La carte et le territoire

Actualité
07.04.2023

Au cours de la session gouvernementale hebdomadaire le 6 avril, le Premier ministre est revenu sur les incidents de Latchine et de Tegh... et la retenue de son gouvernement.

Par Olivier Merlet

 

Le premier ministre a-t-il lu Houellebecq ? Comme souvent en préambule à la session hebdomadaire du gouvernement, Nikol Pashinyan s'est exprimé sur certaines questions d'actualité et comme souvent, celles d'hier encore tournaient autour de la situation au Karabagh et sur les frontières de l'Arménie. Comme souvent encore, il a constaté les dernière exactions azerbaïdjanaises et s'en est indigné.

De l'interdiction faite au convoi de 27 civils Karabakhtsis de rentrer chez eux ? «Un autre incident choquant […] établissant que le jugement de la Cour internationale n'est pas mis en œuvre, et nous devons poursuivre nos efforts diplomatiques internationaux ».

Le chef du gouvernement est aussi revenu sur les modifications qu'il évoquait déjà la semaine dernière, de l'accès routier depuis l'Arménie au corridor de Latchine. L'ouverture d'un nouveau tronçon au départ de Kornidzor, le 30 mars dernier, s'en était immédiatement suivie d'une avancée rapide des troupes azerbaïdjanaises au-delà même de leur frontière, s'enfonçant de 100 à 300 mètres sur le territoire souverain arménien dans le région orientale du hameau de Tegh.

L'information tout d'abord qualifiée de "normale " au plus haut niveau de l'État, et non-démentie, avait finalement été confirmée le lendemain, du bout des lèvres, par le Conseil de sécurité, mais surtout depuis, régulièrement et assurément, visuellement et physiquement, par de nombreux villageois alentours et des paysans se retrouvant pour certains dépossédés de leurs champs et de leurs pâtures. L'armée azérie n'a pas perdu son temps qui a immédiatement fortifié ses nouvelles positions.

« Comme on le sait, certains problèmes sont survenus lors de l'hypothèse de la protection directe de la frontière, qui a été signalée par le Service de sécurité nationale, soulignant que lors du déploiement des deux côtés, des lectures de cartes sont apparues. À certains endroits, selon notre évaluation, la partie azerbaïdjanaise s'était positionnée et avait réalisé des travaux d'ingénierie 100 à 300 mètres avant la frontière, sur le territoire de l'Arménie. »

C'est d'une grande ambiguïté dont a fait preuve le Premier ministre dans la suite de son énoncé et de la justification de la « retenue [du gouvernement de la République d'Arménie, NDLR] pour ne pas jouer le jeu des forces intéressées à faire exploser la situation régionale ».

« Il a été convenu que les cartographes des deux côtés corrigeraient la situation » a ainsi précisé le Premier ministre. Faut-il comprendre qu'il voulait davantage parler des géomètres, chargés de reconnaître et baliser le terrain préalablement au travail du cartographe? L'expérience de ces deux dernières années, malheureusement, n'a jamais montré la reconnaissance par les forces azerbaïdjanaises de leurs "erreurs" d'évaluation quant à la position de ce qu'elles considèrent comme leur frontière, ni leur retrait au-delà de celles internationalement reconnues de l'Arménie. Les cartographes pourraient donc fort bien "corriger la situation" d'un simple trait sur la carte que les géomètres valideront sur le terrain, positions ennemies comprises.

« Des travaux ont été menés pour ajuster les points de déploiement des gardes-frontières et la situation s'est quelque peu améliorée.  Dans cet environnement mondial volatile et incertain, nous avons besoin de nerfs solides et de retenue […].  Contre toute attente, le Gouvernement de la République d'Arménie réaffirme inlassablement son attachement au programme de paix ».