« L’insoutenable légèreté de l’être » ou la clairière de pièges

Arts et culture
19.11.2018

Par Anna Baghdassarian

Jeudi le 15 novembre 2018, à l’occasion du 29ème anniversaire de la Révolution de velours en République tchèque, la Bibliothèque nationale d’Arménie, en collaboration avec l’Ambassade de République tchèque en Arménie, a organisé une lecture publique consacrée au célèbre roman « L’insoutenable légèreté de l’être » de Milan Kundera. C’est grâce à  Chouchanik Thamrazian,  traductrice du roman, que le lecteur arménien a découvert l’univers sublime et mystérieux de l’auteur franco-tchèque, sous les sons magiques du quatuor à cordes Komitas. 

Une prose transparente et sobre, un vocabulaire et une syntaxe directs, partout le même rythme, la même musicalité, la même fluidité du débit narratif, rappelant un jeu, une conversation amicale: tel est le style kundérien. Tous ses romans sont construits autour des «pièges» de l’existence humaine moderne, des méandres du rire et de l’incertitude. Amour, révolution, quête identitaire, solitude, exil, jeunesse, nostalgie - les grands sujets de médiation, les grandes interrogations sont omniprésents chez Kundera. Lire Kundera, c’est  réfléchir, assistant à la fois à un jeu, à une fête de l’imagination et de la virtuosité technique. 

Evidemment le roman le plus connu de Milan Kundera, dont la richesse est indiscutable, est « L’insoutenable légèreté de l’être ». Un livre de chevet,  une sorte de bouée de secours dans les moments difficiles. L’une des particularités du roman est, sans doute, l’originalité de sa structure paradoxale. Il commence par la  théorie de l’éternel retour de Nietzsche, en nous rappelant que notre existence est belle, chère et fragile parce que rien ne se répète, parce que  chaque instant est couvert de la voile fine d’une seule fois. Kundera oppose une vision de la vie unique à vivre: l’être est léger, il file, il échappe aux individus. L’éternel retour introduit de la pesanteur dans nos vies. Mais paradoxalement tout le roman est tressé sur le modèle de l’eternel retour, et à plusieurs reprises l’histoire se répète, chaque fois avec des accents différents. 

Les événements se déroulent principalement dans la capitale de la République tchèque, à Prague dans les années 1960 et 1970. Toute l’histoire s’articule autour de la vie artistique et intellectuelle de la société tchèque au cours de la période communiste, à partir du printemps de Prague jusqu’à l’invasion soviétique de 1968. Les personnages principaux sont Tomas, un chirurgien, sa femme photographe Tereza, Sabine, maîtresse de Tomas, une artiste à l’esprit libre et Franz, un universitaire suisse amoureux de Sabine.

En 2015 le livre a paru en arménien (aux éditions Antares) en brillante traduction du français faite par Chouchanik Thamrazian. « L’insoutenable légèreté de l’être » est l’un des romans les plus intéressants et les plus originaux de Milan Kundera, qui n’est pas du tout léger. Il montre comment la société moderne transforme en une  clairière de pièges, où l’individu erre dans les couloirs labyrinthiques, de plus en plus indécis, de plus en plus flou. Et il n’y a aucun espoir d’issue, de cri, de possibilité du vol désespéré », - souligne la traductrice. Pour elle, les points les plus marquants et bouleversants de ce roman sont le regard et la voix du témoin. Les moments les plus forts, selon elle, sont surtout les scènes du Printemps de Prague, de l’intrusion des tanks russes dans la capitale tchèque, de l’essoufflement de Dubček et celui de tout un peuple.

Le célèbre roman de Kundera est un bestseller en Arménie aussi. Depuis sa publication, la traduction arménienne de « L’insoutenable légèreté de l’être » figure de temps en temps dans la liste du top 10 livres les plus demandés dans les librairies et bibliothèques arméniennes.