Gyumri capitale culturelle… et touristique de l'Arménie

Société
14.06.2023

La capitale culturelle arménienne est l'une des principales bénéficiaires de l'afflux touristique sans précèdent en Arménie cette année. Commerces et agences touristiques se mettent en quatre pour répondre à la demande.

Par Allan Branger et Vassili Donn

 

Le début de cette année 2023 marque un record dans l'histoire du tourisme en Arménie avec plus de 630 000 individus entre janvier et avril, selon les chiffres du comité national éponyme. Spartak, réceptionniste au Plaza Viktoria de Gyumri s'étonne d'ailleurs, non sans plaisir, de constater que l'hôtel ou il travaille est déjà quasiment complet : « actuellement, je ne suis plus en mesure que de proposer trois chambres à nos clients ». 

Depuis deux ans déjà, la tendance était à la hausse et Gyumri, la capitale culturelle de l'Arménie avait senti le vent venir. Marina Bazayeva, hôtesse d’accueil à l’Apricot Hôtel, commente l’ascension fulgurante de ce secteur dans la ville.

« Il y a quelque temps, il n’y avait que peu de maisons d'hôtes, vous en avez maintenant plus de deux cent ». Cette abondance concorde avec la fin de la période épidémique, mais aussi avec le début de la guerre en Ukraine et l’arrivée massive de Russes en Arménie.

La restauration profite aussi des retombées de cette manne et enregistre également une forte augmentation de ses activités. Yura Minasyan, directeur de la chaîne Ponchik Monchik qui possède plusieurs établissements dans la ville, se réjouit de cet afflux, à la fois pour ses commerces, mais aussi pour le développement de la ville et de ses habitants. « En été, les terrasses sont pleines, cela me permet de recruter des jeunes de la ville qui n’ont pas d’activité scolaire ou professionnelle ». Tout en affirmant qu’il avait même pu doubler le salaire de ses employés grâce à l’augmentation de son chiffre d’affaires, Yura avoue rencontrer de grandes difficultés à trouver un personnel bien formé. « La qualité des produits alimentaires, ce n’est pas un problème : je peux acheter de la bonne viande, mais pour le service, c’est autre chose. La formation des serveurs demande de grands efforts et beaucoup de temps. C’est un vrai métier très exigeant ». Certains de ses jeunes employés ont été envoyé suivre des stages spécialisés à Erevan, mais la balance coût/bénéfice n'est pas si évidente. « La plupart travaillent pendant l’hiver, et dès les premiers jours d’été, ils démissionnent… c’est dur pour le restaurant ». Cette année, Yura avait engagé 22 employés pour la période hivernale, ils sont désormais 35 pour la période estivale, qui selon lui a déjà commencé au vu du nombre de clients qu’il voit s’amasser sur ses terrasses.

 

Faire face aux nouveaux défis du tourisme

Lusine Avagyan, manager de "Creative Culture Tour", une agence touristique qui conçoit et propose des excursions à Gyumri revient sur les statistiques 2023 du secteur:

« En 2022, on a accueilli plus de 3 000 touristes, cette année, l’entreprise espère atteindre 5 000 individus, et sincèrement, on est bien parti pour ». La jeune entrepreneuse se dit « surprise » par le nombre de touristes qui « dépasse toutes les attentes”.

Questionnée sur les sites préférés de ses visiteurs, elle répond : « c’est très compliqué, parce qu'en général, chaque lieu est énormément apprécié… Si je ne devais en citer qu’un seul, je dirais que les adultes adorent la place Vartanants, ils la comparent parfois même à New York, tandis que, pour les jeunes, c’est le parc Gorki, notre Central Park !»

Armen Hovsepyan, directeur de Travel Gyumri affirme lui que les clients de son agence sont davantage sensible aux charmes du district historique de la vieille ville. Il confirme cependant les propos de Lusine sur l’arrivée massive des touristes, « c’est la première fois que je vois autant de personnes venir à Gyumri ». Il avoue même être parfois contraint le week-end de refuser du monde, faute de place. La clientèle arménienne représente une part importante de son chiffre d’affaires : « la majorité des touristes de notre agence est originaire d' Erevan » affirme-t-il. Pour Marina Bazayeva de l’Apricot Hôtel, ses hôtes viennent « des quatre coins du monde ».

 

Touristes et locaux, un intérêt commun

Le nombre de touristes à Gyumri ne semble pas déranger les riverains, bien au contraire, mieux, ils en tirent parti. Lilit, habitante de Gyumri depuis toujours, se réjouit de la présence des touristes dans sa ville et ne trouve que du positif dans cette cohabitation. « Les gens d'ici sont très hospitaliers et adorent recevoir du monde. Notre ville est colorée, belle et chargée d’histoire… personnellement, je souhaite que tout le monde puisse en profiter. Et avec toutes les activités qu’il y a à faire dans le centre-ville et aux alentours, personne ne peut s’ennuyer ici ». Rafael, forains au Kalbasi Park, partage le même avis, « nous voulons montrer nos traditions et notre culture au monde entier ».

Tout droit venu d’Helsinki, en Finlande, Niko est à Gyumri depuis deux jours maintenant. « C’est dommage que la majorité des touristes reste Erevan, il y a tellement à découvrir ici !» s’exclame-t-il avant de confier qu’il préfère cette ville à Erevan : « C’est plus calme et plus petit”. Pour le touriste finlandais, sa visite préférée s'est avéré être Sev Berd, la "forteresse noire". Situé à quelques centaines de mètres de la statue de "Mère Armenie", le bâtiment qui surplombe toute la ville du haut de sa colline a été érigé par l’empereur Nicolas 1er au début du XIXe siècle, après la guerre opposant la Russie à l’Iran. Niko promet que de retour dans son pays, il encouragera tous ses amis à venir visiter l'Arménie… et Gyumri bien sûr.

 

Un patrimoine artistique et artisanal

L'art, la culture et l'artisanat sont devenus les moteurs de la renaissance de Gyumri depuis le tremblement de terre de 1988. En témoignent les multiples espaces artistiques, comme le centre culturel "Zanan", situé dans le sous-sol du musée-mémorial de l'écrivain Hovhannes Shiraz, un véritable trésor caché de Gyumri. Au musée-réserve Kumayri, une collection exceptionnelle et unique de costumes traditionnels arméniens, répliques d'originaux de différentes périodes, plonge ses visiteurs dans l'histoire et l'identité culturelle arménienne. Robes et bijoux exposés en reflètent tout l'héritage, riche et varié. Costumiers, stylistes et décorateurs se sont inspirés de livres ethnographiques et d'images anciennes pour recréer à la perfection ce patrimoine vestimentaire inestimable. Dans un tout autre style, la galerie contemporaine « B612 » s'est taillée la réputation de « lieu incontournable d’exposition des artistes locaux et internationaux » affirme Rima, guide francophone native de Gyumri. De la peinture à la sculpture en passant par la photographie, chaque forme d'art y trouve sa place.

Ces dernières années, le développement des espaces artistiques se poursuit. Antonio Montalto et Manoug Pomokdjian, responsables de deux associations humanitaires qui œuvrent à Gyumri depuis 2014, ont eu l'idée de créer un atelier artisanal de céramique mettant en valeur les gestes et savoirs faire issus de la tradition ancestrale arménienne. Plus récemment encore, en août 2021, c’est l’atelier "Varem-marem" qui a ouvert ses portes. Fondé par Mikael et Shushanik Vardparonyan, il organise des cours de poterie et des formations à d'autres métiers traditionnels pour tous les publics, quel que soit leur l'âge. Tous ont à cœur de tout faire pour défendre haut et fort le titre de "ville artistique et culturelle" de Gyumri et préserver ses traditions artisanales.  

 

Le brouillard de la guerre

À cette ascension fulgurante demeure cependant une inconnue : celle de l’évolution de la situation politique du pays, l'unique menace, telle que perçue par les commerçants, au développement touristique et à la prospérité de leur ville. Pour Yura Minasyan, le directeur de Ponchik Monchik, sécurité et stabilité politique  en sont les conditions sine qua none : « Si la guerre éclate de nouveau, tout sera fini pour nous, les touristes auront peur et ils ne viendront pas. Ce serait le pire des scénarii possibles ».

P.S. Nous allons continuer notre tour de Gyumri dans les prochains jours avec un opérateur et une adresse tout à fait spéciale: la Fondation suisse KASA.