’institutions comme le Groupe d’Initiative de Bakou (BIG). Leur but ? Tenter de saper l’autorité de la France sur ses territoires ultra-marins (DROM-COM : Départements, Régions et Collectivités d'Outre-Mer) et sur la Corse. En instrumentalisant et manipulant les mouvements indépendantistes d’Outre-Mer et leurs figures de proue, Bakou cherche à remettre en cause l’intégrité territoriale de la France dans ses territoires.

Toutefois, un récent rapport de VIGINUM (l'organisme français de défense contre les interférences numériques étrangères) porte un sérieux coup aux projets malveillants de Bakou. Si ces tentatives de manipulation sont majoritairement publiées et diffusées sur les réseaux sociaux, on ne peut pas dire que la viralité soit au rendez-vous.

 

Par Paul Loussot

Le BIG : une émanation du pouvoir azerbaïdjanais

Présenté comme une institution indépendante le 6 juillet 2023, il s’est rapidement avéré que la création du BIG était une commande du président Ilham Aliyev. Il est en effet issu de l’organisme/think-tank AIR Center, fondé en 2019 à Bakou, par un décret présidentiel d’Aliev lui-même. Dirigé par M. Abbas Abbasov, le lien entre le BIG et le pouvoir azerbaidjanais se confirme : ce-dernier a travaillé pendant 7 ans au sein du Fonds pétrolier d'État de la République d'Azerbaïdjan (SOFAZ), dont la proximité avec le régime d’Aliyev est évidente. Le but de cette organisation serait de promouvoir activement les discours décoloniaux. Outre l’audace apparente d’une telle ambition pour un pays venant de commettre un nettoyage ethnique à grande échelle d’une population autochtone l’année passée, le réel but de cette organisation est avant tout de mener des actions à l’encontre de la France. En effet, VIGINUM met en lumière dans son rapport les véritables intentions de Bakou à travers le BIG : la manipulation et l’utilisation des discours indépendantistes d’Outre-Mer ne se fait pas par volonté anticolonial et attachement aux droits de l’Homme, mais purement par intérêt stratégique. Le soutien de la France à l’Arménie ne passe pas, et Bakou veut le faire savoir.

Comme si les liens entre le BIG et le pouvoir autoritaire de Bakou n’étaient pas assez clairs, Ilham Aliyev assume lui-même la paternité de la prétendue ONG dans une interview publiée sur le compte X du BIG le 11 janvier 2024 : « […] le Groupe d’Initiative de Bakou est notre enfant. », déclarait-il. L’organisation est d’ailleurs enregistrée auprès du ministère de l’économie azerbaïdjanais, pour citer le rapport de VIGINUM.

 

Enquête sur les actions du BIG à l’encontre de la France

Les actions du BIG à l’encontre de la France sont à première vue massivement reprises sur les réseaux sociaux, tout particulièrement sur X, ex-twitter. Toutefois, ces partages ne sont pas le fait d’être humains, mais bien de bots pilotés par le BIG, dans le but de créer une fausse viralité. Comme l’explique VIGINUM dans leur rapport :

 

« La première manœuvre observée par VIGINUM est intervenue très rapidement après le lancement du BIG, dès le 6 juillet 2023. En effet, entre les 6 et 8 juillet 2023, la combinaison des trois hashtags sur la plateforme X « #NonAlignedMovement #France #Colonialism » a été utilisée dans près de 8 000 publications, dont 7 305 sur la seule journée du 6 juillet par 895 utilisateurs. Ces derniers ont agi de manière coordonnée, avec plus de 1 000 publications en l’espace de dix minutes, caractéristique d’un comportement automatisé. Parmi ces comptes, certains ont utilisé plusieurs fois l’ensemble des trois hashtags, à l’instar de @sona35072550, qui est à l’origine de 73 publications le 6 juillet. »

 

La visibilité soudaine des contenus du BIG (des extraits de leurs conférences par exemple) est donc totalement artificielle. De plus, l’enquête de VIGINUM a permis de mettre en lumière les autres tentatives de déstabilisation du BIG, chaque conférence ou évènement organisé par l’organisation étant accompagnée par une vague de milliers de publications, pour la plupart strictement identiques entre elles (copy-pasta de masse) utilisant les mêmes hashtags et publiées dans un laps de temps très court.

En mai 2024, l’organisation s’est fait remarquer dans les médias francophones par le soutien qu’elle affichait aux indépendantistes Kanak en Nouvelle-Calédonie. D’une part, plusieurs milliers de publications fausses ou inexactes accusant la France d’avoir ouvert le feu sur des manifestants furent republiés par des bots azéris dont la plupart avaient été utilisés pour diffuser des publications anti-France issues du BIG, et d’autre part par l’ingérence faite par l’Azerbaïdjan au sein des groupes indépendantistes. Ainsi, plusieurs photos et vidéos de manifestants brandissant drapeaux de l’Azerbaïdjan et portraits d’Ilham Aliyev furent repostées dans des médias français pour dénoncer le rôle de Bakou dans les processus de déstabilisation des DROM-COM. Le ministre de l’intérieur français en poste à ce moment-là, Gérald Darmanin, avait réagi à la polémique : « Sur l'Azerbaïdjan, ce n'est pas un fantasme, c'est une réalité », en regrettant « qu'une partie des indépendantistes calédoniens aient fait un deal avec l'Azerbaïdjan ».

Toutefois, les comptes X ayant participés à cette campagne de désinformation à grande échelle furent suspendus de la plateforme. Cela a engendré une certaine baisse des publications anti-France pilotées par le BIG. Encore plus grave, certains bots azéris ont commis des erreurs dans leurs messages, laissant apparaître la mention YAP, reliant directement ces publications au parti présidentiel azerbaidjanais, le Yeni Azərbaycan Partiyası (Parti du Nouvel Azerbaidjan) dont Aliyev est également le président. Assez surprenant pour une organisation se revendiquant comme non-gouvernementale.

 

L’Azerbaïdjan, allié autoproclamé des mouvements indépendantistes

L’année 2024 fut l’occasion pour le BIG de se rapprocher des mouvements indépendantistes, en rencontrant plusieurs leaders politiques à Bakou et dans le monde entier

  • le 18 avril 2024, en invitant une délégation indépendantiste kanak au parlement azerbaidjanais ;
  • le 30 avril 2024, une rencontre entre le parti polynésien Tavini Huiraatira et M. Abbas Abbasov à Vienne ;
  • le 17 et 18 juillet 2024, lors d’une conférence à Bakou intitulée « Congress of Independance Movements in the French colonial territories »

Résultat de ces rencontres, des memorandums (protocoles d’entente) signés entre le BIG et les figures indépendantistes, « sans aucun fondement juridique » selon VIGINUM.

 

Emanant également du soutien azerbaïdjanais, le Front International de Libération des Dernières Colonies Françaises (FILDECOF) : son but affiché est de dénoncer « la politique raciste et les répressions » de la France. Outre la diffamation intentionnelle contre la France, il convient de noter l’audace de Bakou de se positionner en soi-disant dénonciateur des prétendues politiques racistes françaises. En effet dans un rapport sur l’Azerbaïdjan paru l’année dernière, la European Commission against Racism and Intolerance (ECRI) dépeignait une situation alarmante quant au racisme dont sont victimes les Arméniens en Azerbaïdjan, jusque dans les manuels scolaires.

 

Le BIG s’est également attelé à rencontrer des groupes autoproclamés « panafricaniste » dont beaucoup bénéficient de relations assez proches avec la Russie également.

 

Des résultats peu concluants : UN-notorious BIG

Les ingérences azerbaïdjanaises dans les faits d’actualité liés aux DROM-COM français ont mis en lumière le rôle du BIG dans l’instrumentalisation et la manipulation des événements pour construire et diffuser un récit anti-France à grande échelle. Toutefois, c’est bien sur la question de la viralité que les publications du BIG obtiennent les pires résultats. Si ce matraquage informationnel tente par bien des moyens de toucher un public de plus en plus large, la visibilité de ces actions reste très marginale. Pour chaque publication, le nombre de mentions « j’aime » et les RT/QRT (republications avec ou sans commentaires) restent très faibles par rapport aux objectifs de Bakou. VIGINUM indique que les likes ne dépassent pas le nombre de 200, et seulement une centaine de republications par post maximum. Ce sont uniquement des bots qui tentent de faire parler des actions du BIG, en vain, d’autant plus qu’une partie non négligable d’entre eux ont été supprimées par les équipes de modération de X.

Face à ces tentatives peu subtiles et dépourvues de succès sur les réseaux sociaux du fait de leur très faible viralité, VIGINUM a proposé de nommer cette enquête non sans un trait d’humour : UN-notorious BIG (en référence au rappeur The notorious BIG, notorious signifiant « célèbre »)

Cependant, la campagne de déstabilisation n'est pas terminée : Aliyev a récemment renouvelé ses attaques contre la France, ce qui indique que l’Azerbaïdjan continue ses tentatives de manipulation de l'opinion publique internationale et sa guerre numérique. Ainsi, en novembre 2023, lors de la COP29, Ilham Aliyev avait utilisé la tribune internationale pour accuser la France de "coloniser" ses territoires d’outre-mer. Ce discours visait à renforcer l'image de l’Azerbaïdjan comme un acteur de la lutte contre la "colonisation", notamment après les déclarations françaises de soutien à l’Arménie. Les Pays-Bas furent également mis en joue par le despote de Bakou, après que le parlement néerlandais ait adopté des résolutions sur la protection du patrimoine culturel arménien en Artsakh et la libération des prisonniers politiques arméniens en Azerbaïdjan.

__________________________________

Pour lire le rapport de VIGINUM en entier : cliquez ici