Avant de se rendre dans le sud-est de la Turquie pour soutenir les équipes de sauveteurs arméniens déployées à Adiyaman, le ministre des Affaires étrangères, Ararat Mirzoyan, a rencontré Mevlüt Çavuşoğlu, son homologue, le 15 février à Ankara.
Par Olivier Merlet
«L'Arménie a tendu une main amicale à notre peuple en cette journée difficile et a fait preuve de solidarité et de coopération» reconnaissait hier à Ankara le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, remerciant ainsi son homologue Ararat Mirzoyan lors d'une conférence de presse conjointe tenue à l'occasion du passage dans la capitale turque du chef de la diplomatie arménienne. Venu apporter ses encouragement aux équipes de sauveteurs arméniens déployés sur le terrain depuis le 7 février dans la région Adiyaman, Ararat Mirzoyan en avait effectivement profité pour s'entretenir avec son homologue turc, à moins que ce ne soit l'inverse.
Cette visite en Turquie d'Ararat Mirzoyan a en tous cas marqué le point d'orgue d'une intervention humanitaire arménienne tout aussi stratégique qu'hautement symbolique, suite au tremblement de terre de la semaine dernière.
Opération en quatre actes avec prélude le 6 février par l'appel téléphonique de Nikol Pashinyan à Reccep Tayip Erdogan pour lui présenter directement, ainsi qu'à la nation turque, ses condoléances personnelles et celles de l'Arménie. Deuxième acte le jour même avec l'acheminement aérien de premiers secours et d'une équipe de 28 sauveteurs arméniens . Troisième acte enfin, et non des moindres, l'envoi les 11 et 14 février de 125 tonnes d'aide humanitaire par voie terrestre et l'ouverture à deux reprises à Margara, brèves mais historiques, de la frontière arméno-turque fermée depuis 30 ans.
Ararat Mirzoyan n'a bien sûr pas manqué de souligner le fait : « Je considère comme symbolique que samedi la frontière arméno-turque, fermée depuis trente ans, ait été ouverte aux camions arméniens chargés d'aide humanitaire», triplement symbolique pourrait-on même ajouter à l'heure ou le Karabagh est lui sous blocus, prives de vivres et de produits de première nécessité depuis 65 jours.
Au préalable de cette conférence de presse, les deux ministres avaient tenu une conversation privée, suivie d'une longue réunion avec la participation de leurs délégations respectives. Qualifiant la rencontre d'« extrêmement significative », Mevlüt Çavuşoğlu a évoqué des discussions sur « des mesures à prendre dans le processus de normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie» et des échanges sur « les pourparlers arméno-azerbaïdjanais en cours, l'accord de paix global et les négociations entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie» rapporte l'agence de presse turque Anadolu. « Si ces trois pays prennent sincèrement des engagements, nous pouvons établir une paix et une tranquillité durables dans le Caucase du Sud. Nous pensons que la coopération que nous avons mise en avant dans le domaine humanitaire soutiendra ce processus».
Le ministre turc n'a toutefois pas manqué de rappeler la «grande importance » qu'avait acquis « l'initiative du corridor central est-ouest, en particulier après l'épidémie de Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne pour la stabilité et le développement de la région et des pays situés sur cette route ».
Pour Ararat Mirzoyan, qui s'est gardé dans son discours public de toute allusion directe à l'Azerbaïdjan, le seul sujet officiellement à l'ordre du jour concernait bel et bien les relations bilatérales entre Erevan et d'Ankara.« Je voudrais réitérer une fois de plus la disponibilité et la volonté de la République d'Arménie de construire la paix dans la région et, en particulier, normaliser pleinement les relations avec la Turquie, établir des relations diplomatiques et ouvrir pleinement la frontière entre l'Arménie et la Turquie » a encore ajouté le ministre des Affaires étrangères.
« Nos préparatifs pour l'avenir se poursuivent » , lui a répondu Mevlüt Çavuşoğlu, « nous avons convenu d'accélérer encore plus les mesures que nous pouvons prendre concernant les routes menant au postes frontière ». Le pont d'Ani, repère historique sur les routes de la soie a fait l'objet d'un accord entre les deux pays qui entreprendront conjointement les travaux de sa réparation, « avant l'ouverture totale de la frontière » a anticipé Ararat Mirzoyan.
Les chancelleries européennes se sont ouvertement réjouies de la rencontre des porteurs de la politique étrangère turque et arménienne. « La France soutient les efforts entrepris par l'Arménie et la Turquie pour normaliser leurs relations » a indiqué la ministre française de l'Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna. « Il s'agit d'une visite historique après la décision de l'Arménie de soutenir son voisin dans le besoin», a twitté Toïvo Klaar, le représentant spécial de l'Union Européenne pour le Caucase Espérons qu'elle représente un signe avant-coureur des développements à venir dans les relations entre les deux pays.».
Bakou n'a pas encore réagi officiellement à la visite d'hier mais les réactions de ses médias et la diffusion de fausses nouvelles dénote de l'irritation et du mécontentement que lui inspire le dévouement humanitaire et la solidarité arménienne vis-à-vis de son mentor. Des analystes azerbaïdjanais, démentis par les faits, écrivent qu'elle n'est destinée qu'aux « citoyens turcs d'origine arménienne » et que les sauveteurs arméniens ne prendraient pas la peine de secourir les Turcs.
En 2009, l'Azerbaïdjan avait déjà largement contribué à l'échec des efforts de rapprochement entre la Turquie et l'Arménie...