Mariam Torosyan, fondatrice de "Safe You", application mobile de lutte contre les violences sexistes, a reçu à Paris en mai dernier le prestigieux prix Women's Initiative de la fondation Cartier.
Par Vassili Donn
Le prix Cartier identifie, soutien et récompense chaque année les femmes entrepreneures à l'origine d’une initiative innovante ayant un impact social ou environnemental. La gagnante reçoit une prime conséquente (100 000 dollars américains !) et bénéficie d'une large visibilité médiatique lui permettant de mettre en lumière son activité. Cette année, c’est donc Mariam Torosyan, une ancienne étudiante de l'UFAR, et son application Safe You qui en ont été les bénéficiaires.
C'était aussi la première fois en seize ans d'existence que la prestigieuse fondation mettait à l'honneur une entrepreneure arménienne. À la suite de la cérémonie, la jeune femme a réagi avec enthousiasme à sa récompense. « C’est une grande fierté, ce prix est important car il nous permet d’élargir notre communauté et le soutien que reçoit Safe You. Cela montre que nous sommes importants dans notre domaine, que nous sommes écoutés et que nous avons un pouvoir d’action. J’espère que cela va inspirer les Arméniennes à trouver la force d’entreprendre malgré les obstacles ».
Ce domaine dont parle Mariam Torosyan, c’est celui de la lutte contre les violences sexistes. Créée en 2020, l'application Safe You vise à autonomiser les femmes en leur fournissant gratuitement des outils et des ressources de sécurité pour obtenir de l'aide dans des situations dangereuses. L’application fonctionne « comme une balise d’urgence ». Une fois téléchargée, son utilisatrice peut programmer jusque sept contacts différents de son choix (police, famille, amis, associations, etc…) qu'elle peut activer en cas d’agression. Un appel d’urgence est alors lancé aux destinataires qui obtiennent instantanément sa géolocalisation pendant que téléphone lance automatiquement un programme d'enregistrement automatique d'une durée d'une minute. Mariam Torosyan assure que les données recueillies permettront aux victimes d'étayer si nécessaire les poursuites judiciaires engagées à posteriori. Elle souhaite d’ailleurs préciser que les données récoltées sont exclusivement utilisées pour comprendre les causes des agressions et pour punir les coupables. « En ce sens, nous travaillons directement avec le gouvernement pour être sûr que les données que nous collectons ne soient en aucun cas utilisées à d'autres fins et qu’elles restent confidentielles. Nous aidons également les victimes à trouver des avocats ou encore à prouver les faits d’agression devant les tribunaux. Nous nous assurons que les poursuites sont effectivement diligentées et que les agresseurs sont jugés.».
L'application Safe You ne se limite pas à répondre à l'urgence mais offre de même un accompagnement psychologique post-traumatique très important. « L’application est aussi un espace où les femmes peuvent engager des discussions avec des psychologues ou médecins spécialisés ». Mariam poursuit : « Au-delà de l'outil proprement dit, Safe You a pour vocation de créer un espace communautaire focalisé sur la sécurité ». L’objectif est la protection des femmes par la réduction des inégalités de genre et des agressions. Pour ce faire, le meilleur outil reste la prévention.
La prévention, cadre déterminant de l’action
« Safe You agit avec les ONG et associations, par exemple en Arménie avec le FNUAP (Fonds des Nations unies pour la population), ou encore le ministère des Affaires sociales ». Des actions directes sont également menées pour rencontrer les nombreuses utilisatrices. Dans la province de Shirak, ainsi, plusieurs rencontres ont eu lieu, au Technology center Tumo de Gyumri notamment, mais aussi dans des universités, collèges et lycées de la région. « Cela prend souvent la forme d’évènements informels au travers de discussions avec les étudiants ou les professeurs sur ce qu’il faudrait améliorer et la façon de le faire », raconte la fondatrice de Safe You.
En parallèle, les médias, et plus spécifiquement les talk-shows télévisés, très populaires en Arménie, constituent les principaux vecteurs d’influence grand-public. « Il leur revient de promouvoir la lutte contre les agressions, c'est la politique publique la plus efficace ». A cet égard, l’initiatrice du projet tient aussi à souligner l’implication des institutions étatiques dans son combat. « Nous sommes heureux de voir à quel point le gouvernement est réactif à la résolution des problèmes d’agressions des femmes dans notre pays. L’union européenne est également très engagée dans ce processus et essaye de nous aider au mieux pour améliorer la situation ».
Une nécessité d’agir en Arménie
Safe You a été développée en Arménie en 2020. Selon Mariam Torosyan, le pays serait particulièrement touché par les violences de genre ces dernières années, en partie du fait de sa situation politique instable. « Les pays en guerre, post guerre ou en période de crise, sont souvent exposés aux violences sexistes et aux agressions, les tensions aux frontières sont un stress énorme pour toute la société arménienne et cela a évidemment un impact très négatif sur la sécurité des femmes ». Pour la jeune femme, le cas de l’Arménie correspond toutefois à un problème plus profond relatif aux mœurs en usage.
« Il faut travailler sur les normes qui régissent notre société, réformer le patriarcat et les comportements de masculinité toxiques qui provoquent des agressions et sont encore très présents de nos jours. À cause des normes sociales, une partie significative de la population féminine ne travaille pas, ce qui impacte la société et ses rendements ». Le défi demeure colossal, néanmoins, la jeune entrepreneuse espère que son application contribuera à changer les choses et faire de l'Arménie un exemple en matière de sécurité des femmes… Et surtout, qu’elles s’y sentent protégées.
En ce qui concerne ses projets à l’international, Safe You développe déjà ses activités en Géorgie avec des partenaires locaux, mais aussi en Iraq, en collaboration avec le FNUAP. Les projets de l’entreprise se concentrent aujourd’hui dans l’exportation de son service et de ses activités vers les pays africains, mais aussi les Etats-Unis. « En ce qui concerne l’Europe, nous commençons à travailler avec la France et la Finlande. Nous étudions encore le marché en réfléchissant aux meilleurs partenariats à conclure sur place ».
Cette année, environ 29 000 utilisatrices ont téléchargé l’application avec plus de 14 000 signalements de violence rapportés à Safe You et plus de 9 000 consultations fournies en ligne.
