Aux couleurs d’Aparan, ou quand le street art fait irruption dans la ville

Արվեստ և մշակույթ
17.10.2025

Mardi 7 octobre, la réalisation d'une fresque murale d'envergure a débuté à Aparan. Dans le cadre du festival de street art d’Erevan, Aram, commissaire de l’exposition Paris-Erevan Art Urbain, a entrepris d'étendre la portée de cette forme d’expression jusqu’à cette petite ville située à 55 kilomètres au nord de la capitale arménienne. Ce n’est pas la première fois qu’Aparan, qui compte environ 5 000 habitants, voit ses murs se parer de couleurs urbaines, mais ce projet se distingue à bien des égards.

 

Par Béatrice Ramos

Alors que le chantier suscite la curiosité, les passants s'arrêtent, observent et commentent ce qui prend forme sous leurs yeux. Café à la main, certains échangent quelques mots, partagent leurs impressions et s'émerveillent de voir les couleurs transformer peu à peu leur environnement.

Ce sont les mains de Bault, street artiste français venu spécialement de Paris pour ce projet, qui tiennent les sprays de peinture. Sculpteur sur bois et peintre avant tout, il baigne dans l’art depuis son plus jeune âge : il a grandi entouré de livres d’art et a commencé à dessiner très tôt. Avec l’arrivée du hip-hop et du graffiti, il a choisi les murs parisiens comme terrain d’expression. « Quand tu peins dans la rue, c’est très visible : les gens prennent des photos, et c’est ce qui donne de la visibilité », explique-t-il.

Depuis plus de quinze ans, il collabore avec Nicolas Laugero-Lasserre, commissaire de l’exposition Paris-Erevan Art Urbain aux côtés d’Aram. Parallèlement, il a mené de nombreux projets personnels à l’étranger, notamment au Brésil et au Japon, où il a déjà réalisé des fresques murales.
C'est lors d'un vernissage à Paris qu'il a fait la connaissance d'Aram. Séduit par l’univers singulier de Bault, ce dernier lui a proposé de participer au projet de fresque murale à Aparan.

L’univers artistique de Bault est singulier : il sollicite l’imagination de ceux qui contemplent ses œuvres et les invite à s’interroger à travers des personnages et des motifs empreints de fantaisie. Cet imaginaire puise ses racines dans une sorte de mythologie personnelle que l’artiste a élaborée durant son enfance. Ses créations sont nourries de multiples influences : les pays qu’il a visités, les statuaires africaines, la bande dessinée ou encore le vaudou haïtien.

La fresque d’Aparan pourrait, explique-t-il, représenter « des divinités, des statues ou des plantes, dans un univers où l’animal et l’humain se mélangent ». Il revendique l’étrangeté de son art, cherchant à développer un style singulier, à la fois surprenant et interrogatif, tout en conservant une dimension de plaisir et de spontanéité dans le geste créatif.

Son travail s’adresse à tous, mais il accorde une attention particulière aux enfants. Enfant, il était impressionné par les fresques qu’il voyait et se posait mille questions. Aujourd'hui, il transpose ce souvenir dans son approche du microcosme : une multitude de petits éléments qui offrent à chacun la possibilité de s'inventer sa propre histoire.

En venant en Arménie, Bault a voulu partager cet univers tout en y intégrant des clins d’œil à la culture locale : sur le mur d’Aparan, on reconnaît ainsi une bouteille de tan (boisson locale, NDLR) souriante et une grenade fière, symboles espiègles de l’identité arménienne.

Haute de près de quatorze mètres et large de vingt-deux, la fresque est divisée en deux parties : sur le tiers gauche, l’univers fantastique de l’artiste se détache sur un fond jaune, tandis que le reste du mur est recouvert d'un rouge brique. Le bâtiment choisi se trouve juste à côté de l’école d’art d’Aparan, un emplacement stratégique, car ce projet s’inscrit également dans une volonté de créer un lien entre les personnes qui pratiquent ou étudient l’art et le street art. Dans le cadre du festival de street art, NPAK avait inclus la réalisation de cette fresque dans son dossier de projet, validé par le ministère. Il restait alors à obtenir l’accord de la mairie, qui a demandé à consulter la maquette avant de donner son feu vert avec enthousiasme.

La maquette transmise correspond à ce que l'on appelle un croquis d'intention, c'est-à-dire un premier jet qui esquisse la composition générale. Une fois sur place, Bault a repris et affiné ce dessin, l’adaptant aux dimensions réelles du mur et à la vision qu’il se faisait de l’œuvre in situ. Côté technique, l’artiste a utilisé une peinture acrylique spéciale façade résistante aux UV, tandis que les dessins et les détails ont été réalisés à la bombe noire.

Le projet artistique s’est achevé le samedi 11 octobre, en début d’après-midi. Une fois la fresque terminée, Bault est rentré en France tandis qu’Aram partageait les retours des habitants et la satisfaction de toute l’équipe ayant travaillé sur le mur. Séduite par le résultat, la mairie a d'ailleurs déjà proposé à l'artiste un nouveau mur à embellir afin d'apporter encore un peu de couleur et de fantaisie à Aparan.

Aram rapporte des réactions très positives de la part des passants et des habitants. Plusieurs hommes ont félicité l’artiste, le reconnaissant comme un « maître » dans l’art de la fresque. Le directeur du projet note cependant quelques réserves de la part de trois femmes, d'un ton plus conservateur, qui ont interrogé la démarche : « Pourquoi avoir peint cela plutôt que des montagnes ? » D’autres, au contraire, ont pleinement accueilli l’œuvre.

C’était justement l’intention de Bault : offrir à cette ville une forme d’art nouvelle, différente de ses repères habituels. Le pari semble réussi, notamment auprès des enfants de l’école voisine qui ont réagi avec enthousiasme, rires et comparaisons spontanées avec les dessins animés qu’ils regardent.

Un atelier est prévu le dimanche 19 octobre. Une trentaine d’adolescents sont attendus pour s’initier à la peinture en spray sur panneau. Cette activité, volontairement sans thématique imposée, vise à stimuler la créativité et à permettre aux participants de découvrir la technique utilisée pour réaliser la fresque, devant laquelle ils se tiendront.

La journée commencera par un échange sur la collaboration entre Aram et Bault, puis par une présentation du style et du parcours de l’artiste. Les jeunes passeront ensuite à la pratique en peignant librement sur les supports à l'aide de sprays. Enfin, un tour de la ville sera organisé pour cartographier les différentes fresques d'Aparan et en discuter collectivement.

Avec ce projet, le NAPK franchit une nouvelle étape dans la création de passerelles durables entre les artistes d’Arménie et de France, en inscrivant le street art dans un dialogue interculturel vivant et accessible à tous.