Un convoi humanitaire français pour que vive le Karabagh

Arménie francophone
01.09.2023

Représentants d'une union trans-partisane pour le Karabagh, six élus français très en vue ont tenu à s'engager physiquement pour accompagner le convoyage de l'aide humanitaire de leur ville et de leur région vers l'Artsakh.

Texte et photos par Olivier Merlet

 

Le 24 avril dernier, le CCAF lançait un appel aux collectivités locales françaises pour venir en aide aux populations assiégées d'Artsakh. Le Conseil de Paris était le premier à y répondre favorablement invitant les autres mairies et régions de France à se joindre à son action. Le 30 août au matin, dix camions chargés de vivres, de produits de première nécessité et d'équipements de survie venus de France quittaient la place de la République à Erevan pour le Haut-Karabagh, accompagnés par une délégation d'officiels français de haut-rang conduite par Anne Hidalgo, la maire de Paris.

La nouvelle n'avait pas laissé indifférents les francophiles d'Erevan et à la sortie de la capitale, de nombreuses voitures particulières pavoisées des deux drapeaux tricolores tiennent à manifester leur reconnaissance et escorter le convoi. Les autorités ont toutefois préféré contenir les enthousiastes. Partis de la place de la République à sept heures presque pile après s'être brièvement rassemblé pour les photographes, le cortège des 10 camions chargés de l'aide humanitaire française est fermé par trois voitures barrant la chaussée, roulant au pas pour laisser le filer tranquille.


Salut et escorte populaire du convoi français au départ d'Erevan

M2, l'autoroute pour le Syunik. Le mont Ararat sur la droite, avec son petit frère encore enneigé en cette fin d'été… Yeraskh, Areni, Yeghegnadzor, puis la longue montée vers Sisian, Goris… À 12h06, la caravane de ce nouvel espoir s'engage enfin sur le plateau de Kornidzor. Elle serpente encore un peu dans l'arrière-plan nimbé de brume des montagnes du Karabagh avant de plonger vers le pont d'Hakari et de disparaître loin des yeux du monde.


Le convoi se dissout dans l'incertitude des montagnes Karabaghtsis

Les officiels français, accueillis à Goris par leurs homologues arméniens pour un dernier briefing arrivent quarante minutes plus tard. Anne Hidalgo, Xavier Bertrand, Bruno Retailleau, Jeanne Barseghian, Patrick Karam et Michèle Rubirola *, trois élus de la gauche française et trois autres de la droite -une union trans-partisane pour le Karabagh - empruntent eux aussi sous escorte militaire - et très journalistique - cette longue descente sinueuse vers le Corridor de Latchine et le territoire interdit. Ils sont guidés par Sergeï Ghazaryan , le jeune ministre des Affaires étrangères d'Artsakh, Robert Ghukasyan le gouverneur du Syunik et le maire de Goris, Arush Arushanyan. L'ambassadrice d'Arménie et le représentant du Haut-Karabagh en France sont aussi du voyage.

Sergeï Ghazaryan (MAE d'Artsakh-à g.) et Robert Ghulkasyan (gouverneur du Syunik, à dr.), guident les élus français (de g. à dr. : Xavier Bertrand, Anne Hidalgo et Bruno Retailleau)
Sergeï Ghazaryan (MAE d'Artsakh-à g.) et Robert Ghulkasyan (gouverneur du Syunik, à dr.), guident les élus français
(de g. à dr.: Xavier Bertrand, Anne Hidalgo et Bruno Retailleau)

Sur le bas-côté de la route, ce sont désormais trente-deux semi-remorques chargés de vivres  qui restent stationnés à flanc de montagne, sous le soleil, depuis bientôt un mois pour certains. La délégation s'arrête à l'approche du dernier poste arménien, elle n'ira pas plus loin. D'un lacet en surplomb, cinq observateurs de la mission européenne observent la scène de leurs jumelles et prennent des photos. En face aussi, à cinq cent mètres en contrebas - on les voit bien - les soldats azéris de faction dans leur check-point fortifié n'en perdent pas une miette. Les élus français peuvent enfin constater de leurs yeux le verrouillage total de la route par les forces azerbaïdjanaises et le mépris de leur gouvernant pour toutes les injonctions et décisions de justice internationale l'exhortant à rouvrir cette ligne de vie.


500 mètres en contrebas, le check-point fortifié azerbaïdjanais sur le pont d'Hakari, verrou du Corridor de Latchine

Génocide

« Parce qu'il faut parler clairement et avec les mots justes, ce qui est en train de se passer au Haut-Karabagh ressemble à ce qu'est un génocide » déclarera un peu plus tard la maire de Paris, Anne Hidalgo, au cours d'une conférence de presse commune tenue à Goris par les six élus français. « Une tentative d'épuration ethnique et de génocide contre 120 000 personnes, correspondant précisément à l'article 2 de la Convention contre les génocides » a précisé le sénateur Bruno Retailleau, « le fait d'infliger intentionnellement à un groupe humain des conditions d'existence qui pourraient mener à sa destruction ».

« Que faut-il pour que l'opinion internationale se réveille ? » a pour sa part demandé Xavier Bertrand, le président des Hauts-de-France. « Attendre quelques jours, quelques mois, qu'il y ait des centaines de morts par manque de soins médicaux et d'alimentation ? […] L'opinion internationale doit aussi avoir la mémoire de ce qui s'est passé au début du siècle dernier », a-t-il rappelé.


De g. à dr.: Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France, Anne Hidalgo, maire de Paris et Bruno Retailleau, président du groupe France-Arménie au sénat

Patrick Karam, proche collaborateur de Valérie Pécresse a rappelé enfin qu'en décembre 2021, la présidente du conseil régional d'Île-de-France avait été menacée de mort par Ilham Aliyev lui-même. Maitre Maktouf, avocat de la Coordination des chrétiens d'orient en danger (chredo) accrédité auprès de la Cour internationale instruirait depuis plusieurs mois une plainte pour génocide contre l'Azerbaïdjan « avec l'objectif de cibler le tyran de Bakou et lui faire rendre des comptes en personne ».

À New-York le 16 aout dernier, Ararat Mirzoyan, intervenait devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies pour obtenir le rétablissement de la libre circulation des biens et des personnes à travers le Corridor de Latchine. Sa demande n'a donné lieu à aucune prise de position ni à même à la moindre déclaration en sa faveur. Il y a quelques jours, le président Emmanuel Macron laissait entendre sa volonté de reprendre l'action du ministre arménien des Affaires étrangères devant l'ONU et de la porter de nouveau devant le Conseil de sécurité dont la France est membre permanent.

À Goris, les édiles français ont été unanimes pour y apporter leur plein soutien en redemandant d'une voix commune au chef de l'État français de faire valoir, avec ses alliés, une résolution pour le respect des droits du peuple du Haut-Karabagh, le placement du Corridor de Latchine sous protection internationale et le règlement du conflit.


Les acteurs de l'initiative humanitaire française pour le peuple d'Artsakh

 

 

* : Anne Hidalgo est maire socialiste de Paris, Xavier Bertrand, "divers droite", président des Hauts-de-France, Bruno Retailleau, "Les Republicains", président du groupe d'amitié franco-arménien au Sénat français.  Jeanne Barseghian, arrière-petite-fille de rescapés du génocide de 1915, est maire écologiste de Strasbourg, Patrick Karam, ancien sarkozyste aujourd'hui non-inscrit est vice-président du conseil régional d'Île-de-France et Michèle Rubirola, "Europe Ecologie les Verts – le Printemps marseillais", adjointe au maire de Marseille.