
Le 23 avril 2025, le prestigieux hôtel DoubleTree by Hilton à Erevan a accueilli la Conférence internationale sur « La Convention pour la Protection de la Profession d’Avocat : La nécessité et les attentes », réunissant délégations et experts du monde entier pour un événement majeur en faveur de la défense des droits des avocats. À l’initiative du Conseil de l’Europe, cette Convention constitue un projet de première importance pour renforcer l'État de droit en Europe et au-delà, en établissant un instrument juridique contraignant destiné à protéger efficacement la profession d’avocat.
Par Layla Khamlichi-Riou
Un contexte alarmant : avocats menacés, État de droit fragilisé
À travers le monde, la situation des avocats devient préoccupante. Selon un rapport de l'Union Internationale des Avocats (UIA) publié en 2024, plus de 450 cas d'intimidations, d'arrestations arbitraires et d'assassinats ciblés ont été recensés en deux ans.
En Europe également, les inquiétudes grandissent : le Conseil des Barreaux Européens (CCBE) a relevé plus de 100 atteintes graves aux droits des avocats sur l’année 2023.
En France, Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux, a dressé un constat préoccupant. Avec 73 998 avocats recensés en 2023, la profession connaît une dynamique de croissance, mais fait face à une hostilité croissante : agressions physiques, harcèlements numériques et campagnes de dénigrement se multiplient. Ainsi, en mars 2025, un avocat pénaliste a été violemment agressé dans son cabinet, tandis que des groupuscules extrémistes établissaient des « listes noires » de professionnels à menacer. « Quand l’avocat est perçu non plus comme un acteur de la justice, mais comme un ennemi de l’ordre, c’est toute la démocratie qui est fragilisée », a-t-elle averti.
La situation en Arménie : entre avancées et défis persistants
Sur le plan régional, la situation n'est guère plus rassurante. Simon Babayan, bâtonnier du Barreau d'Arménie, a exposé les progrès réalisés depuis 2018 pour moderniser le système judiciaire, tout en reconnaissant que des défis subsistent : pressions politiques, manque d’indépendance judiciaire et nécessité de renforcer les garanties professionnelles.
Selon le dernier rapport de Freedom House, l'Arménie reste classée parmi les « démocraties partielles », preuve que le chemin vers un État de droit pleinement consolidé demeure semé d’embûches. Dans ce contexte, l’intégration aux standards européens est perçue comme une priorité stratégique par la chambre nationale des avocats, membre observateur du CCBE.
La Convention : un instrument juridiquement contraignant
Face à ces constats préoccupants, la Convention européenne pour la protection de la profession d’avocat s'impose comme une réponse ambitieuse. Présentée par Christophe Henrichs, président du Comité d'experts CJ-AV et chef du département de droit international au ministère fédéral allemand de la Justice, cette Convention prévoit notamment :
• la criminalisation des menaces contre les avocats,
• la reconnaissance de leur immunité professionnelle,
• la protection du secret professionnel,
• l’indépendance des barreaux,
• et la création d’un mécanisme de surveillance indépendant.
De plus, Laurent Pettiti, président de la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles, a souligné que la Convention impose aux États signataires de modifier leur législation nationale pour se conformer aux nouvelles normes. « Nous ne devons pas laisser la protection de l’avocat dépendre de la bonne volonté politique du moment », a-t-il insisté.
Enfin, Alex Tallon, deuxième vice-président du CCBE, a rappelé que la Convention concerne plus d’un million d’avocats en Europe, et que sa ratification représente un enjeu fondamental pour l'avenir de la défense des droits.
Une mobilisation internationale renforcée
La Conférence d’Erevan a montré que la cause dépasse les frontières européennes. Ivaylo Dermendjiev, président du Conseil suprême des barreaux de Bulgarie, a partagé l’expérience de son pays, où 40 000 avocats bénéficient désormais de dispositifs de protection renforcés grâce à des financements européens.
De son côté, Fadi Masri, bâtonnier du Barreau de Beyrouth, a livré un témoignage poignant sur les défis rencontrés par les avocats libanais, confrontés à l’instabilité politique et économique. Malgré ces obstacles, a-t-il affirmé, le Liban demeure un modèle de coexistence culturelle et un fervent défenseur des droits fondamentaux.
Quant à la Géorgie, représentée par ses avocats, elle a exprimé sa volonté de renforcer l’indépendance judiciaire et de s’aligner pleinement sur les standards européens.
Enfin, Maxime Longangue, chef du Bureau du Conseil de l'Europe en Arménie, a rappelé que la Convention est pensée comme un socle universel pour la protection de la profession d’avocat, au service de la démocratie.
Un symbole fort : le jumelage Arménie-Liban
Dans une atmosphère solennelle, les barreaux d'Arménie et de Beyrouth ont signé un jumelage historique, scellant ainsi une alliance fondée sur la défense des libertés fondamentales. Ce geste fort a été unanimement salué comme un symbole de solidarité au-delà des frontières.
Les tables rondes : entre défis immédiats et perspectives d'avenir
La première table ronde, présidée par Simon Babayan, a permis d'explorer les pistes concrètes d’application de la Convention.
Ara Zohrabyan, recteur de l’Académie des avocats d’Arménie, a plaidé pour la mise en place de groupes de travail entre avocats et forces de l’ordre afin de mieux sécuriser leur exercice.
Julie Couturier a insisté sur la nécessité de sensibiliser le public au rôle irremplaçable des avocats dans la protection des libertés publiques, dénonçant les amalgames dangereux propagés parfois jusque dans le discours politique.
Fadi Masri a rappelé que l'affaiblissement de la profession d'avocat est un symptôme de la fragilisation de l'État de droit, tandis que Marie-Pascale Piot, bâtonnière de l’Ordre des avocats des Hauts-de-Seine, a mis en garde contre les nouvelles menaces numériques visant directement les professionnels du droit.
Dans l’après-midi, une seconde table ronde a confirmé les préoccupations : fragilisation du secret professionnel, cyberharcèlement, pressions politiques. Dès lors, la nécessité d’un instrument juridique fort tel que la Convention est apparue d’autant plus incontournable.
Une conclusion unanime : protéger l’avocat, c’est protéger la démocratie
En clôture, Marie-Pascale Piot a résumé l’esprit de la journée en rappelant que défendre les avocats, ce n’est pas défendre une corporation, mais protéger les justiciables et garantir la démocratie elle-même.
Enfin, Simon Babayan a lancé un vibrant appel aux États :« Plus nous serons nombreux à signer la Convention, plus l'avocat sera protégé, et avec lui l'État de droit lui-même. »
À Erevan, ce 23 avril 2025, un signal fort a été envoyé au monde : défendre l’avocat, c’est défendre chacun d’entre nous.
La Conférence d’Erevan a clairement montré que la protection des avocats dépasse largement les intérêts corporatistes. Elle constitue aujourd'hui un enjeu fondamental pour la sauvegarde des libertés publiques, la garantie du droit d’accès à un procès équitable et, au-delà, pour la défense de nos démocraties modernes. Face aux menaces contemporaines — qu'elles soient physiques, politiques ou numériques — l'avocat reste ce rempart indispensable entre le citoyen et l'arbitraire. Protéger ceux qui défendent, c’est refuser que la peur, l'intimidation ou la violence dictent l'issue des combats juridiques. C’est, en somme, préserver la dignité humaine.
Dans cette dynamique, un moment décisif s’annonce : le 13 mai prochain, plusieurs États signeront officiellement la Convention à Luxembourg, marquant ainsi une avancée historique pour la protection internationale de la profession. Alors que de nouvelles menaces pèsent sur les droits fondamentaux, le message venu d’Erevan est sans ambiguïté : la protection des avocats est l'affaire de tous, et leur liberté, un bien commun que nous devons, collectivement, défendre et renforcer.