Poste avancé du lobby, de la propagande et de la désinformation azerbaïdjanaise organisée en Europe, le Centre culturel de l'ambassade d'Azerbaïdjan à Paris annonçait depuis quelques jours la présentation, le 23 septembre, de documents attestant de la destruction de vestiges culturels et historiques par des Arméniens. L'affiche de l'"exposition" était clairement frappée du logo et de l'acronyme de l'Unesco, protecteur universel de l'héritage culturel mondial.
Nous publions ci-après le courrier de l'Association internationale du barreau armenien representé en France par l'Association française des avocats et juristes arméniens.
UNESCO - À l’attention de Madame la Directrice générale Madame AZOULAY
Paris, le 22 septembre 2022
Madame la Directrice générale,
Le 23 septembre 2022, la délégation permanente de la République d’Azerbaïdjan auprès de l’UNESCO organisera une présentation sur une prétendue « destruction du patrimoine culturel azerbaïdjanais en Arménie », dans les locaux du centre culturel de l’Azerbaïdjan à Paris (affiche présentation 23.09.2022 ci-jointe).
Nous souhaitons, de toute urgence, connaître votre position sur les circonstances de cette présentation :
En premier lieu, l’affiche de l’évènement utilise l’acronyme ainsi que l’emblème de l’« UNESCO ».
Le « Guide pour les organisateurs d’évènements », publié sur le site de l’UNESCO, soumet l’utilisation du logo de l’UNESCO et de ses logos secondaires (ex. : logo du Centre du patrimoine mondial) à des règles spécifiques.
Nous comprenons que seules les activités organisées par l’UNESCO ou conjointement avec l’UNESCO peuvent bénéficier du logo de l’UNESCO.
Il en ressort, sauf erreur, que les délégations permanentes doivent préalablement présenter à la Directrice générale une demande d’autorisation d’utiliser le logo de l’UNESCO à des fins non commerciales.
En pareil cas, pourriez-vous s’il vous plaît nous indiquer si cette présentation est organisée par l’UNESCO ou si elle est organisée conjointement par l’UNESCO et la Délégation azerbaïdjanaise ?
Nous avons pris connaissance d’un message posté hier sur le réseau professionnel LinkedIn, manifestement depuis le compte de l’UNESCO, en réaction à la diffusion de l’affiche susvisée sur le profil LinkedIn d’une journaliste qui vous interrogeait notamment sur la réalité de la participation de l’UNESCO à cet événement, ce à quoi votre Organisation a répondu :
(capture écran LinkedIn 22.09.2022 ci-jointe).
Si cette présentation est organisée indépendamment de l’UNESCO, pourquoi l’acronyme ainsi que l’emblème susvisés peuvent-ils être utilisés par l’entité à l’origine de cette présentation ?
Le message ci-dessus de l’UNESCO ne mentionne aucune réserve quant à l’utilisation de ses signes distinctifs exclusifs.
La Délégation Permanente de l’Azerbaïdjan, organisatrice de cette présentation, a-t-elle reçu votre autorisation préalable et expresse d’utiliser le logo de l’UNESCO à cette occasion et si oui sur quel fondement ?
A défaut, avez-vous pris les mesures nécessaires auprès des organisateurs de cette manifestation pour exiger le retrait immédiat et sans condition du logo de l’UNESCO afin que cette institution liée à l’Organisation des Nations unies, n’apparaisse pas associée, de près ou de loin, à cette initiative prétendument culturelle mais destinée en réalité à relativiser les destructions du patrimoine arménien auxquelles se livre depuis de nombreuses années l’Etat azerbaïdjanais et à alimenter un discours de haine à l’égard des Arméniens ?
En second lieu, il convient de rappeler ici les engagements pris par les institutions et organisations internationales, dont l’UNESCO, pour la protection du patrimoine arménien, plurimillénaire, notamment dans le Haut-Karabagh.
Dans son communiqué du 20 novembre 2020, l’UNESCO a proposé d’effectuer une mission d’expertise indépendante sur le terrain, dans le Haut-Karabagh, pour dresser un inventaire préliminaire des biens culturels les plus significatifs, comme préalable à une protection effective du patrimoine de la région.
En vain, car malgré l’accord de l’Arménie et les demandes réitérées de l’UNESCO, il semble que l’Azerbaïdjan ait refusé, jusqu’à ce jour, de donner accès aux territoires sous son contrôle afin que cette mission soit réalisée.
La Cour internationale de Justice, par son ordonnance du 7 décembre 2021, a indiqué que
« l’Azerbaïdjan doit prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel arménien […] ». La Cour a ainsi invité l’Azerbaïdjan à renoncer à ses discours et pratiques de haine à l’égard des Arméniens, à renoncer à la destruction systématique du patrimoine culturel et historique arménien dans le Haut-Karabagh.
Le Parlement européen, par sa résolution du 10 mars 2022 sur la destruction du patrimoine culturel dans le Haut-Karabagh, a constaté que l’effacement du patrimoine culturel arménien s’inscrivait dans le cadre d’une politique étatique d’arménophobie systématique, de révisionnisme historique et de haine à l’égard des Arméniens promue par les autorités azerbaïdjanaises, notamment à travers une déshumanisation, une glorification de la violence et des revendications territoriales à l’égard de la République d’Arménie, qui menacent la paix et la sécurité dans le Caucase du Sud. Le Parlement a insisté vivement pour que l’Azerbaïdjan donne accès à l’UNESCO aux territoires pertinents sous son contrôle à fin de réaliser ses missions d’expertise.
Il nous paraît à ce titre important de rappeler la récente agression de la République d’Azerbaïdjan à l’encontre du peuple arménien, cette fois sur le territoire souverain de l’Arménie, les 13 et 14 septembre 2022, et la destruction à grande échelle non seulement des positions militaires frontalières mais aussi des habitations civiles, des hôpitaux et des écoles.
Cette agression meurtrière a causé des centaines de victimes majoritairement arméniennes, notamment civiles, mais aussi le déplacement de plus de 5 000 personnes, et a privé des centaines d’enfants de leur droit à l’accès à l’éducation. Aujourd’hui, et plus que jamais, l’intégrité territoriale de l’Arménie et son patrimoine culturel sont menacés et en danger.
Dans ce contexte, vous comprendrez que l’organisation, par la République d’Azerbaïdjan, d’une présentation portant l’acronyme et le logo de l’UNESCO, ayant pour objet une prétendue destruction par… l’Arménie du patrimoine culturel de… l’Azerbaïdjan nécessite que (i) l’UNESCO se positionne avec précision et transparence sur son rôle à cet égard et (ii) prenne toute disposition pour faire cesser une telle situation si elle n’est pas conforme aux conditions et modalités d’utilisation de ses acronyme et logo susmentionnés, indépendamment même du contenu de cette présentation.
Aussi, nous vous saurions gré de bien vouloir nous apporter les éléments de réponse sollicités ci-dessus.
Il va de soi que nous n’aborderons pas ici le contenu de la présentation envisagée le 23 septembre, qu’il s’agisse des prétendues « destruction[s] » du « patrimoine » prétendument « culturel » dont il est fait état dans l’affiche ci-jointe et des risques de falsification qui en infèrent.
Nous invitons toutefois l’UNESCO à interroger la République d’Azerbaïdjan sur le contenu de ladite présentation, sans préjudice d’éventuelles actions que ce contenu pourrait susciter en cas de falsification.
Ainsi, l’intervention rapide et sans ambiguïté de l’UNESCO nous semble devoir s’imposer pour exprimer son désaccord à l’égard d’un tel évènement, qu’il s’agisse de l’utilisation de ses acronyme et logo mais aussi, le cas échéant, quant au contenu de cette présentation qui, dans le contexte actuel, est sujette à caution.
Une telle position serait conforme aux convictions et aux missions attribuées à l’UNESCO, notamment sa contribution pour la protection du patrimoine et la culture de la paix.
Par la nature même de sa mission, il est attendu de votre Organisation et de ses dirigeants qu’ils se conforment aux exigences éthiques les plus élevées et à la plus grande transparence envers le public.
Nous sommes donc confiants dans la réaction rapide de l’UNESCO que le présent courrier pourra susciter de sa part, erga omnes.
Nous restons particulièrement attentifs à votre réponse et aux actions que vous entendrez entreprendre.
Par souci de transparence de notre côté, nous vous informons que le présent courrier fera l’objet d’une communication publique.
Nous vous prions de recevoir, Madame la Directrice générale, l’expression de notre parfaite considération.
Armenian Bar Association - ABA L’Association française des avocats et juristes arméniens - AFAJA
Copie à :
- Ministère des Affaires étrangères
- La Présidente du Parlement européen : Madame Roberta Metsola
- Agence France-Presse
- Le Figaro
- Le Monde
PJ :
Affiche présentation 23.09.2022