Le Caucase se mobilise pour venir en aide à la Turquie et à la Syrie après le violent tremblement de terre de mardi dont le bilan dépasse aujourd'hui les 20 000 morts. Au delà de la tragédie humaine, le déploiement de cette assistance humanitaire n'est pas départi des intérêts et des préoccupations politiques des pays de la région.
La réponse de l'Azerbaïdjan, dont la Turquie est le plus proche allié, a été la plus rapide et la plus significative. Le 6 février, le jour même de la catastrophe, une équipe de 420 secouristes et plusieurs chiens de sauvetage ont été envoyés en Turquie pour participer aux secours. Le ministère azerbaïdjanais des Services d'urgence a expédié deux cargaisons de matériel de première nécessité pour aider les personnes déplacées et annoncé l'envoi de 227 secouristes dans « notre pays frère », formule fréquemment utilisée dans les médias locaux. Ilham Aliyev a appelé son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, et souligné que « l'Azerbaïdjan et la Turquie avaient toujours été côte à côte », rapporte un communiqué de la présidence azérie.
L'empathie de la population est également réelle, de simples citoyens s'organisent et les dons privés aux organisations caritatives turques sont nombreux. Les médias sociaux relaient en permanence les nouvelles du tremblement de terre et des opérations de sauvetage. Le 8 février, les équipes de secours azerbaïdjanaises ont déclaré avoir trouvé 16 personnes en vie et 29 cadavres sous les décombres des bâtiments effondrés.
L'Azerbaïdjan continue ses envois d'aide humanitaire et d'équipes médicales en en Turquie mais n'a pas déclaré avoir envoyé d'aide en Syrie, où les dégâts couvrent une zone également très étendue. Ils y sont encore plus terriblement ressentis par les populations qu'ils surviennent dans une région déjà ravagée par des années de guerre civile.
La Géorgie de son côté a envoyé une équipe de 60 secouristes en Turquie et prévoit l'envoi supplémentaire de 40 pompier dans la province d'Adiyaman dans le sud du pays. Le 8 février, le ministère de l'Intérieur a indiqué que les secouristes géorgiens y avaient sauvé une personne. La Géorgie n'a pas non plus signalé avoir envoyé d'aide ou de secouristes en Syrie. Pour mémoire, Tbilissi a coupé les liens avec le gouvernement syrien en 2018 après la reconnaissance officielle par Damas de l'indépendance des régions séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud.
Si la contribution de l'Arménie, enfin, a été proportionnellement plus faible en quantité, elle revêt en revanche la plus grande importance politique.
Nikol Pashinyan s'est entretenu au téléphone avec le président turc, lui exprimant ses condoléances et son soutien ainsi qu'au peuple de Turquie. Il lui a également fait part de la mobilisation d'une équipe de secouristes prête à s'envoler pour la Turquie. Dans le même temps, le premier ministre a passé un appel similaire au président syrien Bashar al-Assad et « a transmis ses condoléances au président ami et au peuple syrien » indique le communiqué officiel. Répondant à la demande du président syrien, Nikol Pashinyan a confirmé l'envoi prioritaire d'une aide alimentaire à la Syrie et l'organisation d'un programme d'assistance humanitaire arménienne pour les populations sinistrées. Le 8 février, le ministère arménien de l'Intérieur indiquait que 29 secouristes avaient été envoyés en Syrie et 27 en Turquie.
Depuis l'agression azerbaïdjanaise de septembre 2022 sur le territoire de l'Arménie et le blocus du Haut-Karabakh depuis près de60 jours désormais, le processus laborieux de normalisation des relations entre Erevan et Ankara peine à avancer, si ce n'est par petits gestes dont la pertinence et les effets demeurent toutefois très symboliques. Le rétablissement des vols directs de fret aérien entre les deux pays annoncé début janvier en est la meilleure illustration.
Toujours selon le bureau de presse du Premier ministre arménien, suite à l'appel téléphonique de Nikol Pashinyan, Reccep Tayyip Erdoğan aurait fait remarquer à son interlocuteur que « le gouvernement turc appréciait hautement le soutien de l'Arménie, soulignant que cette démarche s'inscrivait également dans la perspective d'un approfondissement du dialogue entre les deux pays ».
Depuis Berlin où il était en visite officielle, le ministre des Affaires étrangères, Ararat Mirzoyan, a également déclaré le 7 février : « Nous avons nous-mêmes vu en 1988 sur notre territoire, la République d'Arménie, les conséquences désastreuses qu'un tremblement de terre peut avoir, et nous n'étions pas seuls à l'époque, nous avons reçu l'aide de la communauté internationale. […] Je tiens à souligner qu'en dépit de toute la complexité des relations et des réalités, la République d'Arménie a tendu la main et s'est déclarée prête à fournir une aide humanitaire à la Turquie et à la Syrie ».
Enchaînant sur les pourparlers en cours entre l'Arménie et la Turquie, il a ajouté : « Il y a un dialogue, comme vous le savez, sur l'ouverture des frontières et l'établissement de relations diplomatiques. Je veux réaffirmer la volonté de la République d'Arménie de s'impliquer sincèrement dans ce processus et de le mener à une conclusion logique et positive le plus rapidement possible ». Le ministre a admis une certaine lenteur du processus, en l'estimant toutefois « très positif [avec] des résultats sur le terrain. »
Les réactions de l'opinion publique en Arménie sont toutefois mitigées vis à vis du déploiement de l'équipe de secours en Turquie, bien que pour beaucoup, elle témoigne avec fierté de la grandeur nationale arménienne. Sur les réseaux sociaux, l'attention est plutôt concentrée sur les régions du nord de la Syrie qui abritent d'importantes communautés arméniennes.
« Le gouvernement semble essayer de s'attirer les faveurs des pays occidentaux afin d'obtenir leur soutien dans le processus de normalisation turc », a déclaré l'analyste Benyamin Poghosyan dans une interview au journal Eurasianet. « Il cherche à se montrer constructif et espère que l'Occident, en particulier les États-Unis, fera pression sur la Turquie pour qu'elle aussi aille de l'avant, indistinctement des questions du Haut-Karabakh et des relations arméno-azerbaïdjanaises où la partie arménienne a beaucoup plus à perdre ».