En aparté avec M. Mohamed Ahmed Saleh, journaliste au Quotidien La Nation, vice-président de l’UPF Djibouti, rencontré lors des 47e Assises de l'Union de la Presse francophone à Tsaghkadzor.
Par Tigrane Yegavian
Quels ont été les points forts de ces 47èmes Assises de l’UPF ?
Je voudrais tout d’abord exprimer mes sincères remerciements à l’UPF qui a admis la toute nouvelle section de Djibouti, dont je suis le vice-président. Evidemment, c’est un honneur et un privilège d’intégrer cette grande et prestigieuse famille des médias francophones réunis au sein de l’Union de la presse francophone. Cela dit, j’ai d’abord apprécié le choix d’un thème aussi brûlant d’actualité que le traitement médiatique des migrations humaines, ce phénomène qui domine aujourd’hui l’actualité internationale et qui est souvent un sujet dramatique et qui soulève des passions, suscite des tensions, déchire des nations, et brise la cohésion sociale et sociétale parfois au sein de grandes et petites nations du monde. Bref, le choix d’une large et profonde introspection sur le traitement médiatique de ce sujet explosif est en soi la preuve de courage et de bonne volonté pour atténuer le drame humain que cela représente. L’autocritique au sein des médias est déjà un grand pas vers l’amélioration des pratiques médiatiques courantes souvent maladroites et parfois dangereuses.
Ces Assises ont été l’occasion de tordre le cou à de mauvaises habitudes voire des dérapages incontrôlés qui peuvent provoquer des drames et des catastrophes humaines encore plus graves. Naturellement, les rencontres et les échanges ont été d’une telle richesse et d’un tel intérêt. Ce fut un moment d’autoévaluation en profondeur du traitement médiatique des migrations humaines.
Ensemble, journalistes, experts et universitaires ont étudié et décortiqué sous tous les angles et tous les aspects ces phénomènes migratoires et leur couverture par les médias à travers le monde. Cette introspection a été un moment de vérité qui a permis d’identifier les causes, mais aussi la nature et les caractéristiques de ces mouvements humains incontrôlés et incontrôlables. Les migrations du point de vue géographique, mais aussi leurs conséquences et leurs implications sécuritaires, politiques, économiques, sociales et sociétales ont fait l’objet des analyses et des débats. Puis, les approches et les politiques des acteurs et des parties-prenantes dans ces mouvements et phénomènes migratoires ont été passé au crible. Les drames de l’exil, ses risques et ses cataclysmes, les conditions d’accueil souvent épouvantables, et le façonnement de l’opinion publique qui se rebiffe face à ces déferlements humains ont également fait l’objet d’un examen large et approfondi. Les journalistes, les experts et les universitaires ont pu étudier les voies et moyens d’atténuer les douleurs et de dédramatiser les conséquences de ces déferlantes humaines au regard de l’opinion publique dans les pays d’accueil.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Ce qui m’aura le plus marqué c’est la richesse et l’exhaustivité des débats qui ont abordé la question du traitement médiatique des migrations humaines dans tous ses aspects. Les présentations et les exposés des experts et des universitaires ainsi que les contributions des journalistes m’ont vraiment éclairé sur de nombreux aspects et des réalités difficiles voire parfois horribles de ces phénomènes migratoires et leurs conséquences. J’ai particulièrement apprécié l’adoption d’une pétition pour exiger que l’AQUARIUS puisse obtenir un pavillon afin de poursuivre sa navigation dans les eaux méditerranéennes et secourir les migrants en péril tout en documentant la réalité des faits qui se déroulent sur ce terrible cimetière marin au sujet des migrants originaire d’Afrique subsaharienne, du Moyen Orient et de l’Afrique du nord.
"La presse francophone naturellement se fera le chantre d’une ligne plus humaine en défendant la décence et la dignité conformément à la déontologie et l’étique du métier."
Le cas des médias libanais qui sont polarisés et dont une partie relaie quand elle ne véhicule pas des idées totalement xénophobes, voire extrémistes, ou pire fascisantes, envers les migrants m’a fait une peine immense. Mais, à quelque chose malheur est bon dit-on, l’évocation de ce cas de figure extrême a permis de réveiller la presse francophone qui naturellement se fera le chantre d’une ligne plus humaine en défendant la décence et la dignité conformément à la déontologie et l’étique du métier. Il est vrai que les conditions d’accueil ne peuvent être optimale pour près de deux millions d’immigrés syriens fuyant la guerre dans un pays d’à peine 10 000 Km² et une population de près de 4,5 millions d’habitants qui accueillent déjà une population de 450 000 réfugiés palestiniens. Il n’en demeure pas moins, que les médias doivent avoir un rôle constructif et humaniste et ne doivent pas verser dans l’un ou l’autre des deux extrêmes comme l’aura si bien expliqué, Dr Maria Bou Zeid, de l’Université Notre Dame de Beyrouth.
Quelles sont les principaux points à améliorer les Assises de l’UPF ?
Je trouve personnellement que les Assises ont été couronnées de succès au regard des résultats escomptés par l’équipe dirigeante de l’UPF. Les débats ont permis de lever le voile sur des pratiques inacceptables voire scandaleuses du traitement médiatique des migrations. Cela étant, l’organisation matérielle est tout à fait perfectible. Un sentiment de frustration s’est dégagé par rapport à l’agenda et le timing des conférences en plénières et les tables rondes ainsi que les ateliers. Le temps alloué aux échanges et aux débats était hélas trop court et n’a pas permis d’entendre toutes les opinions et obtenir tous les éclairages sur les exposés et les présentations des intervenants, experts, universitaires et journalistes. La haute qualité des interventions nécessitait à mon sens, une plus grande marge pour les échanges et réflexions consécutives à ces interventions ainsi que les questions et réponses. La répartition des participants en petits groupes lors des ateliers a été un autre moment de frustration tant les sous thèmes traités étaient les uns plus alléchants et passionnants que les autres. Certains, dont moi, ont choisi de faire les migrants entre les différents ateliers pour pouvoir suivre un peu tous les échanges et les présentations. Ce qui m’a le plus frustré et m’a mis dans l’incompréhension, c’est la levée des travaux des Assises sans qu’aucune résolution n’ait été prise pour donner corps aux recommandations et aux orientations qui se sont dégagées des conférences, des tables rondes et des ateliers. J’aurais bien aimé voir une politique voire une feuille de route adoptée pour aller vers l’amélioration des pratiques médiatiques quant au traitement des phénomènes migratoires. Il m’a paru nécessaire voire indispensable de mettre en place un plan d’action et un comité de suivi et évaluation pour suivre le travail des médias. Cette instance aurait gagner à observer et collecter les informations recueillies afin d’alimenter un travail d’évaluation périodique et nourrir les politiques de réajustement et de renforcement de capacité des journalistes.