Les manifestations spontanées qui ont démarré mardi soir à l'annonce de l'attaque sur le Karabagh n'ont cessé de grossir depuis trois jours. Ce matin, 22 septembre, l'accès au centre-ville d'Erevan était bloqué en plusieurs endroits, quasi inaccessible aux habitants de certains quartiers périphériques.
Texte et photos Olivier Merlet
Nous relations dans nos colonnes la tentative d'assaut sur le siège du gouvernement, place de la République mardi dernier. Les rassemblements depuis ne cessent de s'amplifier, accompagnées parfois de débordements, pour l'instant encore contenus. Mercredi, au soir de la capitulation, Vazgen Manukyan, ancien Premier ministre et ministre de la Défense de la première présidence de l'Arménie indépendante, déjà pressenti comme possible Premier ministre de transition au lendemain de la guerre des 44 jours, annonçait la prochaine formation d'une coalition d'union nationale contre le gouvernement de Nikol Pashinyan. « Il démissionnera, dans trois jours ou dans trois mois », lançait-il, appelant la jeunesse, très présente aux rassemblements, à se mobiliser et suivre les pas de leurs ainés du Mouvement Karabagh en 1988. « Le pays se relèvera, nous sortirons plus forts de cette épreuve, nous aurons de gros problèmes concernant l'Artsakh, mais l'Arménie et l'Artsakh se lèveront ».
Plus impatients, de nombreux manifestants ne cachaient pas leur lassitude des discours et de rentrer chez eux sans qu'aucune action ne soit réellement organisée. Les orateurs partis, la foule s'était effectivement dissipée mais en fin de soirée, de nouveaux heurts avec la police avaient lieu devant le siège du pouvoir.
Dès le milieu de l'après-midi hier jeudi, 32eme anniversaire de l'indépendance du pays, de petits groupes de quelques personnes seulement ont commencé à bloquer des intersections du centre-ville. Sur la place de France, derrière l'opéra, une dizaine de manifestants s'est emparé des bancs publics et des poubelles pour les disposer en travers des avenues Mashots et Maréchal Bagramyan, tentant d'interdire toute circulation sur ces deux axes majeurs de la capitale. La police est intervenue, dans la retenue malgré l'énervement de certains individus, jusqu'à ce qu'un autre groupe de manifestants, plus constitué, n'arrive sur les lieux.
Remontant la "Prospekt", 200 à 250 jeunes pour la plupart, des étudiantes, les épaules recouvertes du drapeau d'Artsakh, mais aussi des mères de famille tenant leurs enfants par la main défilaient calmement, l'air grave, scandant régulièrement le nom de l'Artsakh. Lentement, ils atteignaient l'avenue Khanyan, le boulevard circulaire qui entoure le centre-ville, où un autre groupe parti de l'esplanade du Vernissage est venu encore grossir leur rangs. À de rares exceptions près, les automobilistes coincés se montraient conciliants, a beaucoup manifestaient même leur soutien au cortège, reprenant ses slogans, vitre baissée et poing tendu.
Sayat Nova, Abovyan, Tumanyan, Mashtots encore, le défilé a sillonné les rues de la capitale avant de se rendre sur la place de la République. Une longue marche qui en rappelait d'autres, celles de mars 2018. Tout avait commencé de la même façon.
Comme annoncé la veille, Vazgen Manukyan a repris la parole à dix-neuf heures. Une foule considérable s'était massée sur toute l'étendue de la vaste place, du musée d'histoire à l'hôtel Marriott et de la rue Amiryan au siège du gouvernement. Celui qui se présente désormais comme le leader de l'opposition populaire a nommé les premiers membres de son Comité national de coordination : Hayk Mamijanyan, Avetik Chalabyan, Andranik Tevanyan et Ishkhan Saghatelyan, président du Conseil suprême de l'ARF-Dashnakutsyun. Six autres responsable politiques devraient prochainement s'y associer.
« Il faut maintenant lancer rapidement le processus visant à mettre le gouvernement à genoux. J'appelle nos jeunes à mener des actions de désobéissance partout, non seulement à Erevan mais aussi dans les régions », a encore ajouté l'ancien Premier ministre, invitant les manifestants à empêcher la tenue du Conseil des ministres prévu ce matin.
À la fin du rassemblement, les manifestants se sont séparés en petits groupes pour aller de nouveau occuper jusque tard dans la nuit les principales intersections menant au centre-ville. Ce matin donc, 22 septembre, dès 07h30, les manifestants bloquaient le boulevard Miasnikyan, seule artère urbaine desservant les quartiers périphériques et les agglomérations du nord de la capitale, interdisant temporairement à des milliers de personnes de se rendre au travail.
La session hebdomadaire du gouvernement a bien eu lieu, avancée à une heure matinale pour que rien ne l'interdise. Andranik Tevanyan, membre du Comité populaire de coordination formé la veille et présent à toutes les manifestations depuis mardi, notamment lors de la tentative d'assaut sur le siège du gouvernement, a été arrêté ainsi que plusieurs autres militants avant d'être relâché en début d'après-midi
Des incidents relativement violents ponctuent parfois les manifestations, mais il s'agit davantage pour l'instant de débordements ponctuels du fait de petits groupes. Un nouveau rassemblement est prévu dans la soirée.