L'exode

Actualité
26.09.2023

À huit heures ce matin, 26 septembre, le gouvernement recensait 13 550 réfugiés du Haut Karabagh entrés en Arménie depuis le premier convoi, il y a 36 heures.

Par Olivier Merlet

 

« Notre peuple ne veut pas vivre en Azerbaïdjan, 99,9% préfèrent quitter nos terres historiques », déclarait, il y a deux jours, Davit Babayan, l'ancien ministre des Affaires étrangères du Haut-Karabagh. « Le sort de notre pauvre peuple restera dans l'histoire comme une honte pour le peuple arménien et pour le monde civilisé tout entier. Les responsables de notre sort répondront un jour à Dieu de leurs péchés »

L'exode se poursuit, inexorablement. D'après des contacts présents sur place au poste frontière de Kornidzor et à Goris, jusqu'en fin d'après-midi hier, les voitures n'arrivaient qu'une à une, chargées de tout ce que l'on peut prendre pour survivre, lorsqu'on en a eu le temps, parfois sans rien, juste la famille et les papiers, les femmes encore chaussées de pantoufles et les enfants à peine couverts d'un pull, malgré les fortes averses. Mais de l'autre côté du pont Hakari, des centaines de véhicules attendaient de pouvoir passer, pare-chocs contre pare-chocs. Et depuis hier soir, le flot est continu à Kornidzor.

Les réfugiés sont d'abord dirigés vers le centre d'enregistrement. Quelques tentes blanches où ils reçoivent un peu de nourriture et des premiers soins s'ils en ont besoin. Plusieurs médecins volontaires venus d'Erevan se sont joints au personnel de la Croix-Rouge. Les interviews ne sont pas autorisées, peu sont d'humeur à parler de toutes façons. Ceux qui le peuvent repartent directement dans leur voiture, ceux qui n'ont rien ni nulle part où aller sont envoyés au point d'accueil de Goris, installés dans les locaux du centre culturel. Dans la soirée, la municipalité d'Erevan a mis à disposition plusieurs de ses bus pour ramener des déplacés vers la capitale où ils seront relogés.

Étonnamment, raconte l'une de nos sources à Goris, beaucoup d'enfants sourient encore, des ados et de jeunes adultes discutent entre eux, décontractés, soulagés. Ils étaient au bout du monde, enfermés dans la misère et la crainte, ils ne reviendront pas, décidés à se construire une nouvelle vie, à repartir, ailleurs, loin. La tristesse et le désespoir, c'est celle de leurs ainés, les plus âgés, contraints d'abandonner toute une vie qu'ils ne referont jamais et les montagnes de leurs ancêtres à l'ennemi. L'amertume aussi, et le mot est faible. Sur Instagram, Meri Asatryan, assistante du médiateur des droits de l'homme du Karabakh, postait vainement ce message avant d'évacuer son bureau de Stepanakert : « Ils profanent mes souvenirs, ils se moquent de mes valeurs, ils empiètent sur mon paradis. Je ne les laisserai pas atteindre l'endroit où je suis le plus heureuse ».

Trois jours plus tôt, le conseiller du président azerbaïdjanais, Hikmet Hajiyev, promettait que les soldats Karabakhtsis qui avaient déposé les armes bénéficieraient d'une amnistie générale Il précisait bien également qu'elle ne s'appliquerait en aucune façon aux « individus sélectionnés qui ont commis des "crimes de guerre" au cours de la première guerre du Karabagh ». Tous les hommes adultes du Karabagh ont servi leur drapeau et craignent que Bakou n'applique sa propre définition du concept de "criminel de guerre", ainsi qu'en a été accusé Vagif Khachatryan, 68 ans, chauffeur du commandant des forces de défense dans les années 90 et détenu en Azerbaïdjan depuis juillet dernier lors de son transfert médical vers Erevan. La peur est omniprésente jusqu'au passage du dernier check-point.

Et dans ce sombre tableau, comme si le sort semblait s'acharner sur ce Karabagh abandonné, un entrepôt de carburant a explosé à Askeran, hier aux alentours de 20 heures, alors que de nombreux riverains se ravitaillaient à la hâte avant de pouvoir partir. Les autorités du Karabahh venaient d'annoncer que les stocks rationnées depuis neuf mois de blocus seraient distribués gratuitement à la population pour qu'elle puisse s'enfuir. Le bilan encore provisoire ce matin fait état de 13 morts et 290 blessés.