Guerre au Liban, pourquoi le silence d’Erevan ?

Région
29.10.2024

En ce début de XXI e siècle, le monde arménien affiche un visage ultra fragmenté, infiniment complexe, que les dirigeants successifs arméniens aimaient résumer en cette trinité nationale : Artsakh – Arménie – Diaspora. L’Artsakh s’est éteint en un clignement d’œil, la diaspora est invisible et insaisissable, l’Arménie négocie sa survie avec le tandem panturquiste turco-azerbaidjanais.

 

Par Tigrane Yegavian, Civilnet 

Ce sont pourtant les ennemis mortels du peuple arménien qui, non content de poursuivre un dessin génocidaire en Artsakh, s’acharnent à exiger d’Erevan le renoncement à ce qui faisait le lien avec la diaspora et le monde arménien en général : l’attachement à la reconnaissance internationale du génocide de 1915 et le droit à l’autodétermination des Arméniens d’Artsakh, deux principes reconnus et gravés dans le marbre de la déclaration de souveraineté de 1990. Derniers verrous symboliques à faire sauter dans le cadre d’une réécriture de la Constitution d’un Etat dévitalisé qui, à ce rythme et en l’absence de sursaut national, tombera comme un fruit mûr.

Jamais en effet, la relation entre la République d’Arménie et les structures traditionnelles de la diaspora, les réseaux pan arméniens et transnationaux n’a été aussi médiocre pour ne pas dire insignifiante.

Les forces vives de la diaspora ne sauraient être intégrées à un agenda de sécurité nationale. Pas question pour Erevan de songer à une stratégie visant au renforcement de l’Etat, en associant des cadres et des compétences d’origine arménienne ayant fait leurs preuves dans leurs domaines respectifs et en qui la loyauté et le patriotisme ne sont pas à démordre.

On ne s’étonnera donc pas qu’à ce jour la République d’Arménie n’a émis la moindre déclaration de solidarité, pour ne pas dire de condamnation vis-à-vis du drame humanitaire, de la catastrophe géopolitique qui se joue au Liban, pays ami, seconde patrie pour nombre d’Arméniens diasporiques dont les ancêtres rescapés de l’indicible y trouvèrent refuge et prospérèrent.

Etrange silence en effet que celui de la diplomatie arménienne, qui pourtant dans la foulée de l’explosion du port de Beyrouth d’août 2020 se dépêcha d’affréter un avion humanitaire avec à son bord des vivres et des équipements offerts par la République d’Artsakh au peuple libanais frère.

Silence coupable qui meurtri les Arméniens du pays du Cèdre, trop dignes pour ne pas hausser le ton et manifester leur incompréhension, leur colère aussi à l’égard d’un pays dont certains d’entre eux firent don de leur vie au combat sur le front de l’Artsakh.

 

Ce que l'Arménie voudrait éviter

Mais ce silence est-il pleinement justifié quand on sait qu’Erevan poursuit inlassablement son agenda de la paix avec la Turquie, et ne se prive pas de manifester sa compassion comme au cours du terrible tremblement de terre de 2023, ou plus récemment lors de l’attentat commis par l’organisation kurde du PKK?

La reconnaissance par Erevan de l’Etat de Palestine dans un contexte de dégradation des relations avec Israël, allié stratégique de l’Azerbaïdjan et dont l’extrême droite suprématiste au pouvoir ne cache pas son intention d’en finir avec la présence arménienne millénaire à Jérusalem, invite à la prudence.

Dans un contexte de vide sécuritaire où l’hubris israélien étale sa puissance et son feu destructeur de Gaza à Téhéran en passant par Beyrouth et Damas, une déclaration de soutien au Liban aussi bienvenue et salutaire soit-elle pourrait être interprétée comme une provocation ; une cuillerée d’huile sur le feu. Une invitation à bombarder des cibles arméniennes au Liban, à Bourdj Hammoud, à Anjar, partout où il l’entend et quand il l’entend.

L’Arménie renoncera-t-elle à sa dignité au prix d’un marchandage inique? C’est une question qui repose une fois de plus le constat sur la nature incertaine et hybride de cet Etat qui a sciemment fait le choix de se couper du second poumon de l’arménité.

 

La publication est réalisée dans le cadre de partenariat avec Civilnet